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"Santé mentale et organisation du travail – Approche juridique et regards croisés"
Un ouvrage remarqué par Michel Héry

Partant du constat que depuis la loi du 2 août 2021 dite pour renforcer la prévention en santé au travail, la réflexion sur l’organisation du travail a vu son rôle renforcé dans la logique d‘évaluation des risques professionnels, Franck Héas, le coordonnateur de cet ouvrage, invite dans son introduction à s’interroger sur la capacité du droit à encadrer les nouvelles formes d’organisation du travail et leurs conséquences sur la santé mentale au travail.

La première partie du livre est consacrée à un état des lieux de la question de la santé mentale de différents points de vue juridiques : le droit international de la santé, la réflexion commune de l’Organisation internationale du travail (OIT) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la médecine du travail, le droit constitutionnel français, le droit (interne) de la santé, la santé mentale en droit de la fonction publique ou en droit de la Sécurité sociale. Enfin Franck Héas, recentre la problématique sur le droit du travail et met en avant le fait que, quels que soient les mérites des évolutions successives de ce droit vers une protection plus efficace de la santé physique, elles demeurent encore insuffisantes aujourd’hui pour la protection de la santé mentale. En cause notamment « une surpersonnalisation du travail ou une surprofessionnalisation de la personne » liées aux évolutions de l’organisation du travail au cours des dernières décennies.

Une seconde partie de l’ouvrage est consacrée à la négociation collective dont Sophie Garnier souligne qu’elle prend une place de plus en plus importante par rapport à la loi depuis les dernières grandes réformes du droit du travail. Si les accords s’annoncent comme de plus en plus ambitieux, Josépha Dirringer décrit de nombreux exemples dans le cas de restructurations d’entreprises où les enjeux liés à la santé mentale sont plus affichés que réellement pris en compte. Que les représentants élus des travailleurs soient consultés ou non (en fonction de la nature de la restructuration), la dilution des fonctions des CHSCT dans celles des CSE (malgré l’existence dans certains d’entre eux d’une CSSCT) affaiblit les capacités de ces derniers à faire entendre les besoins de prise en compte de conditions qui ne soient pas défavorables à la santé mentale, surtout dans un contexte de raréfaction des représentants de proximité. Le juge se satisfait trop souvent de l’approche très procédurale qui en résulte : « une prévention des RPS très formelle et verticale », « avec un plan de prévention et sa déclinaison locale pensés in abstracto au niveau central », selon les termes employés par l’auteure.

Le procès France Télécom est, sans surprise, cité par la majorité des contributeurs à la troisième partie « Contrôle ». C’est en particulier le cas de Marion del Sol qui souligne d’abord le rôle important des managers dans la gestion des questions de santé mentale au travail et la responsabilité légale de prévention et de sécurité entièrement dévolue par la loi au chef d’entreprise. Pourtant l’affaire France Télécom, comme d’autres cas de harcèlement moral venus devant la Cour de cassation, montrent que le rôle et l’éventuelle responsabilité du management et des managers sont clairement identifiés. La notion de « harcèlement managérial » (consécutif ou non à une politique délibérée) est couramment utilisée par les juges. Des exemples de licenciement de responsables, ayant constaté des problèmes de harcèlement moral exercés par un ou des salariés envers d’autres et n’ayant rien fait, sont également cités. L’auteure insiste sur la grande diversité (qu’elle qualifie d’impressionniste) de l’approche des juges face aux pratiques managériales à dimension organisationnelle. Impressionniste en ce sens qu’elle traite de la question de la santé mentale de plusieurs points de vue : à partir de phénomènes avérés de harcèlement moral, à partir de l’obligation de sécurité que l’employeur doit garantir y compris lors de réorganisations qu’il va initier, à partir du droit de la représentation du personnel (par exemple le recours à l’expertise en santé et sécurité au travail).
Une quatrième partie est consacrée à la question de la santé publique à travers les coopérations entre la médecine du travail et la médecine de ville ou les médecins conseil de la Sécurité sociale. Plus largement ce sont les questions de partage et d’utilisation de l’information et celles de la pluridisciplinarité indispensable pour prévenir les atteintes à la santé mentale des travailleurs qui y sont évoquées. Pierre-Yves Verkindt liste neuf disciplines (physiologie, psychologie, psychodynamique, ergonomie, sociologie, économie, gestion, droit, épidémiologie) indispensables pour outiller une construction efficace des pratiques de prévention des risques psychosociaux. Dès lors il convient de faire vivre les différentes dispositions du Code du travail consacrées à la constitution de ces équipes pluridisciplinaires, afin qu’elles agissent en faveur de la santé mentale des travailleurs.

La cinquième partie intitulée « Ailleurs » rassemble des textes de non-juristes. Comme beaucoup d’auteurs précédents, les contributeurs insistent sur la nécessité d’une réflexion pluridisciplinaire sur les organisations du travail afin d’objectiver les conséquences sur la santé mentale et fournir, aux juristes et autres parties prenantes, les moyens d’une transformation vertueuse de ces organisations. Yves Roquelaure fournit un tableau très complet des différents déterminants organisationnels (nouvelles formes de travail) sur les facteurs psychosociaux pesant sur les travailleurs. L’approche systémique qu’il développe est un excellent outil pour mettre les questions de santé mentale en débat dans l’entreprise et organiser les coopérations pluridisciplinaires indispensables pour y répondre.
Dans sa conclusion, Frank Héas insiste sur la nécessité de mobiliser tous les principes de prévention des risques professionnels et plaide pour que le Code du travail soit enrichi de dispositions spécifiques à l’organisation du travail dans l’entreprise, visant à « [la] consolider comme un déterminant de la santé mentale en entreprise ».

Cette recension ne donne à voir qu’une partie limitée des 32 contributions de l’ouvrage.

Recension de Santé mentale et organisation du travail – Approche juridique et regards croisés. Ouvrage collectif sous la direction de Franck Héas (Dalloz)


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