De Gaulle mérite-t-il d’être au programme des élèves de terminale littéraire ?
De Gaulle a écrit ses Mémoires de guerre avec un souffle épique indiscutable. Il rend compte de ces années qui l’ont propulsé d’obscur colonel d’un régiment de chars de combat au rang des personnages premier plan. Le génie du tout nouveau général aura été de comprendre et de donner un sens aux exigences historiques de l’année 1940. Il le traduira dans le fameux appel du 18 juin, qui le conduira à poursuivre une politique qu’il définira au fil des mois, au cours de débats âpres et de confrontations avec les anglais et américains.
Ce texte faisait écho à celui, émis en France la veille, le 17 juin par Charles Tillon. Il appelait à la résistance les français. Celui du Général de Gaulle, qui n’avait pas eu connaissance de cet appel de Tillon, est plus militaire que politique, et enfin il y aura l’appel de Thorez-Duclos, le 10 juillet, appel plus politique que militaire. Tous ces grands politiques ont traduit dans des œuvres mémorielles le souffle de ces années de sang, de larmes et de cendres.
La valeur de ces œuvres est sans conteste inégale, mais toutes permettent de comprendre et d’appréhender l’évolution contextuelle de l’époque et de mesurer les efforts réalisés par le Peuple pour progresser sur le chemin de la Liberté. C’est dire tout le contenu historique qu’elles recouvrent. Faut-il pour autant les étudier en section littéraire ?
Je ne le pense pas, car cela amoindrirait leur vertu essentielle : donner à comprendre un mécanisme historique. L’étude des mémoires de De Gaulle ou d’autres me paraît déterminante dans le champ de l ‘apprentissage de l’Histoire, secteur cruellement malmené par les différentes réformes de l’éducation nationale. Mais dans le champ de la littérature, faut-il s’en remettre au fait que les Mémoires de Guerre furent publiées en 2000 dans la prestigieuse bibliothèque de la Pléiade pour déclarer urbi et orbi que cette œuvre manque au savoir des futurs bacheliers ? Rien n’est moins certain. Car que doivent apprendre les élèves de terminales littéraire ? A mon sens ce sont moins des textes que les évolutions de courants littéraires, les tentatives de modifications du genre, les réussites, les échecs, les quêtes des auteurs, les œuvres magistrales resituées dans le contexte des autres oeuvres, les structurants du langage écrit. Et convenons que la multitudes des écrivains qui méritent d’être étudiés, analysés et lus, est immense tant les talents sont nombreux, la bibliothèque de la Pléiade est en l’illustration. C’est le temps qui permettra de décanter dans ce qui paraît indispensable aujourd’hui ce qui paraîtra dans un siècle accessoire.
De fait, le choix de cette œuvre doit recouvrer d’autres réalités. Cette décision, me semble-t-il est à examiner dans le cadre d’un autre champs historico-politique, celui d’aujourd’hui. Cette décision intervient alors que le Président Sarkozy et sa politique sont malmenés dans les indices d’opinions. Un des problèmes rencontrés par l’UMP lors des élections régionales a été le manque de réservoir de voix potentielles pour le second tour. La stratégie du camp présidentiel est donc de jeter les bases d’une ré-identification aux contours de l’héritage gaulliste. Les villepinistes progressent dans les sondages, leurs voix ne doivent pas faire défaut. Tout est donc fait pour les rendre agrégables, quitte à fouler aux pieds des réalités. C’est pourquoi, en quelques jours les références au gaullisme deviennent le passage obligé du pouvoir. Ainsi, le 12 juin 2010, monsieur Fillon devant les nouveaux adhérents de l’UMP affirme, s’agissant du problème de la retraite : « Nous n’avons pas d’autres priorités que de sécuriser le régime par répartition qui a été le fruit de l’engagement de la volonté du CNR et du premier gouvernement dirigé par le général de Gaulle ». C’est donc bien pour répondre à une volonté politique que nos jeunes gens de terminale devront ingurgiter les mémoires de celui qui avait une certaine idée de la France, certainement loin de la réalité d’aujourd’hui.