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À quoi servent les humanités...
Par Georges Molinié

Paris-Sorbonne est une université de renommée mondiale où sont enseignées de nombreuses disciplines littéraires. Elle est peuplée de gens que ces savoirs passionnent, au point de faire de leur élaboration et de leur transmission un idéal de vie. Or l’utilitarisme dominant leur assène sans cesse une même question, implicite ou explicite, parfois avec candeur, trop souvent avec mépris : à quoi ça sert ? La réponse doit être franche et catégorique : ça sert. Former aux humanités, c’est former par les humanités des jeunes qui s’en approprient les méthodes : la pensée critique, la rigueur intellectuelle, l’argumentation rationnelle, la curiosité, la conviction que l’on n’a jamais fini d’apprendre, qu’il faut toujours adapter son jugement aux mutations du monde et à la pensée de l’autre.

Ces valeurs ne sont pas enseignées comme des dogmes, car les étudiants sont guidés progressivement vers plus d’autonomie intellectuelle. C’est tout le sens de la formation par la recherche qui doit constituer le coeur de nos masters. L’acquisition de ces valeurs doit préparer les générations montantes à prendre les rênes du pays. À ce titre, professionnaliser les études initiales serait dévastateur. S’adapter aux besoins des entreprises en travaillant à leur fournir une main-d’oeuvre hyperspécialisée n’est pas la bonne solution, parce que dans notre monde en perpétuel changement, les besoins des entreprises évoluent très vite, vouant à très court terme toute formation hypertechnique à être périmée. Ce qu’il faut, en revanche, c’est mettre en place à l’université des enseignements généralistes, dispensés en beaucoup plus petits groupes. À la Sorbonne, nous sommes en train de créer des « licences fortes », accessibles à tous, mais qui demandent aux étudiants un travail intensif. Cela exige des moyens. Or la logique gouvernementale va exactement dans le sens inverse.

La communauté universitaire s’inquiète des obstacles qui sont mis à la réalisation de ses missions. Elle en est réduite à s’opposer à des suppressions de postes, alors même qu’elle a dû faire face à l’augmentation du nombre d’étudiants, sans que les moyens nécessaires lui soient alloués. L’écart de dépenses consenties par l’État, pour chaque étudiant, entre l’université et les autres filières d’enseignement supérieur est scandaleux. Le gouvernement pourra répondre, comme il l’a fait pour l’enseignement secondaire, que le qualitatif prime sur le quantitatif. L’un ne va pas sans l’autre. Surtout, la qualité de l’enseignement universitaire repose sur son articulation avec la recherche la plus neuve et la plus rigoureuse. Avalisant l’idée que plus d’enseignement puisse être accompli par des professeurs moins en prise avec la recherche, sans perte pour la qualité des formations, le projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs est fondé sur un contre-sens. On a beaucoup glosé sur l’évaluation des universitaires. Eh bien, sur ce plan-là, le gouvernement gagnerait à mettre le qualitatif en avant. Nous écrivons des livres et des articles : qui veut les évaluer doit les lire et en comprendre les conclusions, pas seulement les compter.

Enfin, les nouvelles modalités de recrutement des enseignants du 1er et du 2nd degré seraient une régression dont les élèves feraient les frais. En supprimant le stage de formation en alternance rémunéré qui assurait aux lauréats du concours une entrée progressive dans le métier, le gouvernement affirmerait son refus de faire le lien entre la formation universitaire et la formation professionnelle des futurs enseignants. Il refuserait d’assumer ce que les entreprises, si chères et exemplaires à ses yeux, font. Car toute entreprise recrute en fonction des qualités intrinsèques qu’on perçoit chez les candidats, avant de les former de manière précise aux missions qu’ils devront accomplir dans leur travail. Vouloir remplacer l’année de formation en alternance par une pseudo-formation facultative et bénévole qui se tiendrait lors du second semestre d’un master 2 est irresponsable. Une telle usine à gaz se révélerait néfaste pour l’équilibre et le contenu des masters : comment les étudiants pourraient-ils en plus et se former par la recherche, en rédigeant un mémoire, et préparer un concours de haut niveau ? De la maternelle à l’université, l’ensemble du système éducatif de notre pays encaisse des coups auxquels le gouvernement donne le nom de réformes. C’est bien pour la défense de l’école de la République tout entière qu’il faut se mobiliser aujourd’hui.

Texte publié dans l’Humanité du 21 février 2009

Georges Molinié est Président de l’université Paris-Sorbonne (Paris-IV).


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