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Dans le monde, mais aussi en France, alerte rouge sur la francophonie !
Simone Bosveuil, Georges Gastaud, Gaston Pellet, Régis Ravat, Albert Salon, Matthieu Varnier

On peut certes, comme Mme la ministre déléguée chargée de la francophonie, se satisfaire du fait que le français est « la seconde langue la plus enseignée » au monde et que le français, ce « beau cadeau » est aujourd’hui parlé par 220 millions de personnes [1]. Il n’en reste pas moins que la situation de notre langue et de la francophonie internationale, partout bousculée et harcelée par l’avancée totalitaire du tout-anglais, se dégrade rapidement.

Hors de France d’abord. En Belgique, où – dans la quasi-indifférence de l’U.E. et de l’Etat fédéral belge – des élus flamands extrémistes prétendent proscrire l’usage public du français. En Suisse, où une partie des élites alémaniques agit sans relâche pour substituer l’anglais première langue au français dans les écoles publiques. Au Québec, les élites anglo-formatées se font agressivement l’écho d’une campagne permanente des milieux dirigeants du Canada qui cherchent à liquider les lois assurant au français son statut de langue officielle de la Belle Province. Même si nous devons être reconnaissants à l’Afrique de rester aux avant-postes de la francophonie internationale, il faut bien observer que l’édifice se lézarde rapidement au sud de la Méditerranée. Après le Rwanda qui, en 2009, a rompu avec la francophonie pour rallier le camp anglophone, le Burundi s’oriente vers le Commonwealth [2]. Lors de sa visite officielle au Rwanda, le président gabonais, M. Ali Bongo Olimba a annoncé « étudier l’expérience rwandaise dans l’introduction du bilinguisme » [3] : et le dirigeant africain d’arguer malicieusement qu’après tout, nombre d’institutions françaises privilégient déjà l’anglais…

La situation n’est pas moins grave sur notre sol. Non seulement la loi Toubon, votée unanimement par le parlement en 1994, est bafouée par nombre de firmes qui se dénomment en globish et qui font leur publicité dans cet idiome approximatif, non seulement certains ténors de la chanson et du cinéma « français » trahissent de plus en plus la langue de Brassens et de Rohmer pour, prétendument, s’exporter en anglais, non seulement de grands évènements culturels subventionnés par l’argent public comme les Francofolies si mal nommées font une place grandissante à l’anglais, non seulement nombre d’émissions diffusées en prime time (sic) s’intitulent-elles en anglais (Flop TEN de L. Ruquier, Come on, Summertime, Down Town sur Inter, The Voice sur TF1, The Summer of Rebels sur Arte, etc.) sans que cela mobilise outre mesure le C.S.A., mais on observe un début de glissement, voire de basculement linguistique, au cœur même de l’enseignement public. A l’initiative de Luc Chatel, l’école maternelle se prépare à plonger les bambins – qui ne maîtrisent pas encore les structures de leur langue… maternelle – dans un bain linguistique anglophone. Portée par le même ministre UMP et conservée telle quelle par M. Peillon, la réforme des lycées minore l’enseignement de notre langue et développe l’enseignement « en langues étrangères » (l’anglais se taille évidemment la part du lion…) des « disciplines non-linguistiques » : or, on ne sache pas que la réciproque vaille en Angleterre, où les bacheliers n’ont plus l’obligation d’apprendre une langue étrangère… Quant aux universités, leurs présidents ne se contentent pas de réclamer une exemption de la loi Toubon : la recherche, y compris parfois en sciences humaines, et plusieurs Grandes Ecoles emmenées par feu le président si controversé de Sciences Po, basculent illégalement à l’anglais. Ces manageurs dépourvus de dignité nationale et de sens civique annulent ainsi le geste démocratique qui fut celui de Descartes en 1637 : c’est pour être compris du grand public de son temps que ce grand novateur écrivit en français (et non en latin) son Discours de la méthode. Déjà, nombre de grandes entreprises franciliennes imposent à leurs salariés de travailler en anglais : les choses en sont au point que des syndicats de toutes obédiences, confrontés à l’angoisse des cadres et des autres salariés [4], sont amenés à revendiquer ce droit élémentaire : travailler en français en France ! Le record de discrimination linguistique est atteint quand de grandes entreprises recrutent ouvertement des anglophones de naissance [5] pour occuper leurs postes de direction : ce qui revient à instituer une préférence nationale à l’envers, non moins insupportable que la préférence nationale à l’emploi chère aux partis xénophobes !

A l’arrière-plan de cet arrachage géant de la langue de Molière, il n’y a pas seulement la « mode » (qui en décide, d’ailleurs ?) ou la mondialisation néolibérale – laquelle découle d’ailleurs de choix politiques. Nous affirmons que le basculement au tout-anglais découle d’une politique linguistique et culturelle totalitaire dont l’origine est à chercher du côté de l’oligarchie financière mondialisée et des milieux dirigeants de l’Union européenne. Du côté du syndicat patronal européen dont l’ancien président, M. E.-A. Seillière, a donné le signal du basculement quand en 2006, s’exprimant devant le Conseil européen au nom de Business-Europe, il annonça devant Jacques Chirac – qui eut alors la dignité de quitter la salle – qu’il s’exprimerait « en anglais, la langue des affaires et de l’entreprise ». Comment une telle déclaration déplairait-elle au MEDEF dont un récent manifeste intitulé Besoin d’aire appelle à en finir avec l’Etat national français pour « reconfigurer les territoires » et souhaite « une gouvernance européenne beaucoup plus intégrée pour aller vers des États-Unis d’Europe » [6] ? Quant à l’UE, elle piétine ses traités fondateurs, qui lui font obligation de respecter « l’identité » des Etats-membres, en établissant officieusement – et bientôt, officiellement si le « saut fédéraliste » en cours va au bout de sa logique – la langue anglaise comme langue officielle de l’Union. Quand donc les peuples ont-ils été appelés à débattre de ces questions et à les trancher de manière démocratique ? Qui a consenti en notre nom ces incroyables transferts de souveraineté linguistique ? Au contraire, une effarante chape de plomb médiatique pèse sur le basculement linguistique en cours : pour une large partie de la droite, il faut certes ne rien dire qui puisse ralentir le sacro-saint « saut fédéraliste » souhaité par le haut patronat. De même l’« internationalisme » mal compris d’une certaine gauche favorise-t-il naïvement l’entreprise « globalitaire » sans précédent qui tente d’imposer au monde une langue unique (et avec elle, une politique et une économie uniques !). Mais en quoi la destruction de la diversité linguistique, chair et sang de la diversité culturelle mondiale, importerait-elle moins à l’humanité future que la nécessaire préservation de la biodiversité ?

A cette situation linguistique dramatique, c’est peu dire que le gouvernement n’apporte pas la riposte nécessaire. Certes nous n’en sommes plus au flamboyant mépris des francophones que cultivèrent « Sarko l’Américain », « Christine The Guard » ou le « French Doctor » Kouchner qui, ministre des Affaires étrangères, a osé déclarer que l’avenir de la francophonie passe… par l’anglais [7]. Certes, il y a eu cet acte d’élémentaire dignité du chef de l’Etat demandant à M. Fabius de s’exprimer systématiquement en français à l’étranger. Certes, le candidat Hollande a pris position contre les cours universitaires dispensés en anglais. Il a même rappelé à nos ambassadeurs que «  la promotion de la langue, de la création françaises, c’est l’affirmation d’une vision du monde qui fait place à toutes les cultures ». Mais depuis le 6 mai, les actes forts sont rares. Sollicitée par plusieurs associations de défense de la langue française, la ministre déléguée à la francophonie botte en touche sur la question du tout-anglais [8] et n’a toujours pas répondu à la demande d’entrevue que lui avaient adressée ces associations. Rien n’est fait non plus pour annuler ou pour corriger la LRU, dite loi Pécresse, dont certains dispositifs incitent indirectement les universités à privilégier l’anglais. Pis, le candidat socialiste s’est engagé à faire ratifier la Charte européenne des langues minoritaires et régionales dont l’objet réel est de désétablir la « langue de la République » (article II de la constitution), alors qu’il y aurait mille autres manières de promouvoir nos langues régionales, ce patrimoine commun de la Nation (et pourquoi pas en outre, les langues de l’immigration là où c’est utile à l’intégration citoyenne ?) dans le cadre de la République indivisible héritée de la Révolution. Que restera-t-il de notre langue lorsqu’elle sera prise en étau entre le séparatisme régional à prétexte linguistique et le tout-globish maastrichtien à l’échelle du sous-continent ? La langue de l’ Edit de Nantes, de la Déclaration de 1789 et des Jours heureux promis par le CNR à la Libération, est-elle vouée à devenir en France, en quelques décennies, l’équivalent de ce qu’est devenue la noble langue gaélique en Irlande ?

Car si les langues mettent des siècles à émerger pour porter l’histoire d’un peuple, elles mettent fort peu de temps pour s’effacer, comme l’a montré Claude Hagège : comme en d’autres domaines de la vie sociale chamboulés par le néolibéralisme mondial, il faut donc se résoudre à résister franchement ou à collaborer honteusement. Parce que nous choisissons la première voie, celle de l’égale dignité entre les peuples, nous appelons nos concitoyens – et notamment les plus modestes, qui sont les plus menacés par le basculement en cours – à exiger des autorités qu’elles fassent respecter la loi à l’école, à l’entreprise, dans la « com » , dans la vie économique et à l’université. Nous soutenons la proposition – enterrée par la précédente majorité politique – portée par le député J.-J. Candelier – d’installer une commission d’enquête parlementaire sur la situation linguistique de la France. Car ceux qui veulent substituer le Wall Street English [9] à la langue de Victor Hugo voudraient bien que l’assassinat linguistique pût s’imposer de manière « consensuelle », sans débat public. Ceux qui veulent au contraire que vive le message séculaire de liberté, d’égalité, de fraternité et de Lumières communes porté par notre langue, exigent qu’un large débat s’engage en France sur la politique linguistique de notre pays.
« Que les bouches s’ouvrent », citoyens ! Ne nous laissons pas couper la langue en silence !

Georges Gastaud, philosophe, président du COURRIEL, Régis Ravat, syndicaliste, président de l’AFRAV, Albert Salon, ancien ambassadeur, président d’Avenir de la Langue Française, Simone Bosveuil, agrégée d’espagnol, Gaston Pellet, résistant linguistique, Matthieu Varnier, ingénieur satellite.

Notes :

[1C’est ce que répond un conseiller de Mme Benguigui aux défenseurs de la langue françaises qui demandaient audience à la ministre chargée de la francophonie.

[3"Le Gabon souhaite regarder de près l’expérience rwandaise dans l’introduction du bilinguisme", a affirmé le porte-parole de la présidence A.-C. Bilie-By-Nze lors d’une conférence de presse au retour d’A. Bongo des Nations Unies. http://www.leparisien.fr/informations/francophonie-le-gabon-terre-francophone-veut-se-mettre-a-l-anglais-01-10-2012-2194985.php ) ; cf aussi http://www.rfi.fr/afrique/20121002-gabon-veut-mettre-anglais-ali-bongo-ondimba-commonwealth-francophonie-rwanda-rdc

[4Un colloque de la CFE-CGC s’est tenu le 7 mars 2012 (http://www.franceinfo.fr/player/reecouter::Parler anglais au travail, une source de stress et de fatigue ). Egalement : http://www.francophonie-avenir.com/video_CGT-Danone_contre_le_tout-anglais.htm ; http://youtu.be/FNKJ02Ssu0A.

[5Le nom de code est « English mother tongue ». il faut que les lecteurs puissent reconnaître cette formulation désormais courante dans les journaux pour cadres. Ce n’est pas céder à l’anglomanie que d’user de l’expression anglaise, c’est au contraire en marquer la brutale insolence. Mais tenant compte de votre remarque, je mets le français dans le corps du texte et l’anglais en note infrapaginale.

[6Cf Le Monde Michel Noblecourt 15 février 2012.

[7Deux ou trois choses que je sais de nous – Laffont, 2006. « Il faut une francophonie ouverte à l’anglais. La francophonie ne doit pas être opposée à l’anglophonie ».

[8Réponse datée du 14 septembre 2012, sous la signature de M. Patrick Lachaussée.

[9Bien entendu, aucune hostilité de notre part contre la belle langue de Shakespeare. C’est le tout-anglais que nous visons clairement.


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