La Cinémathèque Française a cette année 76 ans. Age respectable pour cette institution qui est un véritable service public de la mémoire, de la connaissance et de la diffusion du cinéma. Depuis 1976 il en existe une à Nice. Si, comme nous l’explique sa directrice, Odile Chapel, son statut est celle d’une régie municipale, les liens sont très forts avec la Cinémathèque Française.
Odile Chapel. Les cinémathèques sont des lieux de conservation, de diffusion du patrimoine cinématographique mondial mais également des lieux de formation des jeunes générations et du jeune public pour les sensibiliser à l’histoire du cinéma. Tout le monde pense que c’est un lieu poussiéreux, où l’on éternue, et où l’on s’ennuie : bien au contraire, une cinémathèque, c’est un lieu de vie, une maison du cinéma. C’est un lieu que tous les publics fréquentent dans un amour et une passion commune.
A son départ, la cinémathèque de Nice, crée en 1976, était une délégation de la Cinémathèque Française, fondée par Henri Langlois…
C’était une délégation permanente de la Cinémathèque Française, c’est à dire que c’était une extension de ses activités en province, dont à l’époque Henri Langlois m’avait confié la charge. A la suite de sa disparition [1977] la Cinémathèque a été obligée de prendre une certaine indépendance, et en 1991 elle a été, compte tenu de son activité, considérée comme une sorte de service public culturel et a été mise en régie municipale.
Quelle a été l’objectif, pour Henri Langlois, de créer cet outil, en 1935 ?
Henri Langlois a pris conscience de l’importance de la conservation du cinéma bien longtemps avant qu’il mette en forme avec Franju les fondations de la Cinémathèque. Je crois que c’était simplement quelqu’un amoureux de l’art, de toutes les formes d’art, et qui a pris conscience, au moment du passage du muet au parlant, du désastre qui se produisait. C’est à dire l’abandon, par les industriels du cinéma, du passé au profit des nouvelles technologies. Il a eu à cœur de conserver ce témoignage du passé et d’accentuer cette conservation dont on voit aujourd’hui combien elle est importante. Le cinéma est né au XIXème siècle, mais, au début du XXIème, on s’aperçoit qu’on a perdu une grande partie de son histoire.
Et à l’international ?
Il existe dans d’autres pays une voire plusieurs cinémathèques, mais il existe surtout la Fédération Internationale des Archives du Film, qui est une sorte d’O.N.U des cinémathèques, et les rassemble autour de cette mission de conservation.
Vous parliez de « formation des jeunes générations et du jeune public »…
La Cinémathèque de Nice a mis en place un double dispositif de formation à l’image. Premier dispositif en direction du public scolaire du niveau primaire, des projections de films soit qui appartiennent à l’histoire du cinéma, soit des films qui ont rapport avec l’enseignement fondamental qui leur est dispensé. Projection de films avec un petit manuel à la fois éducatif et ludique où l’on revient sur l’histoire du cinéma et l’histoire du cinéma dans notre région. Et puis évidemment on leur donne des éléments d’information sur le film qu’ils viennent de voir avec à l’appui quelques petits jeux. Ces films sont choisis par leurs enseignants. Nous avons accueillis au cours de l’année 2010 plus de 7000 enfants. Deuxième dispositif nous avons créé ce que nous appelons une « classe image ». Pendant 4 jours, une classe vient avec son professeur, son instituteur, et apprend à faire un petit film d’animation. C’est quelque chose qui nous apporte une grande satisfaction. On s’aperçoit que c’est un moyen extraordinaire de cohésion où chacun est mis en valeur à la fois de manière individuelle et en même temps c’est le collectif qui est valorisé et c’est un moyen très rapide, très efficace, pour apprendre le langage cinématographique.
Quel type de cinémathèques existe en France ?
Aujourd’hui il y a outre celle de Paris, 2 cinémathèques nationales, la cinémathèque de Toulouse et l’Institut Louis Lumière à Lyon, qui est une cinémathèque nationale en raison des collections des Frères Lumière. Il y a d’autres cinémathèques régionales, chacune a une spécificité. Et la cinémathèque de Nice, de part son histoire, a un fonctionnement qui se rapproche, à l’identique, d’une cinémathèque nationale, avec les départements diffusion, conservation, formation et édition.
Si l’on regarde la programmation de janvier, on y trouve la première partie d’une rétrospective Clint Eastwood, un hommage à Greta Garbo, des films on va dire « classiques » et des films qui sont assez récents.
La programmation est conçue de la façon suivante : il faut que chaque amoureux du cinéma puisse trouver quelque chose qu’il aime et qu’li ait envie de voir à la Cinémathèque. C’est une sorte de patchwork avec un hommage à un réalisateur, un hommage à une comédienne, un regard sur une cinématographie ou sur un pays, un courant esthétique particulier. Et puis, bien évidemment, les classiques, les incontournables qu’il faut au moins avoir vu une fois dans sa vie. Aussi quelques films un peu plus récents.
Justement, pourquoi trouve-t-on en cinémathèque des films dont certains sont sortis il ya tout juste un an ?
A partir du moment où le film est sorti du circuit commercial, qu’il n’est plus en exploitation commerciale, qu’il est sorti en DVD et à la télévision, une cinémathèque a tout à fait le droit de le programmer. Il tombe en statut non commercial.
Bien sûr vous privilégiez la version originale.
C’est un exemple que je donne régulièrement : comment un spectateur américain peut-il apprécier l’art de l’immense comédien Raimu s’il n’entend pas la voix de Raimu ? Imaginons que nous n’entendions pas la voix d’Orson Welles dans « Citizen Kane » : c’est un grand morceau de l’intérêt et de l’art de ce film qui disparaît.
Depuis deux saisons, la cinémathèque de Nice organise le « Ciné -Club » de Jean Douchet [1]…
C’est de nouveau un lien avec la Cinémathèque de Paris, où Jean Douchet donne régulièrement ses cours de cinéma. Je suis particulièrement heureuse qu’il vienne nous rendre visite une fois par mois. Et je trouve que c’est un privilège et une chance extraordinaire que les cinéphiles niçois puisse avoir accès à son enseignement et à son regard tellement particulier, novateur, sur le cinéma, sachant que ce n’est pas quelqu’un qui est dans le passé. Et là nous avons deux films représentatifs du cinéma du présent : « Collatéral » de Michael Man et « Mystic River » de Clint Eastwood.
Pendant le mois de mai, à 30 km de Nice, c’est le festival de Cannes : la cinémathèque en profite pour un « Spécial Cannes » avec chaque année une sélection de palmes d’or, de grands prix du scénario, [2] de grands prix d’interprétation…
Je trouve normal que la Cinémathèque de Nice a cette manifestation incontournable, la première dans le monde, le premier hommage dans le monde au cinéma. Cette année, nous ferons aussi un petit clin d’œil du coté de Cannes. Je ne vous en dis pas plus pour le moment !
Propos recueillis par Jacques Barbarin. Janvier 2011.