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Un pacte unitaire pour le peuple de gauche
Par Robert Hue

Il y a quelques semaines, je soulignais dans ces mêmes colonnes " l’urgence d’une révolution progressiste ". Conviction, hélas renforcée par les résultats des élections européennes, si décevants pour les gauches françaises et européennes !

Ces résultats sont indiscutables : la gauche est dans l’impasse. Un PS qui peine à atteindre les 16 % et avec qui les écologistes font presque jeu égal ; un Front de gauche qui retrouve les résultats du PCF seul en 2004, et demeure en dessous de la liste Bouge l’Europe ! en 1999 ; un NPA, enfin, qui demeure au niveau de la LCR, alors qu’il affirmait dynamiser la " gauche de la gauche ". Et une abstention record qui culmine dans les quartiers populaires ; abstention qui ne témoigne pas seulement d’un désintérêt pour ce scrutin, mais d’un désamour qui peut dégénérer en divorce définitif, si nous ne parvenons pas à nous unir sur de nouvelles bases. Qui peut le souhaiter, sinon une droite moins unie et cohérente qu’il n’y paraît ?

Le paradoxe est saisissant. D’un côté, la crise et ses affres, les mobilisations sociales, l’unité syndicale, la coalition exceptionnelle d’universitaires, de professionnels de santé, de salariés du service public ; de l’autre une gauche divisée, sans imagination, sans projet, malgré le dévouement de ses militantes et de ses militants qui se dépensent sans compter à chaque campagne.

Et face à ce paysage désenchanté, un pouvoir qui pavoise, louvoie, cajole, débauche, une droite autosatisfaite qui garde fermement son cap - au prix de l’excroissance d’un pouvoir personnel omniprésent, et de risques graves d’effilochement de la démocratie dans notre quotidien. Car ne nous trompons pas, M. Sarkozy sait ce qu’il veut au bout du compte : la déconstruction du corps social, en profitant de la crise.

Et pourtant ! L’époque nous est propice. La crise actuelle constitue de facto la critique la plus explicite et la moins contestable qui soit du capitalisme. Elle pourrait être pour la gauche l’opportunité de se redresser, de proposer, de canaliser en l’amplifiant la radicalité qui sourd de la colère des travailleurs précarisés, appauvris ou licenciés. En leur offrant une perspective : une alternative. Il est encore temps de le faire, mais à deux conditions : élaborer un programme à la fois audacieux et réaliste, concret et futuriste, définissant un nouveau modèle de développement ; se fédérer, ou se confédérer. Ce qui suppose que les stratèges de la " gauche de la gauche " - c’est-à-dire d’une gauche contre une autre ! - abandonnent leur doxa mortifère, et que le Parti socialiste renonce à sa tentation d’un hégémonisme irréaliste et étriqué.

Il est urgent que la gauche se sorte par et pour elle-même de cette impasse où elle s’est enfermée, et dont les premières victimes sont les chômeurs, les précaires, les salariés, les jeunes, le monde de la culture et de la création. A la place où je suis aujourd’hui, je m’y consacre activement.

J’ai plusieurs certitudes. D’abord, celle que seul, on ne peut rien. Ensuite, que la gauche " historique ", celle des schémas du XIXe et du XXe siècle, est morte. Elle ne se réanimera qu’en se reconstruisant, en pratiquant une rupture nette avec les paradigmes qui ont nourri et nourrissent encore les querelles intestines et les sectarismes rouillés. Les partis et les mouvements politiques, existants ou qui tentent d’émerger avec la même verticalité solitaire sont d’ores et déjà condamnés. Aucun parti ne peut à lui tout seul être la force propulsive d’un progressisme des temps nouveaux, porté par une dynamique unitaire inédite.

Aucun état-major ne doit plus faire et défaire les coalitions au gré des résultats électoraux et des rapports de force internes. C’est dans les profondeurs de tous les partis de gauche que se cache un gisement militant intact, un immense potentiel de générosité et d’intelligence citoyenne. Démultiplié par l’engagement de millions de femmes et d’hommes qui cherchent un espace politique solidaire, efficace et durable, cela représente une force considérable. Il faut la mettre en mouvement, dans le respect du pluralisme, sans s’affronter aux appareils politiques mais en les dépassant par une dynamique unitaire et populaire.
Cette démarche nécessite des instruments adaptés. Les forces de gauche, écologistes, républicaines et progressistes ont besoin aujourd’hui d’un nouvel espace de débat, de dialogue, d’élaboration, d’action et d’organisation débouchant le plus rapidement possible sur quelque chose de neuf, tant dans la forme que sur le fond. Je propose donc la constitution d’un pacte commun reposant sur les principes d’une société de transformation progressiste, plutôt que sur des valeurs trop abstraites dont au bout du compte tout le monde se réclame à chaque échéance électorale.

" On connaît la chanson ! ", gémiront les éternels résignés. " Et pourquoi pas un air nouveau plus entraînant ? ", s’enthousiasmeront tous les autres. Le temps et la vie filent vite. Le danger est de laisser couler ce temps qui court, de laisser courir aussi les inégalités, se banaliser la précarité, s’étioler l’espoir - surtout chez les jeunes, les personnes les plus isolées, celles qui sont culturellement les moins bien armées. Au bout du compte, c’est la violence qui servira de langage et d’exutoire. N’attendons pas ce point de non-retour : " C’est l’attente quasi mystique d’une catastrophe libératrice qui dispense les hommes de préciser leur pensée, de déterminer leur idéal ", écrivait Jaurès.

N’attendons pas. Précisons et déterminons. Avec toutes celles et tous ceux qui désirent ici et maintenant porter un souffle neuf et de la perspective à tous les niveaux de responsabilité politique, dans et avec la société civile, nous pouvons ensemble - sans tarder, dans des espaces unitaires hors des appareils - écrire les premières pages d’une nouvelle histoire. " Avec ", et non plus " contre ".

C’est le sens de ce texte en forme d’appel à la construction d’un pacte unitaire dont le peuple de gauche et toutes les forces progressistes et écologistes ont un urgent besoin. J’y mettrai tout mon temps et mon énergie. Dans les prochains jours, avec d’autres hommes et femmes de gauche, un appel sera ouvert à toutes celles et à tous ceux qui veulent construire à travers le pays cette nouvelle dynamique unitaire et populaire.

Article paru dans Le Monde du 19 juin 2009


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