Nous retrouvons avec grand intérêt l’un des meilleurs poètes français dans une salutaire décréation magique, à l’assaut de tous les simulacres, de toutes les fausses citadelles, des douleurs non de l’être mais d’être, un solve sanglant qui évacue un trop plein infiniment trompeur.
Chez Jean-Christophe Belleveaux, les voyages dans les géographies du monde ne conduisent pas à une cartographie intérieure. Il commence par dessiner des cartes du monde volontairement fausses pour explorer les espaces de la manière la plus juste qui soit. C’est une queste de silence, de paix, de lumière qui se déploie à travers le bruit, la guerre, l’obscur, un contre-mensonge unique face à la multiplicité des contre-sens et contre-vérités. Un combat perdu d’avance mais qui se révèle une victoire éclatante de l’être en soi par le jeu des lettres en soi.
Dans un avant-propos, Jean-Jacques Marimbert fait une allusion au Grand Jeu. La poésie de Jean-Christophe Belleveaux est bien plus exigeante qu’une analyse freudienne ou qu’une introspection religieuse. Ce qui se donne à voir brûle le regard. Ce qui se dit est implacablement transperçant. Seule la transparence est acceptée. Le moi-peau est de trop. C’est dépecé que l’on peut s’approcher du réel.
il emploierait volontiers
la 3ème personne
pour se débarrasser du je
il sait bien
que cela ne suffira pas
à faire bouger les frontières
il sait que la grammaire
ne volera pas en éclats
pour autant
ni le lexique
ni l’orthodoxie
il essaie autre chose
un dessin :
c’est un visage
des ombres, un peu
de couleur rouge
mais il ajoute un mot :
sauvage
Les dessins d’Yves Budin soulignent crument cette solitude sauvage qui dévore la destinée. Plus personne. Des traces. A peine.
mais ça aussi : DRAPEAUX VIDES / pas même le blanc de la reddition ; il y avait sans doute la posture du combattant qui ne se rend pas – je dis bien posture – surtout cette idée de vide, d’aucune bannière, déjà les braises en moi, en attente de mon souffle pour les attiser
je me suis bagarré avec tout ça j’ai fait du doute un habit à peu près supportable
la grande fatigue, elle, me jette aux bords de l’impudeur : tout déballer, faire le tri ou alors foutre le feu tout de suite à l’entière baraque
ah, que je cesse tout d’abord avec la métaphore, que j’incendie pour de vrai le langage, que le cri se fasse, hors des trois lettres alphabétiques qui le composent !
c’en est trop !
Si la grammaire structure le monde, les mots peuvent-ils dissoudre le langage ? Le monde avec lui ?
alors dans le charabia
j’enfonce mon aiguille
et aspire
puis shoote le poison
dans la phrase
Démolition de Jean-Christophe Belleveaux, illustrations d’Yves Budin Editions Les Carnets du Dessert de Lune, 67 rue de Venise, 1050 Bruxelles, Belgique. www.dessertdelune.be