La notion de barbarie est dans l’usage commun associée à celle de civilisation. Le barbare est le non civilisé tout comme le civilisé est le non barbare. Il s’agit d’un couple de concepts asymétriques où l’un occupe le pôle positif et l’autre le pôle négatif. Généralement la barbarie est le pôle négatif, la civilisation le pôle positif. Cependant la valence axiologique peut s’inverser : à la civilisation entrée en décadence le salut peut venir de la violence régénératrice de la barbarie. L’opposition est d‘abord spatiale puisque barbarie et civilisation sont supposées partager le même espace, celui d’une confrontation entre des entités géographiquement distinctes. Mais l’opposition peut relever d’une dynamique temporelle. Il s’agit alors de savoir si la barbarie initiale va laisser place à la civilisation, si elle peut se civiliser par divers moyens dont la guerre ou si la civilisation est menacée de régresser et de se barbariser. Du même coup l’opposition des deux catégories asymétriques reçoit une vection historique. La barbarie serait un état premier à laquelle succéderait la civilisation marquant ainsi un progrès définissable, tout comme la civilisation pourrait ne pas se maintenir et déchoir en une nouvelle barbarie qui pourrait avoir peut-être le mérite de rendre possible un nouveau cours de l’histoire et régénérer la civilisation déchue.
Mais alors se pose la question du contenu et des critères de définition. Qu’est-ce qu’être barbare ? Qu’est-ce qu’être civilisé ? Donnons une réponse provisoire : le civilisé est celui qui accomplit les capacités d’agir et de pense où se construit l’humain : le barbare est celui qui ne connaît pas ou ne reconnaît pas l’humain défini par ses accomplissements dans l’agir et la pensée et qui les détruit faisant ainsi preuve d’une violence contre-productive. Cette réponse est cependant décevante en ce qu’elle implique que le recours à l’humain soit autre chose qu’une forme vide. Quelles sont les formes concrètes de l’humain ? La tradition dominante de la pensée occidentale précise que l’humain a pour diction les droits de l’homme et du citoyen. Mais elle se divise immédiatement en fonction des rapports de priorité qu’elle établit entre, d’une part, l’homme supposé être un libre individu doté d’un moi propre et habilité à développer la libre propriété et, d’autre part, le citoyen qui fait de la citoyenneté la condition de l’humanité. Pour le premier la cité n’est qu’un moyen de l’humanisation, pour l’autre sa condition absolue voire son but. L’institutionnalisation des droits est donc décisive et cela pose à nouveau la question des rapports entre la société civile définie par le marché et la république organisée en Etat. Ces dualismes sont intérieurs à la pensée occidentale. S’ils définissent la civilisation, ils l’articulent en la dédoublant. Qui est alors le barbare ? Celui qui pense au-delà du marché ? Celui qui s’enferme dans l’Etat ? La démocratie parlementaire représente-t-elle la synthèse heureuse et finale du marché et de l’Etat ? Est-elle identifiable à la civilisation ? Ces questions ouvrent des débats qui ne sont pas tranchés.
On peut comprendre que tous ceux qui doutent de l’effet de la rationalité couplée du marché capitaliste et de la démocratie-régime risquent de se voir qualifiés de barbares par les tenants du libéralisme. Mais il leur sera facile de retourner le compliment à l’époque où la rationalité du marché se fait douteuse avec les dégâts de la financiarisation des économies et l’impuissance des démocraties à affronter une question sociale planétaire aggravée en catastrophe écologique. Il leur sera facile de faire recours à des traditions de solidarité propres et de revendiquer l’exigence du respect de leur propre civilisation qu’ils défendent comme telle. Les uns et les autres se retournent ainsi l’accusation de barbarie. Les uns et les autres peuvent se disposer à se soumettre « l’autre » barbare en justifiant à son encontre le recours à des moyens barbares –guerre nucléaire, exterminations de masse, génocides, blocus économique, terrorisme contre des populations innocentes. Chacun se justifie de recourir à des moyens barbares contre celui qui le qualifie de barbare, de faire d’une barbarie instrumentale le moyen de la civilisation. Cette situation n’est pas une simple conjecture ; elle est présentée comme celle qui soutient le choc des civilisations défini par des théoriciens connus comme le conflit majeur du XXI° siècle commençant.
Pour démêler cet écheveau et rompre ce cercle de réciprocités négatives, il faut revenir sur les catégories ou représentations plus ou moins imaginaires de barbarie et de civilisation. 1) On montrera que ce couple de catégories ou plutôt de représentations asymétriques apparaît en notre modernité avec les Lumières. Il succède à deux couples antérieurs historiquement, le couple grec-barbare dans l’antiquité et le couple chrétien-païen du moyen âge occidental. 2) Nous verrons qu’à la différence de ces couples le couple moderne civilisé-barbare ne connaît pas d’extériorité et a pour ambition de définir l’humanité. Cette prétention se heurte à des apories théoriques et historiques que la mondialisation capitaliste radicalise. 3) Aujourd’hui la thématique du choc des civilisations est la forme concrète de ces apories et exige l’examen critique de ce qui en fait une idéologie de guerre globale menaçant partout la civilisation en général et les civilisations existantes en particulier.
I. Pour une sémantique historique de la notion de barbarie
Nous disposons de l’étude majeure de l’historien et théoricien de l’histoire Reinhart Koselleck contenue dans son ouvrage Le futur passé. Contribution à une sémantique des temps historiques (1990) qui donne une caractérisation précise de la notion de barbarie (pp.191-232). Celle-ci fait partie des notions antithétiques et asymétriques à usage historico-politique. Le barbare est celui qui est perçu tout d’abord comme autre différent, en position d’étranger, et il est défini comme tel à partir d’une position qui prétend position d’excellence humaine et politique. Elle est celle d’une communauté de référence, un « nous ». Il n’est de barbare que par et pour un non barbare, que celui-ci soit grec, romain, chrétien, occidental civilisé. La catégorie est accusative et permet de différencier la communauté de référence, « nous », les non barbares, des autres communautés, « eux, les barbares », dont les pratiques, les normes et les représentations sont à la fois autres, rudes et manifestent un mode d’être de l’humain non pleinement accompli. Cette catégorie a une fonction en définitive monologique et autoréflexive dans la mesure où elle permet à un groupe de se constituer en une unité politique et spirituelle fondée sur la dépréciation relative, voire sur l’exclusion, d’un autre groupe. Elle interdit le processus d’une reconnaissance réciproque en imposant une détermination d’étrangeté, d’altérité susceptible de prendre diverses formes et revêtir différents degrés dans le rejet du barbare.
Dans un ouvrage récent bien documenté, Généalogie des barbares (2007), Roger Pol-Droit présente une enquête historique et philosophique qui permet de nourrir la problématique de Koselleck en dessinant les lignes de forces de la représentation des barbares et de la barbarie dans la pensée occidentale. Nous simplifions les éléments de cette histoire pour mieux nous concentrer sur la sémantique propre à la modernité.
1. Être barbare selon les grecs
La notion de barbare a été élaborée par les grecs, notamment les historiens comme Hérodote. Il s’agit de la qualification de barbaros, de celui qui parle mal le grec. Le substantif de barbarie n‘existe pas ; il faudra attende le monde moderne pour qu’elle apparaisse.. Roger Pol-Droit parle de barbares sans barbarie. Cette représentation ne désigne pas seulement les ennemis majeurs d’Athènes, les Perses, mais tous les peuples qui ne parlent pas grec, qui ne parlent pas comme « nous » et qui attestent ainsi leur différence géographique par cette caractéristique linguistique. A ce premier niveau la catégorie n’est pas accusative et porte au contraire la reconnaissance d’une différence neutre. Mais vite la différence prend sa dimension axiologique : les barbares sont ces peuples qui trangressent les lois que nous, les grecs, estimons être les plus communes aux hommes. Les barbares ignorent la conduite juste (ils pratiquent quelquefois le matricide, le parricide, l’infanticide). Le barbare, c’est l’homme d’ailleurs qui ne connaît pas les mœurs humaines communes.
Les barbares sont ceux alors qui introduisent une rupture entre eux-mêmes et les autres hommes. Ils vivent à nos frontières et peuvent nous menacer. Ils refusent l’hospitalité et ne cultivent pas l’amitié avec les étrangers. Plus profondément ils sont ceux qui ne connaissent pas le logos, le discours dialogique raisonné qui rend possible la vie humaine comme vie politique dans la cité. Ils vivent dans des tribus, voire dans des royaumes aux coutumes arbitraires, sans lois consenties. Ils sont voués à se soumettre à un despote qui ne traite pas ses sujets en citoyens libres. La reconnaissance d’une altérité dans la simultanéité spatiale se transforme ainsi en dépréciation normative. A la limite ce refus barbare de reconnaître le bien fondé des lois les rejette dans la catégorie d’hommes avec qui on ne peut négocier. Ils ignorent la liberté politique et nient une dimension essentielle de la nature humaine. Ils méritent en ce sens de tomber éventuellement en esclavage, comme le soutient Aristote dans les Politiques et l’Ethique à Nicomaque. Les esclaves sont bien ces animaux à face humaine qui sont indispensables pour accomplir les tâches du labeur et qui tiennent leur peu d’humanité de la fonction instrumentale qu’ils actualisent au bénéfice des maîtres libres.
Le barbare est bien celui qui nie en l’autre les traits humains en s’attribuant à lui-même l’excellence en absolutisant de manière illégitime les traits qui le définissent. La catégorie est relationnelle et asymétrique dans la mesure où celui qui est dit barbare attribue à sa supposée barbarie l’excellence humaine et en retour disqualifie l’autre qui le dénomme barbare. Le présupposé commun de l’un et de l’autre est, s’il s’agit de deux peuples, que tous deux se partagent le même monde comme deux espèces définies par leur altérité spatiale. L’autre, le barbare développe des attitudes de rejet et peut infliger un traitement choquant à celui qui l’accuse en le nommant. Il est simultanément celui avec qui il est possible d’entrer en contact à ses risques et périls, avec qui le conflit est toujours possible, soit qu’il s’agisse pour le grec d’écarter la menace barbare, soit qu’il s’agisse de soumettre cet autre et de le faire entrer ainsi au service de l’humanité que le grec définit. En tout cas la distinction première est spatiale : nous, ici et eux là-bas.
Toutefois, tous les peuples étrangers ne sont pas barbares ; ainsi les Egyptiens constituent-ils un peuple de haute antiquité qui connaît la philosophie comme le soutiennent Platon et, plus tard, les néo-platoniciens. Les Perses eux-mêmes sont des barbares qui ont développé une civilisation qui n’est pas primitive et rude. A la fin de la période hellénistique, l’idée d’une origine barbare de la philosophie obtient une grande importance ; cela montre que la notion peut avoir un usage rétorsif : les Grecs doivent aller à l’école de philosophes qui font leur part à une sagesse qui relativise leur logos. Platon lui-même dans un texte sensationnel du Politique (262 d) déconstruit la distinction entre les Grecs et tous les autres peuples barbares en montrant qu’elle est mal construite en ce que le partage est sans fondement puisqu’en définitive « tous les autres » « regroupent en un tout des peuples alors que le nombre de ces peuples est infini, qu’ils ne s’unissent pas les uns aux autres et n’ont pas de langue commune ». Cette division n‘est donc pas opératoire en ce qu’elle ne divise pas un ensemble en deux parties homogènes selon une structure propre. L’entité « tous les autres » est vide et ne renvoie à aucune réalité logiquement assignable. Elle a pour dénominateur commun une propriété négative, ne pas être grec. Il existe, certes, des peuples différents et disparates, mais les « barbares » n’existent pas. Autant dire que la Grèce a su nuancer et problématiser la représentation qu’elle a forgé pour penser sa spécificité politique.
Platon, en effet, ne renonce pas cependant à une notion qui dans La République permet de désigner l’ennemi politique que les cités doivent combattre. Comme le remarque Roger Pol-Droit (2007. p.70-75), « le fait que sur le plan logique la notion de
2. Le déplacement romain et l’invention du couple
« humanitas-feritas »
Les romains n’ont apparemment pas de concept pour la barbarie. Ils ont latinisé « barbaros » en « barbarus ». Mais ils ont de fait pensé ensemble la barbarie et la non-barbarie en élaborant d’abord avec Cicéron, puis avec les historiens, un nouveau couple de représentations asymétriques, le couple humanitas-feritas, humanité-bestialité, pour se réserver l’attribution du terme positif. Il ne faudrait pas donner cependant à ces notions leur sens moderne. L’humanitas renvoie à la nature politique et juridique de l’humain, à la communauté publique –République, puis Empire-, tels que les romains la définissent avec ses droits, ses devoirs, ses institutions. Cette communauté définit l’humain et peut s’élargir à la totalité du genre humain que l’Empire est supposé à son apogée contenir. Les peuples de l’Empire sont censés lui appartenir et l’attribution aux hommes libres de tout l’Empire de la citoyenneté romaine consacrera cette nouveauté qui à la limite idéale n’a pas d’extériorité barbare. « Par cela même qu’il est un homme, un homme ne doit pas être étranger pour un homme » , dit Cicéron dans Des biens et des maux (III, XIX, 62, (cité par Roger Pol-Droit, 2007, 153). Les romains sont les porteurs de l’humanitas qui enveloppe « la société universelle du genre humain » . Le barbare est repensé ; il n’est plus l’étranger qui méconnaît le logos ; il est celui qui lèse à son profit la société du genre humain que soutient Rome. « Il nous faut honorer, conserver et maintenir intacte cette union, cette société commune à tout le genre humain. Si nous sommes disposés à dépouiller et à léser autrui à notre profit, la société du genre humain, qui est par-dessus tout conforme à la nature, doit nécessairement se corrompre » (Cicéron, De officiis, III, V, 21). A la limite, l’Empire devrait absorber les peuples qui vivent dans la feritas et supprimer sans violence ces barbares.
La feritas n’est pas la férocité animale ; elle est la forme de bestialité proprement humaine. Elle n’est pas un dehors de l’espèce humaine et recouvre une force destructrice interne. Elle ne connaît pas la puissance organisatrice du droit et des institutions. Elle autorise toute tyrannie qui recourt à la guerre, toutes les formes de violence. Les peuples extérieurs à l’Empire et qui vivent à ses frontières, le limes, sont une menace qui finit en fait par réapparaître. Mais cette menace s’est découplée, puisque au sein de l’ordre romain la feritas peut se manifester partout et en chacun, comme elle s’est manifestée en certains empereurs. Le nouveau couple conserve donc une différenciation spatiale, modifiée d’ailleurs ; mais la distinction déborde le cadre politique et a une signification morale et culturelle.
Ceci dit, les barbares de l’extérieur de l’Empire qui ne sont plus civilisés, constituent de plus en plus une menace qui emportera l’Empire, mais il s’agira de l’Empire christianisé.
3. La réinvention chrétienne de l’humanité comme humanité compassionnelle et la nouvelle barbarie comme culte de la force
Il faut attendre les grandes invasions des barbares des IV° , V°, VI° siècles pour que soit thématisée à nouveaux frais la représentation de barbarie dans un contexte chrétien. Le premier christianisme, celui que formule Saint-Paul semble d’abord, en effet, annuler la vieille distinction entre barbares et non barbares en s’attaquant à son principe et en remettant en cause les conceptions antiques concernant l’humain et l‘anti-humain. L’annulation du partage est consignée dans des textes fameux comme celui de l’Epître aux Colossiens (III, 9-11). « Il n’est plus question de Grec ou de Juif, de circoncision, de Barbare, de Scythe, d’esclave, d’homme libre ; il n’y a que le Christ qui est tout et en tout », ou comme celui de l’Epître aux Galates (III, 27-28) : « Il n’y a ni Juif, ni Grec, il n’y a ni esclave ni libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous, vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. » Ces textes à l’universalisme radical n’annulent pas cependant en fait les distinctions ou divisions indiquées ; ils relativisent leur effectivité face à la fraternité de tous les fils de Dieu en Christ, cet universel vivant qui a aboli en principe toutes les séparations ethniques, religieuses, sexuelles, sociales. L’annulation du couple grecs ou romains-barbares a une portée historique incalculable dans la mesure où elle est inversion des valeurs antiques de courage et de puissance politiques, de vertu civile-civique. L’humanité chrétienne donne le primat axiologique à l’autre humain comme le prochain, objet de compassion, de pitié et elle redéfinit en fait un nouveau barbare, celui qui est dépourvu de pitié ; qui est insensible aux souffrances, à la douleur, à tout ce qui témoigne de la faiblesse humaine et qui constitue un appel à la solidarité et à l’amour.
La barbarie nouvelle consiste à exalter au-dessus de tout la force jusqu’à la violence ouverte, à ne céder à aucune pitié. Elle est la négation de la faiblesse supérieure que manifeste l’incarnation et l’humiliation du Christ et de l’impouvoir de la caritas qui déchoit idéalement toutes les puissances humaines. « Deposuit potente » chante le Magnificat. Les nouveaux barbares ne sont plus définis par leur naissance, leur langue, leur primitivisme, par leur extériorité géopolitique. Ils se définissent par leur culte de la force pour la force, par leur dureté de cœur et leur cruauté. Mais cette invention époquale ne détruit pas en fait les distinctions sociales et culturelles historiques Les chrétiens, surtout au long de leur conquête de l’empire romain, ne peuvent se constituer en communautés sans produire toute une série de dualités toujours asymétriques, nécessaires à leur affirmation : il s’agit des figures des non chrétiens ou païens, des infidèles partisans d’autres fois religieuses ou non, des schismatiques et hérétiques qui se veulent aussi vrais chrétiens et représentants de la nouvelle humanité. Ces distinctions ne sont pas recouvertes immédiatement par ce genre commun que serait la nouvelle barbarie ; mais elles impliquent des différenciations axiologiques et ontologiques pouvant conduire à la guerre où chaque combattant prétend occuper la place du véritable humain qui est le véritable chrétien.
Le christianisme introduit, d’autre part, une autre nouveauté en donnant une dimension temporelle et historique à ses propres dualités ; cette détermination temporelle comptera dans le devenir des représentations de la barbarie à l’époque moderne. Le christianisme se pense comme avènement de la vraie religion et de la véritable humanité dans une histoire du salut qui commence avec le judaïsme appelé quant à lui à configurer l’Ancienne Alliance limitée à un seul peuple. Cette histoire a pour terme le Jugement dernier et la période post-christique est marquée par les épreuves qu’impose l’existence des païens de l’empire à convertir, des infidèles hors empire à combattre, des schismatiques et hérétiques de l’intérieur à éliminer. C’est lorsqu’il est devenu religion impériale sous Constantin et qu’il existe en tant qu’église dominante que le christianisme rencontre au sens strict les barbares, germains ou asiates, qui menacent et envahissent l’empire et contribuent à sa désagrégation. Mais ces barbares ne se confondent plus avec les barbares évolués qu’étaient les Perses ou les peuples d’Asie mineure. Ce sont de nouveaux barbares aux mœurs guerrières et rudes, venus des campagnes et des forêts, étrangers aux raffinements des villes. Comme le montre le sac de Rome en 410, ils sont capables de férocité ; ils violent les lois de l’humanité et ils remettent en cause la théodicée chrétienne. Pourquoi Dieu les laisse-t-il, en effet, agir et vaincre ? Représentent-ils dans l’économie du salut un moyen pour châtier l’impiété et l’infidélité ? Ou sont-ils l’expression d’une force destructrice, du pur démoniaque ? Comment les convertir à leur tour ? Ce sont les questions de La Cité de Dieu de Saint-Augustin. Leur rôle historique est donc ambivalent. Instruments potentiels de Dieu pour régénérer la foi, ils sont en tout cas les représentants historiques de la nouvelle barbarie que le christianisme avait originairement définie comme bestialité humaine porteuse de violence destructrice.
4. La dualité moderne entre civilisation et barbarie. Barbare et sauvage : l’historicisation et la relativisation comparatiste
Le christianisme a bien joué un grand rôle dans l’émergence de la dualité moderne qui définit l’humanitas comme civilisation et l’oppose à la fois à la barbarie et à la sauvagerie primitive. Cette émergence moderne s’accomplit sur un fond de critique de la religion révélée pour les plus radicaux des penseurs des Lumières et pour tous par la critique de la superstition, cette source des guerres de religion qui ont ensanglanté l’Europe, sanctionné la division irréductible du christianisme après la Réforme et révélé la barbarie du furor theologico-politicus. La notion de civilisation, comme l’ont montré des études anciennes de l’historien Lucien Febvre et plus récentes du linguiste Emile Benveniste, apparaît d’abord au singulier (La civilisation) dans la seconde moitié du XVIII° siècle à peu près simultanément en France et en Angleterre. En France le terme est attesté dans un texte de 1756, L’Ami des hommes ou Traité de la population, de Mirabeau, le futur révolutionnaire, qui fait de la religion au sens de religion rationalisée – Mirabeau a été un franc-maçon particulièrement actif- « le premier et plus utile ressort de la civilisation ; elle nous prêche et nous rappelle la confraternité, adoucit notre cœur » (cité par Emile Benveniste. 1966, p.338). Le barbare est mieux défini dans un autre texte de Mirabeau, demeuré à l’état de manuscrit et rédigé en 1768, qui devait servir de pendant à L’Ami des hommes et qui s’intitule L’ami des femmes ou Traité de la civilisation. On y lit la définition suivante qui renvoie au procès de civilisation aboutissant à l’état de civilité moderne et qui donne à la notion son sens puissamment historique. « J’admire à cet égard combien nos vues de recherches fausses dans tous les points le sont sur ce que nous tenons pour être la civilisation. Si je demandais à la plupart en quoi faites-vous consister la civilisation, on me répondrait, la civilisation est l’adoucissement des mœurs, l’urbanité, la politesse, et les connaissances répandues de manière que les bienséances y soient observées et y tiennent lieu de détail ; tout cela ne me présente que le masque de la vertu et non son visage, et la civilisation ne fait rien pour la société si elle ne lui donne le fonds et la forme de la vertu » (p.3 du manuscrit, citée par Benveniste, 339). La civilisation est un procès qui permet de passer de la primitivité et de la rudesse à une société « policée » où les individus observent les règles d’une coexistence pacifiée et urbanisée. Norbert Elias reprendra ce thème de « la civilisation des mœurs » et de son rôle dans « la dynamique de l’Occident » en des ouvrages homonymes. Il sera facile auparavant à Condorcet de faire de la civilisation le processus du développement et des progrès de l’esprit humain tant du point de vue des capacités théoriques (sciences et langages exacts) que de celui des capacités pratiques (nouvel ordre politique fondé sur la liberté et l’égalité et promotion de la concorde). L’Humanité est non pas un donné, mais une conquête, le résultat d’un effort millénaire qui fait sortir de la barbarie des commencements.
Ce sens est un peu plus tard explicité par les historiens et philosophes des Lumières écossaises, comme Millar et surtout Ferguson qui publie en 1767 l’Essay on the History of Civil Society dont Hegel fera un usage original. La société civile est le résultat de la civilisation. Elle unit progrès dans les mœurs et les arts, notamment la production, et dépérissement des qualités politiques et guerrières des barbares et des sauvages qui l’ont précédée. Elle repose sur l’essor de la division manufacturière du travail, sur la richesse économique et sur un développement des connaissances scientifiques et techniques. Ferguson distingue trois périodes en cette histoire, ou plutôt deux. La première est celle de l’état primitif et elle comprend deux moments, celui de la sauvagerie qui ignore la propriété et celui de la barbarie où « la propriété quoiqu‘elle ne soit pas garantie par la loi est un objet capital de désir et de soins » (Ferguson, 1992, 182). La seconde période, ou la troisième, est celle des nations policées, de la civilisation où se célèbre « le progrès des arts sources du savoir, de l’ordre et de la richesse » (idem.280). Pour Ferguson cette histoire est aussi contemporaine dans la mesure où les nations policées coexistent avec des peuples qui sont demeurés à l’état sauvage ou barbare. Avec Ferguson la barbarie perd sa signification d’exclusion normative. Elle est un état qui mérite d’être compris pour lui-même. La férocité des mœurs est simultanément attachement sincère à la communauté politique et relative intégrité éthique. La barbarie n’est pas inhumanité, mais elle définit une humanité autre qu’il ne faut pas comprendre comme défaut de civilisation ou comme « police » défectueuse, en projetant sur elle les critères des nations définies par l‘émergence de la civil society. La barbarie est avant tout comme dit l’anglais « rude », grossière. Elle est le propre d’ « un peuple indifférent aux arts du commerce, prodigue de sa vie, et de celle des autres, ardent dans son affection ou implacable dans son aversion pour une société » (idem. 290).
Ferguson retrouve ainsi l’inspiration de Montaigne et s’inscrit dans un procès autocritique que la pensée occidentale libérale a en définitive peu parcouru, voire occculté. Les peuples sauvages de l’Antiquité « ressemblent à bien des égards à ce que sont aujourd’hui ceux de l’Amérique du Nord : comme eux ils ignoraient l’agriculture et se peignaient le corps et ne connaissaient de vêtements que les peaux de bêtes » (idem. 176). La notion de barbarie s’inscrit dans une anthropologie comparative et dans une histoire qui ne doit pas s’accorder trop vite un préjugé progressiste. La conjecture du progrès empêche de saisir « les premiers commencements de l’histoire de toutes les nations ». Elle conduit à « attribuer tous les avantages de notre nature aux arts que nous possédons et d’imaginer que c’est peindre suffisamment l’homme en son état originel que de lui refuser toutes nos verus. Nous nous prétendons modèles de politesse et de civilisation, et partout où nous ne retrouvons pas nos traits, nous nous persuadons qu’il n’y a rien qui mérite d’être connu » (idem. 176-177). Nous nous interdisons de prendre en compte « les circonstances par lesquelles nous l’avons vue / notre propre nature/ se développer ». Montaigne, de son côté, dans le chapitre XXX du premier livre des Essais, bien auparavant, avait appris à comprendre le cannibalisme des Indiens d’Amérique du sud en prenant à contre-pied l’horreur morale que cette apparente bestialité provoque en choquant le sens de l’humanitas : « il n’a rien de barbare et de sauvage en cette nation ». L’anthropophagie est un rituel religieux exceptionnel pratiqué par des guerriers. Si elle nous répugne, c’est que qu’elle nous est totalement inhabituelle. Chacun dit « barbare ce qui n’est pas de son usage ». Ceux qui sont scandalisés ne le sont pas autant par les atrocités commises par les Espagnols très catholiques contre les prisonniers indiens et les populations sans défense. Le fait de n’être pas barbare mais d’être civilisé ne nous empêche pas d’être barbares au sens de cruels et inhumains. (Essais, Paris, Gallimard Pléiade. 2007. p.208-221).
Pour Ferguson, l’inversion des rapports de supériorité revendiqués par les nations policées peut aussi s’inverser en son contraire puisque l’état sauvage et l’état barbare se caractérisent aussi par « la pénétration, la force d’imagination et d’élocution, une chaleur d’âme, un courage, une constance dans les affections auxquels les arts, l’éducation, la politesse auxquelles les nations les plus cultivées, n’auraient que bien peu de choses à ajouter » (Ferguson. 177). La Civilisation est obligée de se relativiser, de se dire au pluriel et de prendre en compte les autres civilisations qu’une civilisation, l’occidentale en pleine expansion, se soumet en s’érigeant en représentant exclusif de la civilisation. Par son souci de la comparaison et son acuité historique, Ferguson, comme Rousseau et Vico, ces penseurs par qui les Lumières libérales sont invitées à accomplir leur autocritique, fait apparaître la dialectique interne à la notion de civilisation entre un sens absolu et un sens relatif. La découverte des sauvages, ces autres habitants du Nouveau Monde, est celle de la différence d’autres modes de vie qu’il s’agit d’abord d’accepter comme expressions du génie humain et d’intégrer dans la même humanité que la nôtre. La notion d’humanité devenant civile est dépourvue alors d’extériorité et la civilisation intègre une pluralité légitime de civilisations ou cultures autres en débat et confrontation. Etre civilisé, c’est comprendre et faire comprendre que ce qui se présente comme réalité étrangère est inclus dans le cercle de l’humanité une ; c’est faire de cette compréhension élargie comme le dit Kant dans la Critique du jugement un sens commun partageable. Mais il se trouve que la reconnaissance de la pluralité de civilisations toutes dignes d’être comprises et respectées se juxtapose depuis la fin du XVIII° siècle et jusqu’à l’avènement du positivisme sociologique du XIX° siècle avec la thèse du passage historique et normatif à la civilisation où l’humanité se découvre avec ses réalisations qui l’arrachent à l’état de sauvage et de barbare. Cet état devient le fonds dont il s’agit de sortir et de s’éloigner. La reconnaissance des civilisations n’empêche pas de s’interroger ce qu’est la civilisation. Le pluralisme ne peut se définir comme pur relativisme. Il existe des points de vue et des critères qui ont été invoqués pour permettre de différencier les civilisations et de donner à la dualité barbare-civilisé un sens normatif relativement absolu. Les Lumières libérales à leur apogée ont présenté ces critères : augmentation de la richesse par une nouvelle économie fondée sur l’échange, la production industrielle et le libre salariat, réalisation d’un Etat de droit reconnaissant dans les sujets des individus libres et égaux, sans distinction de race, de sexe, de religion, condamnation de l’esclavage et du servage comme pratiques barbares, critique du despotisme, affirmation de l’urgence d’une éducation luttant contre la perpétuation de la différence entre ignorant et cultivé et fondée sur le partage de la raison argumentative, respect actif de l‘individualité de chacun des membres de la société, condamnation de la torture, de la souffrance infligée aux autres, et en particulier dénonciation des génocides.
La tentation des Lumières surtout libérales est cependant grande de. faire du barbare contemporain ou passé au sens relatif et anthropologique du terme -que l’on a reconnu en sa singularité respectable- un autre qui jugé du point de vue absolutisé et normatif de La Civilisation devient un humain inférieur par rapport au civilisé qui lui succède temporellement ou avec qui il coexiste spatialement. Le civilisé est tenté de s’attribuer de son côté la qualité d’humain vraiment supérieur, voire de surhumain. A la limite de l’humain inférieur apparaît alors la figure du « non encore humain » qu’il faut conquérir, civiliser par la force et/ou la persuasion. C’est le cas durant tout le XVIII° siècle et une grande partie du XIX° des Noirs africains voués à l’esclavage moderne de la traite.. Plus bas encore dans la hiérarchie se profile la figure sans visage de l’humain définitivement non humain qu’il faut éliminer s’il refuse la civilisation. C’est le cas au XIX° siècle des indiens de l’Amérique du Nord destinés au génocide commencé au XVI° en Amérique du Sud par les Espagnols catholiques et poursuivi par les citoyens puritains des Etats-Unis. Entre ces deux cas s’étend avec la colonisation et l’impérialisme du XIX° la gamme des populations contraintes au travail libre on non mais forcé. Toute l’histoire du libéralisme est marquée par l’affirmation jumelle et spéculaire de la catégorie universelle d’homme et par les limitations empiriques que subit cet universel en se déclinant dans le cadre de différenciations hiérarchiques tenaces. Les travailleurs, les femmes, les colonisés, les citoyens des nations ennemies sont désormais des candidats destinés à occuper la place du barbare et il sera facile à tous ces stigmatisés et opprimés de retourner contre l’agresseur l’accusation infamante. Et si le civilisé était le barbare et le barbare le civilisé ?
II. Barbarie et mondialisation capitaliste
1) L’intériorisation de la barbarie à la civilisation
L’histoire de l’Occident de 1875 à 1914 est en grande partie celle des violences d’une civilisation particulière, la civilisation occidentale européenne et états-unienne, exercée d’abord à l’encontre des peuples et nations colonisés, une fois neutralisé et nationalisé le mouvement ouvrier. Cette violence se poursuit et s’exacerbe de 1914 à 1970 avec les deux guerres mondiales où les nations les plus civilisées se massacrent les unes les autres comme elles ont massacré les peuples colonisés et assujettis, avec l’émergence des dictatures nazi-fascistes, avec les ultimes guerres de libération menées par les puissances impériales contre les nations anti-impérialistes (Chine populaire, VietNam, Algérie, Cuba). Le communisme soviétique en arrive aussi à traiter au plus fort de la lutte de Staline contre les oppositions ses adversaires de l’intérieur comme des sauvages que l’on emprisonne ou élimine. La barbarie apparaît ainsi comme l’ombre portée de la civilisation à laquelle elle est en fait intérieure. Comme le disait en 1940 avec profondeur Walter Benjamin dans la thèse 7 d’un de ses derniers textes Sur le concept d’histoire, la culture identifiée à la civilisation se concentre bien dans un « héritage culturel de l’humanité ». Mais « tout cela ne témoigne pas de la culture sans témoigner en même temps de la barbarie » (Benjamin. Ecrits français, Paris. 1991.343). Si être civilisé consiste alors à lutter contre la pulsion qui conduit à bafouer l’humanité des autres en la considérant comme chair d’exploitation ou comme corps de trop et superflu qu’il faut liquider, pulsion qu’il faut toujours saisir en ses formes historiques et ses circonstances d’actualisation, alors la distinction entre civilisé et barbare se brouille. En effet, la civilisation qui prétend incarner en sa particularité cet universel ignoré par les civilisations particulières contient en elle une barbarie intérieure. Cela ne donne en revanche aucun label d’innocence aux autres sociétés ; cela établit une échelle des responsabilités en ce que les plus grandes violences sont en définitive celles des vainqueurs. Comme le dit encore Benjamin, l’Histoire est toujours celle des vainqueurs et elle forclôt celle des vaincus humiliés et opprimés.
La mondialisation capitaliste, victorieuse de toute autre alternative politique, doit donc être interrogée sur sa barbarie intérieure. Elle n’explique pas à elle seule toutes les violences du monde issu de la désagrégation rapide du bloc soviétique, du démantèlement du Welfare State en Occident et de l’épuisement des stratégies de développement en de nombreux pays du Sud à l’exception aussi notable qu’ambiguë de la Chine, de l’Inde et du Brésil dont certaines populations sortent de la misère à un prix élevé. La thématique de la barbarie intérieure a été exposée par Benjamin et les théoriciens de l’école de Francfort –Adorno, Horkheimer, Marcuse et autres- qui n’ont jamais oublié d’interroger la responsabilité du mode de production capitaliste. En cela ils ont été mieux inspirés que certains analystes qui limitent cette barbarie aux formes actuelles de la culture de masse et de la politique –comme récemment Jean-François Mattei, auteur de La barbarie intérieure et pourfendeur de l’immonde (1999). Ceux-là font l’économie de l’économie ou plutôt de sa critique ; ils manquent le problème et s’enferment dans un élitisme hautain et rêvent de l’émergence d’une nouvelle aristocratie aux contours troubles D’autres, flattés éhontément par les médias continuent à remuer le brouet de la nouvelle philosophie en agitant toujours la catégorie de totalitarisme désormais épuisée, en continuant sans idées leur numéro de music-hall comme les increvables Bernard Henri-Lévy et André Gluksmann.
En tout cas l’avènement de la catégorie universelle d’humain, de civilisation de l’humanité, demeure une catégorie sans extérieur qui présuppose deux limites, une limite inférieure négative celle de la bestialité humaine qui confine à la non humanité par défaut d’humanité, et une limite supérieure positive, celle de l’humain accompli qui peut se transvaluer par excès en surhumain. Cette élaboration normative est l’objet de dictions et de contradictions ; elle est l’enjeu d’un affrontement pour définir les critères de l’humain, une fois réalisé l’accord sur la dénonciation des pires formes de violence barbare (génocides, massacres perpétrés lors des crimes de guerre et des répressions, camps de concentration et d’extermination, usage de l’arme atomique). Rien n’assure plus aujourd’hui que les critères de la civilisation sélectionnés par le néo-libéralisme économique et politique pour définir la civilisation contre la barbarie intérieure soient rationnels et raisonnables, qu’il s’agisse de la démocratie-régime qui neutralise et pervertit la représentation des revendications populaires, qu’il s’agisse du marché qui ne connaît que la demande solvable et forclôt tout besoin insolvable, de l’entreprise sous sa forme capitaliste qui repose sur l’expropriation de la force de travail privée de tout contrôle exercé sur la gestion et l’usage de la production. Toutes ces institutions qui sont supposées définir la civilisation occidentale et dont celle-ci fait un critère pour disqualifier les autres civilisations historiques comme barbares masquent leur propre barbarie intérieure. Le consensus que recueille auprès des classes dirigeantes le thème du choc des civilisations et qui nous acclimate à l’idée d’une guerre globale menée par la civilisation occidentale contre ses ennemis est un symptôme de cette barbarisation qui menace aussi les adversaires incriminés. Le retour ou plutôt le nouveau tour que prend l’idée de croisade et de guerre sainte soutenue par tous les intégrismes religieux –aussi bien catholiques et protestants qu’islamistes et hindouistes- est le signe de la montée en puissance de cette barbarie intérieure qui accompagne la production mondiale d’une humanité superflue à liquider –chômeurs, sans papier, sans domicile, vivant au Nord, miséreux affamés et dénutris de partout, réfugiés de la dictature politique ou de la pauvreté sans issue. Ces signes achèvent de donner sa figure à la constellation de la barbarie en s’ajoutant au ravage de la planète et à la radicalisation des inégalités et des violences que la catastrophe écologique induite par le mode de production capitaliste globalisé porte en lui comme la nuée l’orage pour paraphraser la formule de Jaurès à propos du lien entre capitalisme et guerre. La barbarie intérieure est inscrite dans le mode de production et de consommation dominant et dans la perversion structurale que subissent ses propres institutions politiques et juridiques qui se voulaient une constitution de la liberté. La constitutio libertatis, chère à Hayek, se renverse en invention d’une barbarie intérieure inédite.
2 Comment rendre compte de la barbarie intérieure à la mondialisation capitaliste ? Ce que peut et ne peut pas l’explication par l‘économie
a) On ne fera donc pas l’économie de l’économie et de sa critique. Celle-ci rend partiellement compte de la barbarie intérieure immanente au monde qu’unifie et structure le capitalisme mondialisé. Toutefois cette barbarie implique une surdétermination de causes et de phénomènes qui constitue un tournant historique comme l’a analysé Etienne Balibar (2001). On ne peut en premier lieu séparer la généralisation de l’apartheid mondial et la production de masses croissantes d’hommes superflus de la nouvelle physionomie prise par l’économie globale. La dynamique de l’accumulation de capitaux pour l’accumulation continue à oeuvrer comme un impératif systémique par-delà tout intérêt éthico-politique pour un bien commun. Elle n’obéit à aucun principe de justice ni substantielle ni procédurale ; elle est un absolu inconditionnel qui a pour horizon indéfiniment reculé une intégration globale dans un marché global Elle a pour vecteur actuel les firmes multi- ou trans-nationales articulées au système chaotique d’une financiarisation extrême. Ces firmes et banques possèdent une capacité financière qui excède celle de la plupart des Etats qu’elles plient à leurs objectifs L’exigence de maintenir et d’accroître le plus rapidement des taux de profit élevés découple la fiabilité technique des entreprises de leur rentabilité en obligeant à fermer des sites techniquement et économiquement viables et à utiliser l’arme du chômage, à délocaliser en transportant les activités vers les régions où les facteurs de la production, notamment la force de travail, sont disponibles à des prix plus avantageux. Le capital financier devient dominant ; il invente des produits spéculatifs de plus en plus risqués et se subordonne toutes les politiques alternatives au prix de crises destructrices que les Etats doivent tamponner sans garantie aucune et qui se résolvent par l’augmentation des puissances financières majeures et l’élimination des plus faibles.
Le procès permanent de liquidation et de fluctuation est simultanément procès de production et de destruction. Les crises se répètent sous des formes nouvelles ; mais elles ne sont pas résolutoires de la contradiction systémique dans la mesure où elles sont le moyen d’une relance systémique qui s’opère en détruisant à chaque fois des liens sociaux et en réitérant des promesses de liberté pour tous que le système ne peut pas tenir. Marx, dès le Manifeste du parti communiste, avait à ce niveau perçu cette barbarie intérieure qu’il jugeait alors transitoire. « Chaque crise détruit régulièrement non seulement une masse de produits déjà créés, mais encore une grande partie des forces productives. La société se trouve subitement rejetée dans un état de barbarie momentanée /.../ Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d’industrie, trop de commerce /.../Les rapports bourgeois sont devenus trop étroits pour contenir la richesse qu’ils ont créée. Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D’une part, par la destruction forcée d’une masse de forces productives, d’autre part par la conquête de nouveaux marchés et l’exploitation intensive des anciens ». Aujourd’hui le marché mondial est réalisé ; la bourgeoisie au sens strict n’existe plus et la caste dirigeant ne peut plus intégrer comme elle le promet toujours des masses infinies pour en faire une humanité. Ces castes dirigeantes n’assimilent plus les classes subalternes mais elles les désassimilent comme eut à le remarquer avec lucidité Antonio Gramsci dans les années 1930. L ’état de barbarie n’est plus momentané ; il tend à devenir la règle. L’état d’exception devient condition de survie dans ce qui pour beaucoup est devenu un non monde.
b) Mais c’est ici qu’il faut recourir à la surdétermination pour comprendre la barbarie intérieure du capitalisme mondialisé. Le procès mondialisateur reçoit en effet une dimension immédiatement géopolitique que ne recouvre pas la division trop indéterminée et devenue inexacte entre Nord et Sud. Celle-ci ne peut occuper la place vide du conflit communisme-capitalisme en tant que conflit cosmopolitique majeur. L’accroissement des inégalités et de l’humanité superflue lié à l’accumulation capitaliste opère aussi bien au Nord qu’au Sud et ces inégalités se différencient toujours davantage. Le système monde exclut toujours plus la redistribution des richesses et du pouvoir en favorisant un déplacement des frontières entre sphères et en empêchant toute unification des subalternes-pauvres privés de puissance sociale contre les dominants-riches-monopolisant cette puissance. Se constitue ainsi dans l’élément de la guerre économique et de la concurrence un système d’interdépendances planétaires qui tend à effacer les frontières habituelles et à brouiller les anciennes lignes de fracture entre grandes puissances mondiales. Ces phénomènes se superposent les uns aux autres et produisent l’apparence d’un unique événement irréversible de portée et de signification mondiales. Le procès économique est inséparable de sa dimension politique et idéologique comme de sa qualité technique et vitale en ce qui concerne la modification du rapport aux processus naturels.
Le résultat de cette modification morphologique du capitalisme est la disparition de la politique comme élaboration d’alternatives unissant les membres dispersés du peuple bigarré des subalternes. Les diverses tentatives de conception de « démocratie radicale » venues de d’Ernesto Laclau, de Chantal Mouffe, d’Etienne Balibar et de Jacques Rancière, pour ne citer que ces noms, n’ont pu faire théoriquement barrage au devenir politique dépolitisante de l’économie. Les mouvements sociaux qui s’accumulent sont encore des intermittents de la politique sans débouché effectif. La conflictualité sociale qu’ils expriment est bien potentiellement alternative, mais elle n’a pu trouver sa coordination systémique. La rebarbarisation qu’a constitué la politisation de l’économie néo-libérale a eu pour effet double d’exclure du champ politique les subalternes et de criminaliser a priori comme barbare toute action réagissant à l’énorme violence de la mondialisation par une contre-violence légitime. La violence des subalternes est devenue un tabou relevant du droit pénal et de la police alors que les énormes exactions systémiquement inévitables du capitalisme financier sont présentées comme des accidents susceptibles d’une moralisation, ce qui est une fable pour débile mental. Les signes de crise sont réels et s’accumulent, mais jusqu’ici il n’y a pas d’indices d’une bifurcation du système ; existent seulement des perturbations, des oscillations. L’irrationalité du système néanmoins se fait plus remarquable et dément les prétentions émises par Weber, puis par Hayek et von Mises affirmant la rationalité indépassable du capitalisme. Mais elle ne fait pas encore l’objet de luttes efficaces pour produire une autre rationalité.
De toute manière il reste à rendre compte des formes politiques mixtes et complexes qui donnent à la mondialisation sa forme historique concrète ainsi que des procès d’identification imaginaire et symbolique qui soutiennent la rebarbarisation des rapports sociaux dont témoigne depuis la fin du siècle passé une violence mondiale inédite Tout d’abord s’opère une hiérarchisation des Etats accompagnée de la constitution de formes d’alliances mobiles et conflictuelles (Etats-Unis-Europe-Russie ; Japon -Chine-Inde ; Iran-Irak-Moyen-Orient). Jusqu’à présent la guerre économique pour l’appropriation de ressources énergétiques, les tentatives de déstabilisation politique conduites par les Etas-Unis pour disloquer la Russie et la Chine n’ont pas conduit à une conflagration mondiale. Mais il s’est formé un ensemble de zones chaudes sur la base de conflits nationalitaires et ethniques caractérisés par une économie de la violence, surtout sur la ligne des pays islamiques (Iran, Irak, Afghanistan, Tchétchénie, Palestine, Balkans). En second lieu se généralise une violence mondiale sur fond de néo-colonialisme et de radicalisation exterminatrice aiguisant les conflits communautaires interethniques (Afrique, Asie). Les guerres civiles conduisent à des déplacements de population qu’aggravent les famines et les catastrophes naturelles et qui sont exploitées par des mafias corrompues. Une cruauté inédite souvent impitoyable se répand à l’encontre des populations civiles, des femmes et des enfants. Les embrayeurs psycho-sociaux de cette violence ne peuvent être considérés comme des effets directs de la seule domination capitaliste. Celle-ci fait fonction d’un milieu enveloppant catalyseur mais les déclencheurs sont d’un autre ordre. Ils relèvent de logiques identificatoires et immunitaires fondées sur la négation spéculaire de toute altérité, sur une crise immunitaire de la reconnaissance réciproque Ces guerres locales ou plutôt glocales ne sont souvent traitées que par des actions humanitaires. Celles-ci sont quelquefois ambiguës (comme aujourd’hui au Sri-Lanka et hier au Kosovo) et incapables malgré leur utilité ponctuelle d’agir efficacement et de tenir lieu d’une action politique.
c) Cette violence justifie de la part des Etats des politiques de contre-révolution préventive et une violence politique institutionnelle surtout au sein même des Etats les plus puissant. Cette violence jumelle est toutefois en excès par rapport à sa fonctionnalité à la reproduction de l’économie capitaliste. L’argument de la lutte contre « terrorisme » remplace ainsi le recours à la volonté de Dieu et autorise le terrorisme d’Etat qui souvent la précède.. Elle constitue un moyen de repolitisation répressive qui tend à limiter et neutraliser comme violence barbare toute action de contestation du désordre établi. Une occupation d’usine avec séquestration symbolique des dirigeants –pratique courante du mouvement ouvrier voici quelques années encore et témoignage surtout de désespoir- devient un acte de barbarie intolérable dénoncé par les médias, par les partis dominants et leurs soi-disant oppositions « socialistes », alors que la violence des licenciements ravage l’existence de travailleurs priés de rester civils face à l’incivilité structurale des délocalisations. Les dispositifs de ségrégation sociale producteurs des hommes superflus –refoulement des immigrés, criminalisation des personnes qui leur viennent en aide- transforment et déplacent les frontières qui de toutes façons sont poreuses.. Il n’est pas étonnant que cette violence d’Etat renforce l’extrême violence qu’elle est supposée combattre et qu’elle se fasse puissant élément de dépolitisation utilisée par ces Etats pour neutraliser toute révolte, toute lutte pour l’émancipation. Il s’agit de rendre impossible le retour à une période où les luttes sociales et politiques avec leur contre-violence avaient permis au salariat d’obtenir des droits sociaux et politiques.
A la limite cette violence rendue impolitique par les Etats renforce sa propre impoliticité en se complaisant quelquefois dans son propre excès, en allant jusqu’à l’autodestruction. Ce faisant elle se manifeste comme un excès dysfonctionnel, car l’accumulation capitaliste « normale » a besoin d’un minimum de socialité, de lien social nominal. Le capital préfère renoncer en ce cas à l’exploitation en laissant végéter les populations instables et les zones insécurisées. Il existe bien une économie barbarisante de la violence qui n’est pas fonctionnelle pour le système et atteste une fois encore son irrationalité interne. Cette non fonctionnalité que constitue la violence en excès autorise les oligarchies capitalistes à justifier la barbarie fonctionnelle en la présentant comme norme et en discréditant toute lutte émancipatrice comme violence barbare, ainsi que le montre l’usage de la notion de terrorisme après le 11 septembre 2001.
Le système qui barbarise en quelque sorte « normalement », fonctionnellement, se justifie en prétendant mener une lutte anti-barbare contre ceux que système a barbarisés et qui se jettant dans piège d’une violence destructrice non fonctionnelle sont incriminés comme facteurs de peur, comme danger pour la sécurité. Les formes de contre-violence légitimes que pourraient inventer les masses d’hommes superflus que la mondialisation produit et traite en sauvages privés de toute sécurité existentielle sont préventivement neutralisées comme formes de barbarie à réprimer. Les oligarchies entretiennent la peur des barbares qu’elles produisent objectivement en produisant des conditions de vie barbares comme le disait en un autre contexte Hannah Arendt dans La condition humaine. Elles se posent en défenseurs de la civilisation pour mieux cacher la barbarie systémique que redouble et hyperbolise la violence en excès inscrite dans la configuration imaginaire et symbolique des luttes identitaires et communautaires. Pour les forces sociales et politiques qui ne sont pas encore condamnées à une hyperviolence qui est retournable contre elles sous chef de barbarie, se pose la question des formes à donner à leur légitime contre-violence. La lutte de ces forces ne peut pas être spéculairement symétrique à la stratégie de terrorisme sécuritaire étatique choisie cyniquement par les oligarchies dominantes. Leur lutte s’inscrit principiellement contre le procès de barbarisation des rapports sociaux ; elle repose sur une intention débarbarisante et recivilisatrice si l’on peut dire qui implique une référence à un tiers symbolique rationnel et émancipateur. Ce tiers symbolique énonce sa loi pratique : pour tout individu sur cette terre il doit y avoir au moins un lieu où il bénéficie de droits réels de cité et d’action, là où il se trouve, là où il a été jeté et rejeté par l’histoire, là où il peut créer des liens d’appartenance à un monde commun vivable. Il est temps que la civilisation occidentale capitaliste consente à s’éclairer réflexivement sur sa barbarie intérieure tout comme il importe de demander à toutes les sociétés et forces sociales en lutte légitime pour leur émancipation de veiller à ce que leur contre-violence ne soit pas rebarbarisation mais maintienne un lieu constant à une perspective de repolitisation civilisatrice. Une fois encore, redisons-le, les responsabilités historiques, éthiques et politiques pèsent plus lourd du côté des puissances dominantes, des vainqueurs toujours prêts à oublier l’énoncé de Benjamin. Tout héritage de culture est payé du prix de la barbarie qui l’a accompagné.
III. La barbarie de l’idéologie libérale-impériale. Terrorisme, choc des civilisations et islamophobie
Quel est le terrain culturel majeur où aujourd’hui l’opposition entre barbarie et civilisation refait apparition ? C’est bien évidemment le terrain des conflits géopolitiques de la mondialisation capitaliste, celui que recouvre le terrorisme comme figure de la barbarie. Actualisé dramatiquement par les attentats « islamistes » –on distingue ici entre islamisme et islamique- contre le World Trade Center du 11 septembre 2001, le terrorisme est le phénomène que l’idéologie occidentale présente comme le prototype de la barbarie. Cette idéologie en fait l’ennemi qui justifie une préparation guerrière au choc des civilisations. Ce terrorisme fait corps avec ce que l’idéologie dominante impériale identifie comme des thèmes qui sont autant de chefs d’inculpation : elle dénonce l’anti-américanisme, l’anti-occidentalisme, l’anti-sionisme présenté comme antisémitisme Cette idéologie se nourrit en définitive d’une islamophobie paranoïaque, l’Islam en général devenant la figure du barbare à nouveau extériorisé hors du monde civilisé supposé pourtant un de la mondialisation.
1 Qui sont les terroristes, ces barbares de la mondialisation ?
La critique du terrorisme est l’objet d un consensus accrédité par les oligarchies et entretenu par leurs médias. Elle fait partie de l’entreprise générale de discrédit de la violence politique immanente à la démocratie représentative, nécessaire à la neutralisation de toute stratégie d’émancipation, comme vient de le rappeler notre ami disparu Georges Labica en ce qui est son dernier livre Théorie de la violence (2008). Les terroristes qui s’en prennent à des populations civiles innocentes sont présentés comme des sauvages et des barbares qui se mettent au ban de l’humanité et qu’il ne faut même pas reconnaître comme des ennemis politiques mais traiter comme des gangsters. Ce sont des ennemis du genre humain, des voyous qui s’éliminent d’eux-mêmes de l’humanité. Si l’on ne peut pas justifier les actes du type 11 septembre – quelle cause était réellement défendue ? Qui étaient vraiment les acteurs que nulle déclaration de guerre ne permettait d’identifier ? - il demeure qu’historiquement au XX° siècle toutes les luttes de libération nationale, d’émancipation anticolonialiste ou anti-impérialiste, toutes les résistances émanées de forces faibles ont recouru à des moyens « terroristes » contre des ennemis plus forts sans que la légitimité de ces moyens ait été contestée tant la cause défendue exigeait ce recours. On ne devrait pas oublier en France ce que fut la Résistance que les nazis ont toujours incriminé comme terrorisme. Aujourd’hui ce terrorisme a été remplacé par un terrorisme endémique qui est néanmoins une réponse probablement contre-productive à un terrorisme d’Etat autrement puissant. La politique impériale états-unienne avait besoin de toute façon, selon les documents officiels américains eux-mêmes bien antérieurs, d’une occasion justifiant sa projection militaire loin de ses bases pour contrôler les champs de pétrole et les oléoducs, pour poursuivre la politique d’élimination des candidats à une hégémonie régionale sub-impériale (Iran, Irak), pour davantage encore encercler et démembrer ce qui reste de l’ex-Empire soviétique et protéger leur clône politique Israël comme avant-poste privilégié.
Il se trouve que le terrorisme en ce cas est celui de groupes islamistes fondamentalistes qui entendent mener une guerre sainte au coeur de la métropole du monde occidental et qui escomptent le plus grand profit d’un acte symbolique jusqu’alors impensable. La dénonciation occidentale de ce terrorisme comme barbarie extrême rend impossible a priori toute analyse de ce terrorisme qui est imputé à un repli sur soi de communautés incapables de se moderniser, de s’occidentaliser condamnées à projeter leur sentiment d’infériorité sur les ex-puissances colonisatrices. Or, celles-ci ont cessé d’exercer leur domination et ne peuvent être responsables des échecs des castes dirigeantes arabes qui tout en développant un pétro-capitalisme rapace soutiennent le fondamentalisme islamiste. Le terroriste islamiste est le barbare qui menace la civilisation incarnée par l’Occident et notamment les Etats-Unis et qui lui oppose son fondamentalisme religieux. Or, c’est là oublier que le fondamentalisme existe en Occident aussi. Il existe du côté catholique comme du côté protestant du côté juif comme du côté hindouiste..
Le libéralisme américain issu des pères fondateurs puritains a toujours fait des Etats-Unis le successeur d’Israël, le peuple élu destiné à éclairer et protéger le monde au nom de la liberté, habilité à conduire dans le monde la lutte contre les sauvages. Aujourd’hui encore ce fondamentalisme déborde la caste dirigeante et touche les couches populaires : 70% des américains croient au diable et 30% des adultes protestants soutiennent que Dieu leur parle directement. Aux Etats-Unis de guider la croisade de la liberté contre les barbares. C’est ce fondamentalisme conservateur libéral qui a été revendiqué par des théoriciens comme Calhoun, comme le montre Domenico Losurdo (2008), pour justifier l’esclavage des noirs en plein XIX°siècle et qui a autorisé la chasse aux Peaux-Rouges accusés de barbarie et de sauvagerie pour ne pas mettre en valeur leur espace de vie. Ce fondamentalisme est un essentialisme qui transforme en entités fixes son porteur et ses valeurs tout comme son adversaire. C’est un fondamentalisme d’expansion immédiate qui transforme en barbares tous ceux font obstacle à son expansion ou qui ne se laissent pas instrumentaliser. Il s’est exprimé pat la voix du président Busch junior lors des guerres du Golfe et continue à sévir.. Aujourd’hui s’oppose à lui un fondamentalisme réactif notamment islamique qui conteste la domination d’une culture qui se veut universelle et hégémonique. Ce fondamentalisme fait valoir la réalité d’une oppression néo-coloniale maintenue par des cliques dirigeantes internes souvent soutenues par l’Occident (c’est le cas de l’Egypte, de la Jordanie, de l ‘Arabie saoudite et des Émirats arabes). Ce fondamentalisme réactif et dominé mêle à la fois une critique qui se veut expressive du désir d’émancipation des masses pauvres et un dogmatisme théologico-politique prêchant la guerre sainte contre les infidèles et une charrya patriarcale oppressive. Le succès de ce fondamentalisme réactif mesure l’absence d’alternative laissée aux mouvements d’émancipation par l’échec des nationalismes laïcs et des tentatives socialistes. Ce sont les mouvements islamistes qui sans condamner l’économie capitaliste tiennent lieu d’Etat providence en secourant les pauvres, en prenant en charge la demande de dignité. En ce sens ils ne sont pas archaïques, mais modernes. Ils refusent ainsi les formes sous lesquelles la modernité a été imposée en matière de mœurs ; ils récusent l’abandon culturel et l’humiliation. Il ne faut pas oublier que l’Occident a soutenu tout d’abord ces mouvements traditionalistes pour combattre les régimes nationalistes laïcs et socialistes qui pouvaient menacer leurs intérêts stratégiques –il suffira de faire mention et mémoire de Nasser en Egypte et plus anciennement de Mossadegh en Iran. Ce fondamentalisme est grevé par le même essentialisme qui définit son ennemi le fondamentalisme occidental. Lui aussi se veut enraciné dans une tradition religieuse, en appelle à la déconstruction des identités imposées et dénonce la barbarie, occidentale cette fois.
Ce fondamentalisme réactif peut se modifier et se socialiser, mais il faut que le fondamentalisme occidental opère à son tour la même démarche autocritique ; et celle-ci dépend de la capacité à réorienter la politique impériale et à la purifier de son hégémonisme, à imaginer des politiques de partage et de coopération, alors que la concurrence et la rapine sont la loi du monde. Tout dépend en fait de la modalité de la rencontre entre les sociétés occidentales et les autres sociétés pour que le fondamentalisme soit dépassé dans le sens de la civilité. La responsabilité du dominant est à la mesure de l’énormité de sa domination. En l’état actuel rien n’indique que cette responsabilité soit assumée. C‘est la puissance de la mondialisation qui impose en même temps qu’une économie réglée par le marché mondial une confrontation entre sociétés aux cultures historiques diverses. Cette confrontation met en jeu des identifications imaginaires de type expansif ou réactif. Elle produit le risque d’une fétichisation de ces cultures toujours en mouvement comme autant de civilisations identitaires closes. En même temps, elle libère une faible possibilité de contaminations, d’hybridations et de traductions fécondes. Ce double processus superpose de manière aporétique, sans dialectique résolutoire actuelle, un effacement des différences par la marchandisation et une réidentification inverse qui est une machine à produire des fondamentalismes. Le fondamentalisme occidental quant à lui a pour spécificité d’alterner un universalisme de principe et la production d’exceptions à cet universel. Ces clauses d‘exception excluent des catégories d’humains de cet universel ; elles justifient des guerres « anti-barbare » à leur encontre et généralisent un usage manipulatoire des droits de l’homme.. Il est « normal » que répondent à ce fondamentalisme des fondamentalismes qui se posent comme anti-occidentaux.
2 L’idéologie du choc des civilisations et le chantage à l’anti-américanisme, à l’antisionisme et à l’anti-occidentalisme
Le thème du choc des civilisations soutenu par le théoricien américain des relations internationales Samuel Huntington dans un livre homonyme devenu célèbre (1997) est devenu ainsi le pilier de la restructuration de l’idéologie libérale en idéologie impériale. Huntington soutient que le XXI° siècle ne sera plus le siècle des affrontements structurés par la lutte de classe ni même par les conflits nationaux. Il est déjà et sera toujours davantage le siècle des confrontations entre ces grands ensembles que sont les civilisations. Huntington distingue les civilisations occidentale, musulmane, chinoise, japonaise, hindouiste, slave–orthodoxe, africaine, latino-américaine, sans fournir d’autre critère de distinction que le critère religieux. Il crédite la civilisation occidentale du dynamisme le plus grand qui lui vient de sa qualité d’être une synthèse de l’hellénisme, de la romanité, du judaïsme, du christianisme catholique et surtout protestant et des Lumières. C’est la seule civilisation qui a articulé la foi en la liberté des individus, l’Etat de droit démocratique, la libre entreprise et l’économie de marché et l’universalisme individualiste. Cette civilisation est sortie de sa tentation colonialiste et impérialiste, mais sa réussite inscrite dan son génie suscite le ressentiment des autres civilisations, notamment de l’Islam qui se constitue en ennemi prêt à toutes les barbaries. Cette civilisation doit se défendre car les autres civilisations sont entrées toutes en concurrence active ou comme l’Islam en guerre. Huntington ne fait pas de différence entre islamisme et Islam. L’ennemi est l’Islam comme tel qui peut jouer de son émigration en Occident comme d’une tête de pont. L’Islam vise à une domination mondiale ; il entend mêler de manière contradictoire modernité économique et loi islamique. Cette thèse n’est pas en tant que telle nouvelle ; elle est celle de l’impérialisme libéral et de sa dérive racialiste. Elle est aussi à front renversé celle du fondamentalisme islamique. Il se trouve que le concept de civilisation identifié à la seule religion remplace celui de race. Il n’est pas mieux défini que ce dernier, car on ne comprend pas l’importance définitionnelle donnée à la religion n’est qu’un élément passablement complexe pas plus qu’on ne comprend le bien-fondé de la classification proposée des civilisations. Elle est arbitraire et mal construite ; elle ignore une multiplicité de différenciations historiques aussi bien culturelles que géopolitiques. En tout cas la barbarie extérieure dans un monde sans extérieur est de retour avec ses apories. Ce qui n’empêche pas cette idéologie impériale de faire illusion, de nourrir tous les racismes et de prêcher la guerre intestine des pauvres et des exploités, en les poussant à se dénonçer les uns les autres comme barbares.
Comme le montre Domenico Losurdo dans deux ouvrages remarquables, Contrastoria del liberalismo (2006) et Il linguaggio dell’Impero. Lessico dell’ideologia americana (2008), nous sommes en présence d’un mythe d‘origine orienté sur la démonisation globale de l’Islam. Cette démonologie ignore ou pervertit de nombreux chapitres de l’histoire. Il faut déconstruire et démystifier la nouvelle présentation de la civilisation occidentale comme fétiche abstrait et composite puisqu’il opère la fusion-confusion de divers éléments sans tenir compte de leur spécificité culturelle et politique.
-Sont ignorés ou neutralisés les divers conflits politiques et intellectuels opposant le monde grec au monde romain, le monde gréco-romain au monde juif, le monde juif au monde chrétien, le monde chrétien au monde du paganisme gréco-romain et enfin le monde chrétien aux Lumières rationalistes et laïques.
-On oublie qu’au Moyen Âge les communautés juives qui ont voulu se maintenir en ghettos et ne pas être assimilées ont été mieux traitées par les arabes que par les chrétiens. On oublie que l’antijudaïsme religieux chrétien –à ne pas confondre avec l’antijudaïsme nationaliste racialiste moderne- a expulsé le judaïsme de la civilisation, tout comme il a préconisé les croisades et supporté en sa très grande majorité la colonisation.
-On oublie les génocides qui ont accompagné l’émergence de la société chrétienne catholique et monarchiste (Amérique du Sud) et celle de la société chrétienne réformée et libérale ( massacre des Indiens de l’Amérique du Nord, ruine de l‘Inde, exploitation de la Chine, esclavage en Afrique et crimes coloniaux divers).
Dans tous les cas l’enjeu était bien l’assignation du partage entre civilisé et barbare ou sauvage. S’il faut se réjouir d’une certaine pacification de différends meurtriers, il ne faut pas tout confondre et se donner comme entité naturalisée une civilisation occidentale prise comme un bloc compact menacé aujourd’hui par un autre bloc qui serait l’Islam. C’est la phobie paranoïaque de l’Islam qui est à la base de cette reconstruction mythologique. L’élément nouveau de cet agrégat syncrétique est l’introduction au sein de la civilisation occidentale du judaïsme qui a été souvent auparavant jugé oriental par les grecs et les romains, à un moindre degré par les chrétiens qui voient en lui un ancêtre infidèle qui s’entête à ne pas reconnaître sa place de précurseur destiné à disparaître dans l’histoire du salut et de l’élection divine. Les Lumières modernes au XVIII° comme au XIX° siècles ont de même hésité à procéder à l’occidentalisation culturelle du judaïsme (Voltaire, Hegel, Nietzsche). Les conservateurs nationalistes et racialistes ont sans attendre le nazisme fait du judaïsme une expression de la décadence orientale en développant l’antisémitisme racialiste le plus violent. On peut se réjouir certes de ce retour du judaïsme au sein du patrimoine culturel. Mais en vérité ce n’est pas là le seul but de l’opération de synthèse redéfinissant l’Occident. L’enjeu est, en effet, la légitimation non pas tant du judaïsme religieux que celle du sionisme théologico-politique définissant l’Etat d’Israël fondé en 1948 et devenu le rempart de l’Occident au Moyen Orient au détriment du peuple palestinien. Ce dernier est voué à la déréliction, puisqu’il a le choix entre l’acceptation de sa défaite, la soumission comme peuple vaincu ou la stigmatisation comme terroriste islamiste s’il défend son droit à l’existence. La lutte pour l’indépendance est criminalisée comme un antisionisme qui est le masque de l’antisémitisme génocidaire.
La civilisation occidentale new look -celle que défendent Bush, les faucons américains et occidentaux avec le travailliste anglais Blair, le libéral-national italien Berlusconi, le semi-bonapartiste français Sarkozy et tant d’autres- s’érige en modèle, se constitue en une sorte de peuple des Seigneurs et des Maîtres du Monde. Elle se pose en Herrendemokratie qui définit les normes du politiquement correct. Cette idéologie impériale occidentale considère comme crypto-terroristes et ennemis barbares tous ceux qui sont coupables d’anti-américanisme, d’antisionisme, d’anti-occidentalisme. Ceux-là pour peu qu’ils cherchent à comprendre ce que cache la notion matraque de choc des civilisations sont complices de l’ennemi mortel de la civilisation. Ils sont des barbares philo-islamiques au moment même où il est devenu « normal » de développer l’anti-islamisme et la phobie anti- arabe. Là est le ciment qui unit dans la même peur tout l’Occident, toutes traditions internes confondues. Il va bien sûr de soi que tout anti-sionisme est anti-sémitisme. Silence, rompez les rangs !
Cette idéologie impériale occidentaliste fonctionne sur le mode du terrorisme intellectuel : elle interdit toute discussion historique, toute remise en cause politique. C’est une idéologie de police de la pensée ; elle justifie les mesures de répression préventive de toutes les basses polices occidentales. La peur de l’Islam et de sa barbarie désormais remplace la peur de Dieu et devient un asile de l’ignorance et un moyen de violence.
3) Barbarie et islamophobie
C’est l’Islam comme tel, en bloc, non l’islamisme, qui est le barbare barbarisant. Il menace une laïcité qu’il ne reconnaît pas ; il foule aux pieds les droits de l’homme, et encore davantage ceux de la femme qu’il maintient dans la servitude ; il est inapte à la démocratie et favorable aux dictatures comme au tribalisme. L’attaque se fait désormais tout à la fois religieuse et théologique, philosophique et politique. Le Coran en tant que tel est jugé comme le livre justifiant toutes les erreurs, autorisant tous les crimes et prêchant le djihad. C’est bien la culture arabe et musulmane qui est mise en cause par des essayistes médiatisés (Oriana Fallacci, Finkelkraut, Glucksman) tous suivant Huntington. La culture arabo-musulmane est déniée en sa richesse et complexité pour être fétichisée et naturalisée en une entité fixe reposant sur le déni des libertés individuelles, sur l’incapacité à intégrer la critique du rationalisme moderne, sur le refus des valeurs éthico-politiques de la démocratie représentative. La civilisation arabo-musulmane est présupposée construite uniquement à la fois sur le tribalisme holiste et sur le culte d’une violence sacrée à l’encontre des non musulmans. Les anglo-saxons ont même inventé un néologisme, le verbe to musulmanise, musulmaniser, pour nommer cet ensemble de pratiques négatives. La conclusion est claire. L’Occident gréco-romano-judaïco-christiano-liberal-sioniste doit se réveiller, abandonner tout angélisme et cesser de se perdre en un vain et coupable effort de compréhension qui se traduit en justification criminelle et en haute trahison. L’Islam est en fait le successeur du totalitarisme communiste dont il partage certains traits (holisme communautaire, antidémocratisme, fanatisme théologico-politique). Par ses contingents d’immigrés au cœur des métropoles de l’Occident, l’Islam prépare ses hordes d’envahisseurs. Par son terrorisme, il cherche à déstabiliser l’Occident et à le priver de ses ressources énergétiques. L’Occident doit avoir le courage de se ressaisir et de retrouver le sens de la vérité inscrit en sa tradition composite. Ces thèses sont un remake de toute une littérature réactionnaire qui a fleuri au XIX°et au XX° siècles, de Gobineau à Chamberlain, de Spengler à Rosenberg. Certains libéraux ont emboîté le pas comme Tocqueville, dont l’importance ne doit pas cacher la défense brutale et cynique qu’il fit de la conquête de l’Algérie. Il ne fut pas le seul puisque Spencer le grand Max Weber ont fait de même. Cependant la phobie anti-islamique précédente impliquait une énorme différence avec l’actuelle vague anti-islam. Pour la littérature directement racialiste, l’ennemi de l’Occident était aussi et quelquefois surtout le judaïsme. Désormais l’Arabe musulman succède au juif comme ennemi de la civilisation. Après la judéophobie, l‘islamophobie devient l’élément d’une idéologie occidentale unissant cette fois les conservateurs et les libéraux, voire les sociaux-libéraux.
Cette idéologie impériale américaine supposée unir l’Occident est extrêmement confuse et mêle trois éléments théoriques différents et inégaux qu’il convient de distinguer.
-Le premier élément se veut fondateur ; c’est l’anti-islamisme qui est une forme de critique théologico-politique remettant en cause le dogmatisme d’une religion, l’Islam et soulignant ses impuissances en matière de liberté éthico-politique et de pensée critique. Cette critique est légitime tout comme était légitime la critique des religions, de leur intolérance par les Lumières. Elle n’entraîne logiquement ni l’islamophobie ni le racisme antiarabe. Elle demeure au niveau d’une analyse de traits culturels et intellectuels que toute tradition doit accepter.
-Le second élément est l’islamophobie au sens strict qui remet en cause globalement une civilisation fixée autour de types idéaux négatifs. Cette islamophobie peut entraîner pratiquement des discriminations économiques, politiques et culturelles négatives à l’encontre des populations arabo-musulmanes qui sont installées en Europe et qui capitalisme oblige sont en leur majorité traitées comme les parties les plus basses du salariat-précariat mondialisé. Il n’est pas étonnant que ces populations ségrégées lient leur situation –pourtant souvent choisie- à la situation de domination coloniale occidentale antérieure et réclament que leur dignité soit reconnue.
-Le troisième élément est le degré extrême de la haine raciale, c’est le racisme anti-arabe et anti-musulman déclaré qui se condense sur la différence religieuse et ses rituels. La différence est stigmatisée et présentée comme infranchissable par la civilisation. A la limite, les procédures d’expulsion conduites par les Etats peuvent se coaguler en tentation d’une solution finale au nom de la sécurité et de la pureté raciale, comme en Inde le préconise le parti hindouiste antimusulman, le BJP, ou en Italie ex-terre d’émigration la Ligue du Nord ouvertement raciste et bien d’autres ailleurs. Il n‘est pas étonnant que les populations stigmatisées et insécurisées répondent par une contre-identification réactive communautaire pouvant déboucher sur le conflit ouvert au nom de l’Islam opprimé.
Là est la nouveauté historique. Les musulmans font désormais l’objet d’une mythologie néo-aryenne tentée de prêcher une nouvelle version de la solution finale. Si ces populations en Europe sont celles qui occupent des fonctions subalternes, le racisme islamophobe les empêche de s’identifier comme des travailleurs devant lutter pour leurs droits avec les autres travailleurs et les contraint à se réidentifier comme des arabes rejetés et barbares.
Si la critique de l’islamophobie et du racisme anti-arabe est relativement facile, il reste à interroger la spécificité du premier élément, la critique théologico-politique qui concerne l’Islam comme toute autre religion. Il faudrait ici une analyse historique fouillée des mouvements de critique et d’autocritiques internes à l’Islam, de ses divisions religieuses complexes et de leurs limites. La critique de la raison théologique musulmane n’est pas impossible de droit et elle existe de fait ; son histoire difficile doit être connue et notre ignorance ne nous autorise pas à ne pas prendre en compte ce qui s’opère en ce sens et en ce moment. Il faut savoir être modeste quand on constate que la critique rationaliste occidentale ne peut empêcher le retour du fondamentalisme chrétien, catholique comme protestant, ni la mise en cause de la laïcité, et cela en une étrange union avec le libéralisme. Le rejet de l’Islam hors modernité n’est pas non plus une évidence. Les sociétés musulmanes n’ont pas après leur moment de splendeur suivi le chemin conduisant à notre mixte problématique de capitalisme, de marché, de démocratie limitée et de droits de l’homme en souffrance. Elles n’ont pas développé notre universalisme individualiste ; mais rien ne dit que dernier soit la vérité ultime de la philosophie. Nous ne pouvons pas traiter cette question ici. Il suffira de remarquer que dans l’histoire certains peuples comme l’Angleterre, les Etats-Unis et certaines cultures occidentales ont pu s’affirmer en jouissant de circonstances leur permettant de jouer un rôle historico-mondial, que d’autres circonstances se sont produites pour empêcher les sociétés arabo-musulmanes de continuer à jouer ce rôle.
C’est à l’histoire comparative sérieuse qu’il faut ici recourir. Il est indéniable que des réalisations politiques, scientifiques, sociales, philosophiques se sont produites en accréditant un universalisme qui ne recouvre pas simplement l’universalisme empirique colonial et impérial. Cette thèse qui relève du constat historique ne peut pas légitimer la supériorité mythologique de la White Supremacy et encore moins autoriser l’idée d’une mission providentielle éternelle, comme celle que s’arrogent les Etats-Unis depuis toujours. La formulation de cette mission peut prendre des formes paroxystiques comme cette déclaration d’un des présidents, le démocrate Truman. Après le largage de la bombe atomique sur Hiroshima, ce dernier déclarait : « Nous remercions Dieu pour avoir mis cette arme à notre disposition, plutôt qu’à celle de nos ennemis et nous le prions aussi afin qu’il nous garde pour que nous l’utilisions selon nos dispositions et nos desseins ». Les sociétés arabes ont été colonisées et traumatisées par l’expérience historique.. Cela ne justifie pas la totalité de leurs mœurs et de leurs dogmes ; mais cela justifie leur volonté d’indépendance et leur désir de sortir de la pauvreté, étant bien entendu qu’elles-mêmes ont à faire leur propre critique, notamment celle des oligarchies corrompues et cruelles qui les dirigent. Les peuples vaincus et humiliés ont droit à la reconnaissance de leurs droits et à la compréhension, à un accès aux biens indispensables et à des conditions de vie réellement civilisées. Il en va ainsi pour le peuple palestinien écrasé, barbarisé et délégitimé par l’idéologie occidentale et par la politique négatrice de l’Etat d’Israël, et cela une fois encore au nom de l’accusation rédhibitoire d’antisémitisme là où il ne s’agit que de la critique du sionisme.
On ne peut pas faire l’impasse sur le fait majeur que la lente décadence de l’Islam après l’arrêt de son expansion a coïncidé d’abord avec la colonisation occidentale du XIX ° siècle, souvent sanglante, de sociétés arabo-musulmanes fragilisées –Maghreb, Machrek, Egypte, Inde musulmane, Afghanistan. La dislocation de l’Empire turc a ensuite ouvert la porte autour de 1920 à la ruée des puissances occidentales pour le contrôle du pétrole et pour l’assujettissement de régions entières - Iran, Irak, Syrie, pays du Golfe. C’est de cette période de servitude que date le réveil historique des pays arabo-musulmans. Contrairement à ce qu’affirment les falsificateurs du fondamentalisme christiano-sioniste-occidental, ce réveil ne s’est pas revendiqué du fondamentalisme islamiste pas plus qu’il n’a été refus de la modernisation. Il s’est produit tout d’abord au nom d’un nationalisme laïc, plus ou moins socialisant ou communisant après 1945. Il s’agissait alors d’un refus de l’assujettissement économique, politique et culturel, non d’un appel aux valeurs de la tradition islamique. Les puissances occidentales ont tout fait pour combattre ou corrompre ce nationalisme et détruire ses velléités sociales. Elles ont alors soutenu sans vergogne les mouvements fondamentalistes qui s’opposaient au nationalisme, au socialisme et à la laïcité au nom de la charrya religieuse et de la pureté de la foi. Cet échec des nationalismes socialisants a ouvert la voie aux fondamentalismes qui se sont retournés ensuite contre les alliés de la veille et ont islamisé les revendications d’indépendance et de justice.
Il revient aux citoyens de ces pays d’interroger ce mélange de réactions anti-occidentales violentes et de revendications légitimes à satisfaire par d’autres moyens que ceux de la barbarie et la fureur théologico-politique et de l’appel à la guerre sainte. Il revient aux forces sociales et politiques luttant encore pour l’émancipation dans les sociétés occidentales de tout faire pour créer les conditions d’une autocritique réflexive de l‘Occident sur lui-même. Si le meilleur visage des traditions occidentales est bien l’universalisme de l’égale liberté, ce n’est pas ce visage qui a été présenté aux sociétés dominées comme les sociétés arabo-musulmanes. Le visage qui leur a été opposé a été et est encore souvent celui du peuple élu, de la démocratie des seigneurs qui tout en se revendiquant de l’universalité de la catégorie d’homme civilisé s’est attribuée de fait la position de surhomme dominant une masse de sous-hommes. La catégorie de sous-homme n’est par ailleurs pas une invention de Hitler ou de Nietzsche seulement. Elle est déjà présente dans l’idéologie des défenseurs américains de l’esclavage des noirs, du génocide des indiens, de l’infériorité et de la dangerosité des juif, comme le théoricien L. Stoddard, auteur en 1920 d’un ouvrage retentissant traduit en français en 1925 sous le titre Le flot montant des peuples de couleur contre la suprématie mondiale des blancs et en 1922 de The New World of Islam (cités par Losurdo 2008), ou comme le fameux industriel Henry Ford inspirateur admiré de Hitler, auteur en 1920 de The International Jew (traduit en allemand en 1933).
Les sociétés islamistes procéderont d’elles-mêmes à l’emendatio intellectus de leur fureur théologico-politique ou bien rien de positif ne se passera. Il n’y rien de positif de toute manière à poursuivre sans argumentation approfondie cette gigantomachie périlleuse dénonçant ce qui peut nous apparaître discutable dans les sociétés arabo-musulmanes. Toute réflexion autocritique suppose deux conditions. La première est de ne pas nous faire des illusions infondées sur ce qu’est notre propre démocratie castratrice de la puissance d’agir et de penser de ses propres masses subalternes. La seconde est de nous souvenir qu’il a fallu un processus porteur de circonstances singulières pour envisager la conquête populaire de droits, y compris les droits des femmes en Occident
Cette double autocritique ne doit pas cependant être mal comprise. Pour l’Occident, d’une part, elle ne signifie pas autoflagellation, mais elle exige la compréhension des impasses que représentent les nouvelles croisades entreprises au nom d’une démocratie qui ne serait que celle des Maîtres et Seigneurs du Monde supposés définir La Civilisation. Elle ne peut signifier non plus prédication d’intentions humanistes sans effets. Elle ne peut être réalisée que si les les masses ou multitudes subalternes d’Occident interrompent pratiquement et politiquement l’état de violence barbare auquel les soumet le capitalisme mondialisé et s’engagent dans un procès qui n’écarte pas a priori la contre-violence, sans pour autant céder à la fascination d’une violence autodestructrice et manipulable par des Etats armés de moyens de répression inouïs. Pour l’Islam, d’autre part, cette autocritique ne consiste pas à rêver d’un Islam modéré. Celui-ci existe déjà sous la forme des cliques dirigeantes corrompues par le capitalisme mondial, des magnats du pétrole qui canalisent la révolte de leurs peuples exploités en attisant le fondamentalisme juste pour que cette révolte demandant la dignité et la vie soit la dose de haine de l’Occident compatible avec l’équilibre des rapports de force. Cet équilibre dispense le pouvoir établi de toute politique de transformation assurant l’indépendance et la solidarité. Il est nécessaire pour rendre possibles des compromis entre castes dirigeantes. Il n’est pas immodéré, en effet, de lutter pour l’indépendance et des conditions de vie dignes de ce nom. Il s’agit de savoir si les sociétés islamiques et l’Islam en tant que système différencié de croyances et de conduites conformes peuvent transformer leur révolte. Celle-ci se manifeste certes en tant qu’anti-occidentalisme menacé de dérive théologico-politique et il s’agit de la transformer en capacité politique de critique et d’autocritique en identifiant les ennemis réels -cliques dirigeantes, groupes économiques capitalistes prédateurs, sectes fascinées par la destruction. Ceci veut dire qu’il importe de procéder au bilan de l’héritage disponible dans les relations complexes de l’Islam avec l’Occident, de promouvoir chacun la capacité de comprendre les raisons des autres. L’Islam n’a pas à renoncer à ce qui dans son combat est absolument légitime, mais il ne peut plus éviter de scruter ses propres faiblesses, de mettre en cause son imaginaire (le rêve de l’Oumma universelle dans une maison unique de la paix au lieu de la construction d’une union des distincts). Il s’agit bien aussi pour lui de se prémunir de ce qui pourrait se révéler être une Herrendemokratie islamiste, de désigner l’objet fondé de son autocritique, les dogmatismes ancien et nouveaux. Nul ne pourra le faire à sa place.
L’idée de guerre des civilisations est bien une idéologie de guerre qui risque de se transformer en selffullying prophecy, en prophétie autoréalisatrice, et de déboucher sur des conflagrations d’une barbarie inouïe en détournant les pauvres et les dominés des combats émancipateurs. Cette guerre, en effet, si elle était consentie par les peuples occidentaux serait une guerre fratricide des pauvres de tous les pays belligérants ; elle aurait pour victimes ces pauvres et exploités fanatisés et abusés, comme en 1914. Elle laisserait renforcées les puissances hégémoniques du capitalisme mondialisé qui feraient des affaires fabuleuses par la vente d‘armes et par les profits de la reconstruction Elle n’empêcherait pas les compromis avec les oligarchies arabes. Il y a urgence à éviter cette catastrophe en construisant un internationalisme de toutes les classes exploitées et des peuples asservis. Il est temps que cesse cette politique du bord du gouffre de la confrontation avec l’Islam que le monde chrétien n’a cessé de mener contre lui, son antique concurrent. Il est temps que l’Occident critique sa propre barbarie qui produit la barbarisation de ces autres alors condamnés à la barbarie réactive. Il faut sur le plan culturel renouer le lien avec une culture qui en son temps a été capable de se mêler de manière féconde à l’Occident (tolérance des juifs, transmission des textes grecs, philosophie, sciences).
Conclusion en forme de rebond. En quoi l’occident peut-il se définir comme la civilisation ?
A l’Occident, semble-t-il, de se redéfinir selon sa meilleure part, en relançant le processus de compréhension de l’autre sans le qualifier de barbare, en renonçant à incarner a priori le Bien dans sa lutte manichéenne contre le Mal, à engager la critique de la place singulière qu’il occupe dans le système-monde, alternant production-création et destruction. A lui de surmonter et d’éliminer l’idéologie impériale du choc des civilisations. Cette autocritique n’est pas une simple tâche intellectuelle ; elle est politique et a besoin des luttes des classes, couches, groupes qui entendent en finir avec les rapports structurels d’inégalité, avec l’apartheid mondial et avec la catastrophe écologique en cours qui dévaste la terre. L’Occident doit vaincre sa barbarie intérieure que le capitalisme mondialisé nourrit en grande part s’il veut éviter la catastrophe des violences qui décivilisent.
Mais ne sommes-nous pas trop optimistes en supposant la réalité de la part supposée la meilleure de la conscience de soi que prend ce que l’on nomme l’Occident ? La réalité en cours permet-elle encore ce partage ? De quelle façon définir historiquement cette part ? Ne faut-il pas une ultime fois revenir sur les critères de fait qu’une civilisation particulière donne de la civilisation universelle ? Il est toujours possible par la réflexion philosophique normative de donner corps à l’idée de meilleure part et de proposer un tri, un jugement critique. Mais l’histoire est têtue. La réponse philosophique n’est pas univoque et elle se divise. Il faut de manière terrestre revenir une fois encore à la réponse historique. L’Occident définit sa civilisation qui est toute la civilisation selon cinq critères problématiques, la démocratie, le marché, la religion, la connaissance scientifique, l’universalisme individualiste. Refaisons le point une dernière fois en nous guidant sur la seule l’effectivité historique, dût-en souffrir l’idéalité normative.
-La démocratie représentative est bien le régime politique dominant et normativement imposé. Mais rien ne dit qu’en son état actuel d’ensemble de procédures démocratiques destinées à neutraliser tout conflit potentiellement transformateur et à prévenir toute modification de l’ordre établi la démocratie soit viable. Cette démocratie-là est d’ailleurs fragile et récente comme le prouve l’émergence des fascismes européens et des dictatures au XX° siècle. Elle attend sa transformation en démocratie processus tout comme la société islamique.
-Le marché mondial existe bien comme un universel empirique et l’on sait quelles violences caractérisent son hégémonie financière. Celle-ci reproduit la séparation des travailleurs et des masses de leur puissance d’agir et combine tout à la fois menace de crises dévastatrices et production de superfluité humaine et de catastrophe écologique.
-La religion, c’est-à-dire le christianisme, a beau être invoquée comme ciment spirituel de plein droit de la civilisation, mais le christianisme après vingt siècles n’a toujours pas surmonté son processus de division interne. Partout il a abandonné de manière majoritaire l’évangile et son ferment égalitaire pour justifier les politiques d’églises ambiguës. Il n’a plus rien à dire pour l’instant si ce n’est de lutter pour sa propre reproduction dogmatique en marginalisant toutes les théologies de la libération, en compensant cette politique par un humanitarisme caritatif sans perspectives ;
-La connaissance scientifique s’universalise aussi ; mais à elle seule elle est impuissante. Elle ne peut pas civiliser le monde, tant elle est vulnérable à la commande sociale des puissants et incapable de se constituer en sens commun émancipateur et de réfléchir ses présupposés.
-L’individualisme universaliste est bien une sorte de langue philosophique qui se veut commune. Toutefois il se divise en interprétations qui ne sont pas univoques. Il est contesté avec de bonnes raisons par des orientations philosophiques contradictoires où la critique holiste du lien social individualiste n’est pas dépourvue de fondement. Il faut laisser ouvert ce conflit des interprétations. Et surtout, on l’a vu, dans la pratique des controverses politiques l’universalisme de principe n’a de portée que critico-négative puisqu’il s’est toujours lié historiquement à des clauses d’exception. La communauté des hommes libres s’est traduite historiquement en une hiérarchisation de communautés humaines jugées inférieures, sinon barbares.
Que reste-t-il alors pour étayer un critère historique clair et distinct ? Ceci : la civilisation occidentale en sa pratique historique actuelle n’est qu’une fonction d’interdiction idéologique exercée par une catégorie vouée à exclure de la civilisation tous ceux qui sont considérés comme étrangers, ennemis, barbares de l’intérieur se mettant d’eux-mêmes en extériorité interne. La réponse à la question revient à une tautologie décevante et menaçante. L’Occident est surtout ce qu’il n’est pas ; il n’est pas le Non-Occident. Ce dernier demeure ce conteneur où sont massés les peuples qui ont subi le destin de la colonisation ou de la soumission. Historiquement l’identité civilisationnelle occidentale en ses diverses contradictions et ses figures successives est une fonction de confinement des autres dans un rôle subalterne. Il faut espérer et lutter pour que ce ne soit pas là le dernier mot de l’histoire sous peine d’universalisation de la barbarie intérieure à la fois de l’Occident et de l’Islam.
Juillet 2009
A lire également sur le site, parmi d’autres textes d’André Tosel : Les deux voies de l’imaginaire néo-libéral et leur tension.
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Quelques uns textes d’André Tosel à lire sur le site :
Les deux voies de l’imaginaire néo-libéral
Quelle démocratie entre conflit social et identitaire ?
Mettre un terme à la guerre infinie du monde fini
50 thèses sur la mondialisation capitaliste et un communisme possible
A propos de Jaurès : le bien commun de notre époque
Du bâclage d’Onfray au ratage de Freud
Pour Gramsci, sans une volonté éthico-politique publique, il ne peut y avoir société