L’aggravation actuelle de la tension autour de la Côte d’Ivoire traduit la crise du processus de paix tel qu’il s’était patiemment construit dans ce pays avec les accords de Marcoussis (2003), Prétoria (2005) et Ouagadougou. Ces accords prévoyaient :
.le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la Côte d’Ivoire,
.le désarmement des combattants et forces rebelles et leur intégration dans une armée nationale unique,
.le rétablissement de l’autorité de l’Etat dans tout le pays
.la préparation et la tenue d’élections présidentielle et législatives.
Dans l’esprit de ces accords, la préparation et la tenue d’élections générales étaient prévues comme couronnement du processus de paix. Le désarmement des combattants et forces rebelles, notamment des Forces Nouvelles de M. Guillaume Soro (« premier ministre » du « président de l’ombre » M. Ouattara) était considéré comme une condition pour la réalisation de ces élections. Ainsi, le 4è accord complémentaire à l’accord politique de Ouagadougou (2008) prévoyait, dans son article 5, qu’ « en tout état de cause le démantèlement des milices devra être achevé au plus tard deux mois avant la date fixée pour l’élection présidentielle ».
Le processus de paix, qui s’appuyait, en outre, sur les principes de bon voisinage, de non-ingérence et de coopération régionale tels qu’il figurent dans la Charte des Nations Unies, a été peu à peu malmené par le propre secrétaire général des Nations Unies, son Représentant spécial en Côte d’Ivoire (M. Choi) ainsi que par certaines puissances occidentales (notamment la France et les Etats-Unis) et leurs alliés en Afrique (notamment le Nigéria, qui dirige la CEDEAO, et le Burkina Faso) qui s’abritent derrière le vocable de « communauté internationale ».
1/ Le non respect par l’ONU et les puissances occidentales du 4è accord complémentaire à l’accord de Ouagadougou
L’exigence de l’article 5 mentionné ci-dessus a, ces dernières années, été mis discrètement de côté par l’ONU et les puissances occidentales (France et Etats-Unis en particulier). C’est ce qu’il apparaît, concernant l’ONU, à la lecture des différents rapports du secrétaire général des Nations Unies sur l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) et des résolutions du Conseil de sécurité sur la côte d’Ivoire de 2010, bien que ces différents documents continent – pour légitimer la mission de l’ONUCI - de se référer aux accords de Ouagadougou dans leur globalité. Ces documents misent de plus en plus sur l’établissement d’une liste électorale et l’organisation d’élections pour mener à bien l’établissement de la paix, sans exiger au préalable le désarmement complet des milices armées, le rétablissement de la police, de la justice et de l’ensemble de l’autorité de l’Etat en particulier au nord du pays. Le rapport sur l’ONUCI daté du 18 octobre 2010, soit deux semaines avant le 1er tour des élections ne parle plus de processus de désarmement et d’absence d’autorité de l’Etat dans les régions centre et nord du pays. Il se concentre exclusivement sur le processus électoral, tout en admettant des problèmes pour assurer la sécurité des élections à venir.
Dans un précédent rapport (daté du 20 mai 2010), le secrétaire général notait bien que « (…) le président Gbagbo et le parti au pouvoir ont jugé que la situation en matière de sécurité dans le nord du pays ne permettait pas d’y organiser librement une campagne électorale et d’y tenir des élections libres et régulières. Ils ont par conséquent demandé que le désarmement et la réunification du pays soient achevés avant les élections comme le prévoit le 4è accord complémentaire à l’accord de Ouagadougou. Les partis d’opposition ont accusé le parti au pouvoir et le président d’utiliser ce 4è accord comme prétexte pour retarder indéfiniment les élections ». Et le rapport ajoute plus loin : « De nombreux interlocuteurs dont le Facilitateur [1] estiment que les questions relatives à ces deux processus (…) doivent être abordés en même temps afin de ne donner à l’une ou l’autre des parties aucun prétexte pour ne pas s’acquitter de ses obligations ». Ce rapport révèle ainsi implicitement le rôle central joué par M. Compaoré [2] et de ses alliés dans la mise à l’écart de l’article 5 du 4è accord complémentaire.
Le rapport ci-dessus indique que « de nombreux problèmes se posent au programme de désarmement, démobilisation et réinsertion, notamment le manque de capacités du Centre de commandement intégré, qui est le principal organe national d’exécution (…) De nombreux interlocuteurs ont indiqué à la mission d’évaluation que la solution à ces problèmes passe par une assistance technique et matérielle de la part des partenaires internationaux, sans laquelle les difficultés pourraient servir de prétexte pour justifier l’absence de progrès ». Tout en reconnaissant ainsi les problèmes que connaît le processus de désarmement et la nécessité d’une assistance technique internationale, le rapport poursuit : « Les accords de Ouagadougou restreignent le champ de la réforme du secteur de la sécurité à la réunification des forces ivoiriennes de défense et de sécurité et des Forces Nouvelles, laissant à plus tard, après les élections, la question des politiques et de la nouvelle architecture du secteur de la sécurité du pays. Toutefois, un large éventail d’initiatives de réforme du secteur de la sécurité peuvent déjà être soutenues par l’ONUCI ». [3].
L’emploi de l’expression « restreignent le champ de la réforme du secteur de la sécurité » peut être lu comme une critique implicite de la lettre du 4è accord complémentaire. La priorité de la réunification des forces armées régulières et des Forces nouvelles de la rébellion, point central du processus de désarmement et de l’article 5 du 4é accord complémentaire, est relativisée par la proposition qu’« un large éventail d’initiatives de réforme du secteur de la sécurité peuvent déjà être soutenues par l’ONUCI ». Ce rapport sur l’ONUCI a pu, de fait, ouvrir la voie à une exécution « flexible » de la condition de « désarmer avant de tenir les élections », ou, pour le dire plus directement, à une non exécution de cette condition. Pas plus que le rapport ultérieur du 16 octobre 2010 (ainsi que les résolutions subséquentes du Conseil de sécurité) ce même rapport ne fait état de l’examen d’une « assistance technique et matérielle de la part des partenaires internationaux » telle qu’elle pourrait résoudre les « difficultés » qui « pourraient servir de prétexte pour justifier l’absence de progrès » pour reprendre les termes cités du rapport en date du 20 mai 2010. Parmi ces difficultés, les problèmes de sécurité soulevés par le président Gbagbo dans la zone nord du pays n’ont pas été abordés.
Le glissement observé dans les rapports sur l’ONUCI - qui voit le secrétaire général s’éloigner progressivement du 4è accord complémentaire à l’accord de Ouagadougou - se retrouve également dans les résolutions successives du Conseil de sécurité. Si la résolution 1795 (2008) déclare que le Conseil de sécurité approuve l’accord de Ouagadougou et ses accords complémentaires et appelle à la mise en œuvre de ces derniers, plaçant comme priorité la préparation de listes électorales et le désarmement, la récente résolution 1962 (20 décembre 2010) place au premier rang des dossiers relatifs au processus de paix la question de l’organisation d’élections – cette fois-ci - législatives avant d’autres « chantiers en suspens » comme la réunification du pays, la restauration de l’autorité de l’Etat dans l’ensemble du pays. Le désarmement, la démobilisation et la réintégration des ex-combattants, le démantèlement des milices ne sont cités qu’après. Le Conseil de sécurité reconnaît au passage qu’au moment de la tenue des élections présidentielles, il n’y avait pas de restauration de l’autorité de l’Etat dans l’ensemble du pays ni de réunification de ce dernier.
On conçoit aisément que le président Gbagbo, longtemps réticent à l’organisation d’élections présidentielles avant l’achèvement du processus de désarmement ait fini accepter la tenue de celles-ci en 2010, sous la pression de l’ONU et des puissances occidentales, afin de ne pas apparaître (comme l’accusaient les rebelles) comme celui qui ne voudrait pas d’élections du tout, et qu’il ait reçu pour cela des assurances que ces élections se dérouleraient normalement.
Pourtant, au lendemain du premier tour de ces élections et cinq jours avant le second tour, le XXVIè rapport sur l’ONUCI (du 23 novembre 2010, le dernier rapport en date publié sur le site de l’ONU) estime la sécurité « stable mais fragile » et reconnaît que le désarmement n’a pas été achevé, de même que la réintégration des anciens combattants et la réunification du pays n’ont pas été menées à bien. « Le taux de criminalité est resté élevé dans la plupart des régions du pays avec une augmentation à l’ouest ». Ce rapport reconnaît par ailleurs que l’autorité de l’Etat n’est toujours pas rétablie dans les zones occupées par les Forces nouvelles. Ces dernières continuent de prélever les impôts et les taxes douanières et autres « taxes illégales » et de faire « à leur manière » la police et la justice car, comme le dit le rapport, « en absence d’officiers de police judiciaire et de forces de sécurité déployées, les tribunaux ne sont à même de juger aucune affaire criminelle ». Dans ces zones occupées, les prisons ne sont pas non plus sous le contrôle de l’Etat, particulièrement au nord. Concernant la situation des droits de l’homme, le rapport note des violations de toutes parts et dans toutes les régions, mais souligne que la situation reste « particulièrement précaire à l’ouest » et le respect pour les droits de l’homme est « généralement bas » au nord du pays.
Qui peut penser que des élections livres et justes et correspondant aux normes internationales (comme l’exigent diverses résolutions du conseil de sécurité [4]) peuvent se tenir dans des régions où l’Etat n’a aucune autorité, se trouvent sous le contrôle complet de rebelles armés alliés à l’un des deux candidats du second tour (M. Ouattara), ces derniers faisant eux même la police et la (leur) justice en toute impunité selon le rapport cité ci-dessus ? Que peut-il se passer lorsque les rebelles ne tiennent pas leurs engagements et que la présence onusienne se révèle, dans les faits, insuffisante pour se substituer complètement et efficacement à l’autorité de l’Etat dans les zones où ce dernier est absent ? Peut-on s’étonner ensuite des révélations du Conseil constitutionnel concernant la fraude à grande échelle, les intimidations des électeurs et les agressions à l’encontre de scrutateurs représentant le candidat Gbagbo dans les zones tenues par les rebelles des Forces nouvelles, révélations confirmées par des observateurs africains non liés au « camp Gbagbo » et à la politique ivoirienne ainsi que par des victimes elles-mêmes ?
De nombreux juristes d’Afrique et d’Europe appellent actuellement à la réalisation d’un audit international des élections présidentielles. Il s’agirait d’un recomptage des voix et d’une enquête transparente sur les circonstances dans lesquelles ont eu lieu les élections en particulier au nord et à l’ouest du pays (les autres zones n’ayant pas fait l’objet de réclamations post électorales). Pourquoi la France, l’Union européenne, les Etats-Unis ainsi que des hauts fonctionnaires de l’ONU tels que MM. Ban Ki Moon et Choi et leur poulain M. Ouattara s’opposent-ils catégoriquement à toute idée d’audit, de recomptage et d’enquête sous contrôle international ?
2/ Le non respect par la dite « communauté internationale » et par le Représentant du secrétaire général des Nations Unies de l’Etat de droit ivoirien et du propre mandat de l’ONUCI
Il est utile de rappeler que le Conseil de sécurité des Nations Unies a établi, par des résolutions successives, le mandat de l’ONUCI et des forces françaises comme moyen de contribuer au processus de paix tel qu’il ressort des accords de Marcoussis, Pretoria et Ouagadougou. La Résolution 1739 (2007) stipule que l’ONUCI et les forces françaises doivent en particulier apporter leur concours au processus de désarmement et démantèlement des milices, appuyer le rétablissement d’administration de l’Etat partout en Côte d’Ivoire et appuyer l’organisation d’élections ouvertes à tous, libres, justes et transparentes. La Résolution 1911(2010), qui reconnaît que le processus de désarmement connaît des retards, précise que le mandat du Représentant spécial du Secrétaire général en côte d’Ivoire est de certifier toutes les étapes du processus électoral. Cette certification obéit à cinq « points de référence » exposés dans le XVIè rapport du secrétaire général distribué le 15 avril 2008.
Selon ce rapport, le Représentant doit déterminer :
« a) si les conditions de sécurité pendant la période précédant les élections sont propices à la pleine participation de la population et des candidats ;
b) si le processus électoral est ouvert à tous ;
c) si tous les candidats ont un accès équitable aux médias d’Etat et si ceux-ci demeurent neutres ;
d) si les listes électorales sont crédibles et acceptées par toutes les parties ; et
e) si les résultats des élections sont déterminés à l’issue d’un dépouillement transparent et accepté par tous ou contesté de manière pacifique par les voies appropriées » [5]. Et le rapport ajoute : « Ces points de référence sont définis en consultation avec tous les partenaires nationaux et internationaux. Mon Représentant spécial poursuit les consultations avec toutes les parties afin de parvenir à une interprétation commune de chaque point de référence (…) ».
Les cinq points de référence ci-dessus constituent le mandat du Représentant du Secrétaire général et n’interfèrent évidemment en rien dans la loi ivoirienne, en premier lieu la Constitution et la loi électorale qui fixent les règles concernant l’organisation des élections et la proclamation des résultats, ainsi que la compétence de la Commission Electorale Indépendante (organe administratif) et du Conseil Constitutionnel (organe judiciaire supérieur et juge de la constitutionnalité des lois).
L’article 94 de la Constitution ivoirienne dispose, dans son alinéa 2, que « Le Conseil statue sur (…) les contestations relatives à l’élection du Président de la République (…) et proclame les résultats définitifs des élections présidentielles ». L’article 98 du texte constitutionnel pose que « Les décisions du Conseil Constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux Pouvoirs Publics, à toute Autorité Administrative, juridictionnelle, militaire et à toute personne physique ou morale ». Il ressort de ces deux articles :
.qu’il revient au Conseil constitutionnel et non au président de la CEI ou à un haut fonctionnaire de l’ONU de proclamer les résultats définitifs des élections présidentielles de Côte d’Ivoire ;
.que toute décision du Conseil constitutionnel s’impose à la CEI et à l’ONUCI.
Notons que le Représentant spécial du secrétaire général de l’ONU avait respecté le droit ivoirien lors du premier tour des élections comme l’indique le XXVIè rapport sur l’ONUCI. Ce rapport note que « le 6 novembre, le Conseil constitutionnel a proclamé les résultats définitifs du premier tour de l’élection présidentielle, validant ainsi les résultats provisoires annoncés par la Commission électorale (…) le Représentant spécial du Secrétaire général a expressément certifié le 12 novembre les résultats du premier tour de l’élection présidentielle en se fondant sur le cadre de certification mentionné au paragraphe 32 du XVIè rapport sur l’ONUCI [cité ci-dessus]. Le Représentant spécial a suivi et analysé de près le processus électoral, notamment (…) l’annonce des résultats provisoires par la Commission électorale indépendante et la proclamation des résultats définitifs par le Conseil constitutionnel. Après avoir analysé et évalué de façon approfondie les résultats définitifs du premier tour de l’élection présidentielle, il est parvenu à la conclusion que l’ensemble du processus, depuis son lancement jusqu’à la proclamation des résultats définitifs, avait été pacifique et démocratique et que les résultats de l’élection avaient été déterminés de façon transparente. » [6].
Rappelons ici qu’après le second tour des élections, M. Ouattara se déclare vainqueur sur la base de résultats provisoires communiqués dans un lieu privé (hôtel) par le président de la CEI à des chaines de TV occidentales et en présence des Ambassadeurs des Etats-Unis et de la France. La communication de ces résultats provisoires, n’était d’ailleurs pas le fruit d’une décision unanime de la CEI, contrairement à la règle de l’unanimité établie pour le fonctionnement de cet organe. Et il n’appartenait pas à la CEI mais au Conseil constitutionnel de proclamer le nom du vainqueur, non sur la base de résultats provisoires mais définitifs et incontestables. En outre, le Conseil constitutionnel avait été saisi, sur le fondement de l’article 94 de la Constitution, de contestations relatives à des fraudes intervenues dans les régions nord et ouest du pays.
Quand au Représentant spécial du secrétaire général, contrairement à ce qu’il avait fait au lendemain du premier tour dans le respect de son mandat et de la Constitution, il n’a pas non plus voulu attendre la délibération du Conseil constitutionnel et la proclamation par ce dernier des résultats définitifs pour donner sa certification du second tour des élections. Le « point de référence » « e) » de son mandat lui commandait en particulier d’évaluer « si les résultats des élections sont déterminés à l’issue d’un dépouillement transparent et accepté par tous ou contesté de manière pacifique par les voies appropriées [7] ».
Pourquoi M. Choi a-t-il outrepassé son mandat ainsi que les articles 94 et 98 de la Constitution et reconnu M Ouattara vainqueur sur la base de résultats provisoires alors qu’il s’était bien fondé, d’après le XXVI rapport du Secrétaire général, sur « la proclamation des résultats définitifs par le Conseil constitutionnel » pour certifier le premier tour des élections ?
On peut également mentionner le non respect, par la CEDEAO menée par le Nigéria, de la constitution ivoirienne dans la mesure où cet organe régional [8] déclarait, dans un communiqué rendu public le 7 décembre dernier à l’occasion du sommet d’Abuja : « Afin de protéger la légitimité du processus l’électoral, le présent sommet fait sien les résultats déclarés par le Représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies en accord avec la résolution 1765 du Conseil de sécurité des Nations Unies daté du 16 juillet 2007 [9]. En conséquence, les chefs d’Etat et de gouvernement reconnaissent M. Ouattara comme président élu de la Côte d’Ivoire (…) ».
Il est curieux, à cet égard, de constater que, si la CEDEAO s’appuie sur l’ONU (en l’occurrence le Représentant spécial) pour reconnaître expressément M. Ouattara, l’ONU (en l’espèce son Conseil de sécurité) s’appuie, elle, sur la CEDEAO pour reconnaître (de façon indirecte, il est vrai) ce même M. Ouattara comme président : « Le Conseil de sécurité (…) exhorte toutes les parties à respecter la volonté du peuple et les résultats du scrutin attendu que la CEDEAO et l’Union Africaine ont reconnu en M. Alassane Dramane Ouattara le Président élu de la Côte d’Ivoire et le dépositaire de la volonté librement exprimée du peuple ivoirien, ainsi que l’a proclamé la Commission Electorale Indépendante » [10]..
Notons, au passage, que, dans la Résolution ci-dessus [11], le Conseil de sécurité écarte tout respect de la Constitution de la Côte d’Ivoire et du propre mandat du Représentant spécial du secrétaire général tel qu’exposé dans le XVIè rapport sur l’ONUCI (déjà cité). La Résolution du Conseil de sécurité entre en contradiction avec l’article 2.7 de la Charte des Nations Unies qui stipule qu’ « aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relève essentiellement de la compétence nationale d’un Etat (…) » et de l’article 24.2 de la même Charte selon lequel : « Dans l’accomplissement de ces devoirs, le Conseil de sécurité agit conformément aux Buts et Principes des Nations Unies » [12].
Les injonctions, en décembre 2010, du président de la République française ou du président des Etats-Unis à l’égard du président constitutionnel de la Côte d’Ivoire ainsi que les menaces émises par des Etats au nom de certaines organisations régionales contre la Côte d’Ivoire, outre qu’elles sont également en contradiction avec le droit international, ne peuvent que mettre d’avantage en cause le processus de paix [13].
Que révèlent les évènements en Côte d’Ivoire et l’échec actuel de l’ONUCI ? Comme on l’a vu ci-dessus, les actes du secrétaire général, de son Représentant spécial et du Conseil de sécurité vont à l’encontre des principes du processus de paix, du propre mandat du Représentant spécial et surtout des principes de la Charte des Nations auxquels ces actes doivent obéir. Tout ceci vient à la suite des expériences jusqu’ici malheureuses des missions de maintien de la paix en Afghanistan [14] et en Haiti. Le statut des missions de la paix des Nations Unies, la définition de leurs mandats (comment contribuer à la construction d’un processus de paix ?) et le contrôle de l’exécution de ces mandats ne devraient-il pas être revus ? Pourquoi ne pas prendre en compte les quelques expériences positives d’assistance onusienne aux processus de paix telles celles du Libéria et du Mozambique - où les élections n’ont été organisées qu’à la suite d’un processus effectif de démilitarisation, de rétablissement de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire et de réconciliation nationale (écartant les « seigneurs de la guerre ») ?
Dans l’immédiat et concernant la Côte d’Ivoire, il paraît important de souligner que la sauvegarde du processus de paix reste liée au respect des principes de la Charte des Nations Unies, ce qui inclut le respect des règles de l’Etat de droit ivoirien et de ses institutions et ce qui exclut toute ingérence externe et toute menace ou emploi de la force contre l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de la Côte d’Ivoire.
[1] M. Blaise Compaoré, président du Burkina Faso depuis l’assassinat (dans des circonstances restées obscures à ce jour) de Thomas Sankara en 1987. C’est un fidèle allié de la France.
[2] Félicité d’ailleurs par une récente résolution du Conseil de sécurité.
[3] Mots soulignés par l’auteur de l’article
[4] Dont la résolution 1765 (2007).
[5] Souligné par l’auteur de l’article
[6] Mots soulignés par l’auteur de l’article
[7] Notamment le Conseil constitutionnel.
[8] Sous la présidence actuelle du président nigérian, en indélicatesse depuis longtemps avec le président Gbagbo.
[9] Par cette résolution 1765 (2007) le Conseil de sécurité décide que « le Représentant spécial du Secrétaire général en Côte d’Ivoire devra certifier que toutes les étapes du processus électoral offrent toutes les garanties nécessaires pour la tenue d’élections présidentielles et législatives ouvertes, libres, justes et transparentes en accord avec les normes internationales (…) ».
[10] Résolution 1962 (2010) du Conseil de sécurité
[11] La France aurait été à l’origine de sa première rédaction.
[12] Nous touchons ici au fameux problème de l’inexistence d’un mécanisme de contrôle de légalité des actes du Conseil de sécurité.
[13] Dans ce cadre, notons également les menaces de « sanctions internationales » brandies par M. Soro (allié de M. Ouattara) à l’égard d’entreprises qui continueraient à commercer ou investir en Côte d’Ivoire. De son côté, M. Ouattara appelait à « interdire » et à boycotter pour une période déterminée les exportations ivoiriennes de cacao et de café. M. Yao Kouamé Joseph, président du Syndicat Agricole des Producteurs Individuels et Coopératives de Côte d’Ivoire (SAPICOCI) a répondu en demandant à M. Ouattara de lever cet appel qui, selon lui, « ne ferait qu’accroître les souffrances des paysans ».
[14] Rappelons ici que le Secrétaire général de l’ONU et le Conseil de sécurité ont légitimé l’élection du président Karzai malgré de sérieuses allégations de fraude à l’encontre de ce dernier.