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"Cette roue qui nous emporte…" de Jean-Pierre Shamber
La critique de Rémi Boyer

L’art de la nouvelle est particulièrement délicat. Jean-Pierre Schamber y excelle. Nouvelliste d’exception, il rassemble dans ce recueil cinq nouvelles, plusieurs déjà primées, ciselées, étonnamment justes, profondément réalistes, qui posent, pour plusieurs d’entre elles, la question du rapport de l’art et d’un quotidien, souvent tragique : Tournedos Rossini, Dripping, Le Nécessaire à sushis, I.V.V., La Fileuse. Elles se déroulent de 1945 à 2025.

Sa plume fluide et érudite, d’une « vivance » accrue, plonge le lecteur dans des situations à la fois banales et révélatrices des absurdités, des mensonges, des aliénations de notre monde. L’humour, discret, porte un éclairage blafard sur les psychés en proie avec leurs contradictions, voire leur imminente disparition, sur l’évidence inexorable de l’injuste.

Que le cadre du drame, souvent silencieux, soit la guerre, ou l’entreprise, les contre-jours ou les trompe-l’oeil suivent les mêmes principes aléatoires de l’apparence. Le lecteur, à travers un personnage joué plutôt que joueur, se trouve confronté à l’impossibilité de détisser la trame de la bêtise, des rendez-vous manqués avec soi-même, des trahisons de la mémoire.

Malgré tout, la beauté demeure, celle de l’être en sa simplicité, sa naïveté même, qui, brutalement, se retrouve nu non pas face à l’adversité mais grâce à l’adversité. Qui suis-je alors dans l’éclatement de l’illusoire ? Un vivant. Peu probable certes et pourtant…

Les nouvelles de Jean-Pierre Schamber sont doubles. Elles célèbrent l’être humain en sa fragilité et sa simplicité. Elles dénoncent implacablement, quoi que parfois insensiblement, presque l’air de rien, les travers d’une société qui broie toute tentative d’humanité. Elles invitent à ne pas se laisser happer par le jeu des négoces, à questionner les évidences martelées. Les nouvelles de Jean-Pierre Schamber font penser et font se penser.

« Sans me regarder, Marianne avala rapidement la boisson rose, une lumière verte s’alluma. Sa main pressa la mienne, elle me fixait avec intensité. Je vis ses yeux briller et une larme couler le long de sa joue, je m’avançai vers elle et tendis la main pour saisir le verre contenant le liquide opale. Elle me repoussa avec un sourire lointain en murmurant : « Au revoir mon amour, merci pour tout ». Un peu avant la fin du premier mouvement [du concerto pour violon de Berg, A la mémoire d’un ange], la lumière verte s’éteignit après avoir clignoté plusieurs fois. Sans un spasme, sans une contraction, sa main relâcha doucement son étreinte et s’ouvrit, paume vers le ciel. J’attendis l’ultime murmure de la dernière note tenue du violon, posai mes lèvres sur sa bouche encore tiède, arrangeai, une dernière fois, une mèche de ses cheveux, et sortis, sans rencontrer personne. »
Extrait de I.V.V.

Cette roue qui nous emporte… de Jean-Pierre Schamber, Editions Fondencre.

Vous pourrez découvrir quelques nouvelles de Jean-Pierre Schamber sur le site http://www.bonnesnouvelles.net/auteurs.htm ou auprès de son éditeur, Fondencre, Beaupré, 23800 Sagnat, France (fondencre@free.fr).


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