A la mémoire de Pier Paolo Pasolini
Tout homme a le droit et le devoir d’exiger pour lui et pour
tous les autres la liberté de l’esprit.
Elsa MORANTE, Petit Manifeste des communistes (sans classe ni parti)
Après plusieurs semaines de réflexion et quelques jours d’hésitation, j’ai décidé de soutenir ouvertement la candidature de Jean-Jack Queyranne, président sortant de la Région Rhône-Alpes, dès le premier tour des élections régionales de mars prochain. En effet, si mes informations sont bonnes, il y a ICI neuf listes en concurrence, et seulement deux se réclament officiellement de la droite, le Front national et l’UMP — qui, en partie, chassent sur les mêmes terres. Mes camarades communistes — de loin les plus nombreux — et mes nouveaux amis du Front de gauche, je l’espère, ne hurleront pas trop à la trahison. Cette nouvelle compétition, malgré ses fines attaches territoriales, a des parfums d’échéance franchement nationale. Et, par les temps qui courent, sur fond de grave malaise social, de crise financière mondiale et de débat raté sur l’identité nationale, les risques de voir la droite profiter de nos divisions sont nombreux. Ma conclusion actuelle est assez simple : il faut tout faire pour barrer la route à la droite, et à la droite extrême.
Le péril, à mes yeux, reste bien réel, malgré les effets d’annonce de la presse et des instituts de sondages.
Je l’avoue, j’avais terminé l’année 2009 avec, en tête, d’autres idées. Et, surtout, d’autres perspectives semblaient alors s’ouvrir à nous… Mais les querelles inutiles, les luttes fratricides ont, ensuite, eu raison de l’intelligence et de la bonne volonté des meilleurs d’entre nous. Et cela existe depuis si longtemps… En écrivant cela, je ne cherche nullement à justifier mes choix, mon geste. Je n’en ai pas besoin. Je vise plutôt l’efficacité. Et, en soutenant Jean-Jack Queyranne, pour qui j’ai de l’estime et du respect, dont le bilan d’ailleurs a largement été partagé par une grande partie de la gauche actuelle, je n’ai pas le sentiment de trahir mon idéal de justice et de liberté, la radicalité généreuse et le communisme intégral.
Aujourd’hui, la direction du PCF elle-même est divisée, et les membres de ce parti sont dispersés. D’ailleurs, il ne semble même plus y avoir de direction du tout. C’est mon avis, et il vaut ce qu’il vaut. Je ne suis expert en rien. Mais je demeure profondément attaché à quelques valeurs morales, et à quelques principes qui ont, JADIS, jeté les bases d’un communisme véritable. Camus, en son temps, parlait de remplacer la politique par la morale. Il y avait, sans doute, de la naïveté dans ces paroles-là. Mais quand j’assiste, en citoyen impuissant, au nivellement par le bas des masses populaires, au rabaissement volontaire du moindre concept philosophique ou de la plus anodine pensée désintéressée, je repense à Camus, à ce frère aîné disparu. Mais forcément, je m’égare, je prends plusieurs chemins à la fois.
Comment, cependant, ne pas non plus songer à Pier Paolo Pasolini, lui qui fit dans son pays, et à plusieurs reprises, voler en éclats toutes les idées reçues, ainsi que le conformisme colossal de la société italienne de l’époque… Cette fois, la partie charnelle de moi l’a emporté sur la partie émotionnelle. La nostalgie d’un PCF puissant, peu à peu, me quitte... S’éloigne, pour toujours. Le présent et l’avenir occupent désormais tout mon esprit. Je ne me sens pas assez libre. Et je souhaite encore prendre de la hauteur.
Face à ce qui se dérobe, à tous les malentendus de la terre, je veux rester à découvert. Parmi nous, beaucoup trop d’individus avancent le visage masqué par l’hypocrisie et, aussi, voilé par le mépris. Je n’ai pas adhéré au PS, et les chicanes domestiques de cette grande formation me dégoûtent depuis longtemps. J’ai, pourtant, d’entrée préféré le projet d’un « programme commun de gouvernement » à l’antisocialisme primaire. Et je ne suis d’aucune faction, je les combattrai toutes, disait Saint-Just. Mais face aux offensives de la droite néolibérale, démagogique et parfaitement décomplexée, face à celles de la droite nationaliste, sécuritaire, sexiste, homophobe et raciste, je conseille d’abord l’union au sein d’un vaste rassemblement de toutes les forces de la gauche.
Naïf, direz-vous. Non, optimiste.
Ou réaliste, plutôt.
J’ose espérer que nous parviendrons bientôt à surmonter toutes les difficultés rencontrées, et à libérer l’élan vital et fervent qui nous anime.
J’ose, pareillement, croire à la possibilité d’un monde meilleur, plus juste, plus humain, donc plus égalitaire.
J’ose encore croire que notre planète malade et polluée va enfin sortir de l’état lamentable dans laquelle elle se trouve.
Je suis un fils du peuple, fils et petit-fils d’ouvriers. Et j’ai le droit, sinon le devoir, de l’ouvrir bien large, ma bouche, et aussi à ma guise — envers et contre tous.
L’exigence de clarté est d’une nécessité totale, une priorité absolue. Alors, évitons chaque mensonge, et combattons de toutes nos forces la lutte des places.
Il est temps, pour moi, de voler de mes propres ailes.
C’est sans aucun état d’âme que je voterai Jean-Jack Queyranne le 14 mars prochain.
Très cordialement,
Thierry Renard
Écrivain
P.S. (1) C’est volontairement que je n’ai pas abordé, dans ces lignes, les questions culturelles. Je craignais que l’on me taxe de corporatisme. Mais, à ce sujet en Rhône-Alpes, et durant son mandat à la tête du précédent exécutif régional, Jean-Jack Queyranne aura su se montrer à la fois discret et exemplaire. Et, en ces temps confus, les questions culturelles sont cruciales et doivent, plus que jamais, revenir au premier plan, occuper le devant de la scène. Il en va de la survie de notre civilisation.
P.S. (2) C’est, aussi, volontairement que je n’ai pas cité, dans ces lignes, les trois autres formations de gauche auxquelles, pourtant, quelquefois je me réfère.
LUTTE OUVRIERE est totalement repliée sur elle-même et veut, définitivement, faire cavalier seul. C’est une organisation ouvriériste, voire populiste.
Le NPA manque encore d’expérience. Il frôle souvent l’incompétence et a peur de se retrousser les manches. Depuis Camus et Sartre, cette fois réunis, j’ai perdu ma foi dans la pureté révolutionnaire ; j’ai déjà lu Les justes et Les mains sales.
Quant à EUROPE ECOLOGIE, c’est le mouvement que, jusqu’à présent, j’ai le moins fréquenté. Certaines des thèses qu’il répand ne me sont, cependant, pas du tout étrangères. Mais quelques-uns de ses dirigeants, ou de ses membres, restent sectaires. D’autres m’ont, déjà, paru opportunistes. Et, enfin, j’attends de lui qu’il développe une dimension sociale plus profonde, en tout cas bien plus marquée.