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Die Linke, entre gauche radicale et défi à la social-démocratie
Par Jacques-Pierre Gougeon

A un moment où la gauche européenne peine à trouver la faveur des électeurs, avec plusieurs élections générales perdues depuis 2007, l’évolution du paysage politique allemand caractérisée par l’émergence et la stabilisation d’une force politique à la gauche du parti social-démocrate (SPD), suffisamment forte pour représenter une concurrence électorale sérieuse et peut-être préparer une recomposition des lignes et alliances politiques traditionnelles, ne peut que retenir l’attention. A cet égard, l’année 2008 marquera incontestablement un tournant dans l’histoire politique et électorale allemande. En effet, pour la première fois depuis 1946/1947, un parti se situant à la gauche du parti social-démocrate (SPD), Die Linke, La gauche, est entré quasi simultanément dans plusieurs parlements régionaux ouest-allemands, franchissant les 5 % constitutionnellement nécessaires pour siéger : en Hesse, en Basse-Saxe et à Hambourg. Même en Bavière, elle a manqué de peu la barre des 5 % lors des élections régionales du 28 septembre 2008. Curieux retour de l’histoire : en effet, si, à la suite des élections régionales de 1946/1947 dans la partie occidentale de l’Allemagne, où il obtint en moyenne 9,4 % des suffrages, dépassant même 10 % en Bade-Wurtemberg, à Hambourg et en Rhénanie-du-Nord- Westphalie, le parti communiste d’Allemagne (KPD) avait pu occuper une place sur l’échiquier politique, confirmée par son score de 5,7 % aux élections fédérales de 1949, il s’éclipsa ensuite très vite de la vie politique allemande (2,2 % aux élections fédérales de 1953), bien avant son interdiction par la Cour constitutionnelle en 1956. Réapparu en 1969 sous l’appellation de Parti communiste allemand (DKP), ses succès électoraux ne furent pas meilleurs. De même, si une autre forme de gauche radicale tenta de se structurer dans les années 1966/1968, notamment sous la forme de la Gauche démocratique et de l’Opposition extraparlementaire, les succès électoraux ne furent pas durablement au rendez-vous, exception faite de quelques grandes villes industrielles et/ou universitaires comme Mannheim et Stuttgart. Après la fin du terrorisme des années 1970, le débat sur la gauche radicale dans le paysage politique disparut. Ce n’est qu’au lendemain de l’unification, avec la présence dans les Länder de l’Est du Parti du socialisme démocratique (PDS), en partie héritier — mais pas uniquement — de l’ancien parti communiste d’Allemagne de l’Est, Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED), que cette notion et cette discussion réapparaissent, dans un contexte et avec un contenu différents bien sûr. La présence de cette autre forme de gauche radicale a été interprétée par une large majorité de politologues et d’observateurs comme un phénomène passager, comme l’expression momentanée d’une déception à l’égard d’un processus d’unification qui devait nécessairement faire des « perdants ». Cette gauche à la gauche du Parti social-démocrate était censée disparaître avec la diminution du nombre des « perdants » de l’unification et le retour, notamment à l’Est, à une situation économique et sociale plus favorable. Or, il n’en est rien. Cette gauche radicale s’installe durablement dans le paysage politique allemand jusqu’à dépasser les sociaux-démocrates dans certains Lander orientaux et à fragiliser leur base électorale à l’Ouest. Déjà sous l’ère Schröder, l’historien et politologue Franz Walter s’inquiétait dans son ouvrage Le SPD, du prolétariat au nouveau centre de la « désidéologisation » [Walter, Franz, Die SPD. Vom Proletariat zur Neuen Mitte, Berlin, Alexander Fest Verlag, 2002] à l’œuvre, susceptible d’ouvrir un espace à une force politique à l’époque encore indéfinie, le PDS n’étant alors vécu que comme un « reliquat » de la culture est-allemande. Au-delà des résultats électoraux, Die Linke influence le débat politique intérieur et l’évolution des deux grandes formations politiques, le parti social-démocrate (SPD) et l’Union chrétienne-démocrate (CDU), le premier se divisant sur le rapport à établir avec Die Linke, la seconde, qui perçoit une possible « gauchisation » du SPD soucieux de border sur sa gauche, revendiquant pour elle seule l’idée de « centre », notion capitale de la vie politique allemande, jugée positive par 64 % des Allemands [Enquête d’opinion conduite par l’institut Allensbach publiée in : Frankfurter Allgemeine Zeitung, 20 février 2008].

Un antécédent à l’Est : le Parti du socialisme démocratique (PDS)

L’actuel parti Die Linke est issu d’une fusion lancée te 17 juin 2005, à l’aube des élections fédérales anticipées du 18 septembre suivant, et finalisée au congrès de Dortmund des 15 et 16 juin 2007, entre le Parti du socialisme démocratique (PDS), parti régional post-communiste créé, le 17 décembre 1989, dans le sillon du parti communiste d’Allemagne de l’Est (SED),et l’Alternative électorale pour le travail et la justice sociale (WASG), constituée, entre autres, par des dissidents du parti social-démocrate, des syndicalistes et des militants altermondialistes hostiles aux réformes conduites par l’ancien chancelier Gerhard Schröder. Ce rapprochement a d’abord été engagé pour permettre aux deux composantes d’avoir une dimension nationale, le PDS ne parvenant pas à « percer » à l’Ouest et devant se contenter d’une « existence est-allemande », tandis que l’Alternative électorale pour le travail et la justice avait une topographie et une sociologie quasi exclusivement ouest-allemandes (responsables syndicaux de l’Ouest, anciens membres du SPD et des Verts, adhérents d’Attac, militants trotskistes...). Dans un document de la direction de ce qui était encore le PDS, la double perspective d’un rapprochement et d’un changement de dénomination est à la fois justifiée par la nécessité « d’opposer à la grande coalition favorable au recul de la démocratie et de I’Etat providence et aux défenseurs d’une concurrence débridée et d’une militarisation une force de gauche puissante proposant des alternatives sociales et écologiques », le devoir de favoriser « un ancrage dans les Länder de l’Ouest » et la volonté de « saisir la chance historique de dépasser la division de la gauche allemande » [ PDS in die Linkspartei umbenannt, direction du PDS/Parti de gauche, Berlin, 18 juillet 2005]. C’est aussi au nom de ces objectifs qu’est défendue la coopération avec Oskar Lafontaine — vécu à l’Est comme trop « ouest-allemand », notamment en souvenir de ses positions sur l’unification en 1989/1990 [Candidat à la chancellerie du SPD pour les élections fédérales du 2 décembre 1990, Oskar Lafontaine avait mis en garde dans plusieurs discours et dans son ouvrage Vérités allemandes (Deutsche Wahrheiten) contre le réflexe de la référence à l’Etat national allemand qui avait laissé tant de mauvais souvenirs dans l’histoire et était amené à être « dépassé à un niveau supérieur d’intégration » (p. 183), propos à contre-courant de la majorité de la direction du SPD et de l’opinion publique de l’époque ] — qui avait annoncé en mai 2005 sa démission du SPD, son adhésion à l’Alternative électorale pour le travail et la justice sociale et son souhait de participer à l’opposition à la politique de ses anciens amis sociaux-démocrates. On ne peut saisir la naissance et le développement de Die Linke sans examiner la préexistence du parti néo-communiste, PDS, qui a servi de véritable rampe de lancement. En dépit de cultures politiques différentes, ce qui est source de tensions, l’apport du PDS à la constitution d’une force de gauche radicale est un élément central. Le lancement de Die Linke a pu s’appuyer sur la structure et l’implantation du PDS, le rapprochement engagé peu de temps avant les élections fédérales de septembre 2005 prévoyant une ouverture des listes née-communistes aux membres de l’Alliance électorale pour le travail et la justice sociale (WASG). L’attitude des Allemands de l’Est, qui dès le lendemain de l’unification ne voient dans le parti social-démocrate ni le parti des « petites gens » ni celui de la contestation et préfèrent voter en faveur du PDS, va connaître à partir du début des années 2000, en lien d’ailleurs avec les réformes Schröder, un prolongement à l’Ouest, vite capté par la WASG. On trouve à l’origine du PDS et de sa pérennité un faisceau de raisons. La première est le sentiment d’une non-prise en compte par l’Ouest de l’identité est-allemande et de la différence qu’elle implique tant dans le rapport au passé que dans le comportement politique, social et culturel, ce que dépeint l’actuel co-président avec Oskar Lafontaine du groupe parlementaire de La gauche au parlement Fédéral et ancien président du PDS, Gregor Gysi, dans son livre de souvenirs Un regard en arrière, un pas en avant : «  Les habitants des nouveaux Länder ont eu, après le 3 octobre 1990, de plus en plus l’impression qu’ils étaient davantage tolérés que désirés » [Gysi, Gregor, Ein Blick zunick, ein Schritt nach vorne, Hamburg, Hoffmann und Campe, 2001 ]. L’autre facteur est le sentiment de déclassement social éprouvé par de nombreux Allemands de l’Est suite à la politique économique menée par le gouvernement fédéral, notamment la politique de privatisation des entreprises d’Etat et la perte consécutive de 2,6 millions d’emplois, essentiellement dans l’industrie. Même si l’on admet que ce sont principalement les conditions de départ de l’unification et de l’économie est-allemande qui ont provoqué l’effondrement industriel de l’Allemagne orientale, il n’en reste pas moins vrai que la désindustrialisation et la perte massive d’emplois ont été vécus par les populations concernées comme un véritable traumatisme, une injustice et comme les conséquences d’un libéralisme économique que justement le PDS pourfendait. Il n’est donc pas étonnant que la première année de sa création, le PDS ait comporté parmi ses adhérents 31% de chômeurs et 14 % de pré-retraités [ Wittich, Dietmar, Sozic, struktur von PDS-Mitgliedern in : Niedermayer, Oskar et Stôss, Richard, Parteien und Wahlen im Umbruch, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1994 ]. Lors de son congrès des 24 et 25 février 1990, le PDS se définit comme « parti socialiste » qui plonge ses racines « dans les courants du mouvement ouvrier allemand et international, les traditions révolutionnaires et démocratiques du peuple allemand et l’antifascisme » et défend «  la justice sociale, la solidarité, la liberté des opprimés et l’aide aux faibles » [ Compte rendu du congrès du SED/PDS tenu à Berlin les 24 et 25 février 1990, direction du SED/PDS, p. 90 ]. La double dimension identitaire et protestataire explique la pérennité de cette force politique à l’Est.

Les succès électoraux du PDS vont servir de terreau à l’extension et au développement ultérieurs de Die Linke, tant ils structurent durablement, dans un premier temps à l’Est, une force à la gauche du SPD. Si au niveau fédéral le score du PDS reste dans un premier temps modeste avec 2,4 % en 1990, 4,4 % en 1994, 5,1 % en 1998 et 4 % en 2002 et si ses tentatives de s’implanter à l’Ouest sont un échec, comme à Brême en 2003 (1,7 % des voix) ou en Rhénanie-du-Nord- Westphalie en 2005 (0,9 % des voix), son implantation régionale à l’Est est forte : exception faite du Brandebourg et du Mecklembourg, il y devance régulièrement dans les élections régionales le SPD qui, bien avant la fusion ayant conduit à la création de Die Linke, se trouvait déjà à l’Est fortement concurrencé sur sa gauche. Cette implantation du PDS à l’Est se vérifie également lors de scrutins à valeur nationale, comme les élections européennes, où en 2004 le SPD a été devancé dans tous les Lander est-allemands par le PDS, amenant l’actuel ministre des Transports social-démocrate du gouvernement Merkel, Wolfgang Tiefensee, à l’époque maire de Leipzig, à affirmer dans un entretien au Frankfurter Allgemeine Zeitung du 20 juin 2004 que dans le nouveau paysage politique de l’Est « le SPD est en voie de marginalisation, pêchant dans les mêmes eaux que le PDS ». Cette situation délicate du parti social-démocrate dans les nouveaux Lander est d’autant plus durement ressentie qu’elle se manifeste dans des régions qui ont historiquement été, dans le cas de la Saxe et de la Thuringe, des bastions de la social-démocratie sous l’Empire allemand et sous la République de Weimar. Au-delà de la faiblesse électorale, il s’agit d’une perte de références historiques et d’une crise d’identité. Plus généralement, cette présence du PDS à l’Est a provoqué l’érosion dans cette partie de l’Allemagne des deux grands partis, SPD et CDU, dont le poids aux élections fédérales n’a cessé de décroître depuis 1990. En 1990, ils recueillaient à eux deux aux élections fédérales 66,1 % des suffrages à l’Est (contre 80 % à l’Ouest), en 2005 seulement 55,8 % (contre 72,6 % à l’Ouest). Avec l’effritement des deux grands partis, éléments structurants de la vie politique allemande depuis 1949, c’est un pan de la culture politique allemande qui s’efface.

Protestation et réalité sociales : le terreau de Die Linke

Chronologiquement, les prémisses d’une structuration à l’Ouest d’une gauche radicale remontent aux premières manifestations de mécontentement à l’égard des réformes engagées par Gerhard Schröder, au cours de sa deuxième mandature, à partir de 2002. Cette politique a été vécue par une partie de la gauche, notamment des syndicalistes et des sociaux-démocrates qui ont alors choisi de quitter leur parti, comme une « trahison » qui justifiait la construction d’une alternative à gauche du SPD. Pour saisir la portée de ce mouvement, il faut avoir à l’esprit le contenu des principales réformes ainsi que la philosophie qui les a inspirées. Leur réception a en effet constitué une césure dans le processus d’élaboration d’une force de gauche radicale. Oskar Lafontaine a même parlé de « lois de la honte » [ Der Spiegel, 4 juillet 2005 ] et dénoncé dans son ouvrage La colère monte, réédité opportunément en 2003, « la répartition du bas vers le haut » et « une réforme qui signifie moins d’Etat providence et moins de droits pour les salariés » [Oskar Lafontaine, Die Wut wôchst. Politik braucht Prinzipien, Hamburg, Ullstein, 2003 ]. C’est dans un discours prononcé devant le parlement fédéral, le 14 mars 2003, que Gerhard Schröder a annoncé sa volonté de « rupture », d’une part avec la politique sociale menée jusqu’alors, d’autre part, avec la tradition sociale-démocrate, trop exclusivement tournée, selon lui, vers la redistribution et l’assistance, Il en a appelé à de profonds changements « afin de revenir en tête du développement économique et social en Europe », le principal enjeu étant « la réforme de l’Etat providence, dont la rénovation est devenue indispensable ». La démarche qui doit inspirer cet esprit de la réforme est clairement présentée : « Nous réduirons les prestations sociales distribuées par l’Etat, nous favoriserons la responsabilité individuelle et nous devrons davantage exiger de chaque individu » [ Déclaration gouvernementale du Chancelier fédéral Gerhard Schröder, prononcée devant le parlement fédéral, le 14 mars 2003, http://www.bundesregierung.de ]. Ce tournant a été certes d’abord influencé par la situation économique et sociale de l’Allemagne et la volonté de réduire le coût du travail et un chômage élevé mais aussi par une réflexion plus générale chez certains historiens et sociologues sur la finalité et les limites de l’Etat providence à l’heure de la mondialisation. Figure de proue de cette réflexion, le sociologue Franz-Xaver Kaufmann déplore dans son ouvrage sur Les variantes de l’Etat providence « un affaissement de la synergie entre politique sociale et politique économique » et observe que le système allemand de protection sociale n’est pas comme en Angleterre fondé sur la nécessité d’éviter de tomber dans la pauvreté mais sur la volonté de garantir dans tous les cas aux bénéficiaires la couverture de leurs besoins essentiels avec pour conséquence « une moindre pression pour la reprise du travail » et souvent « un bilan mitigé de la politique de l’emploi » [ Kaufmann, Franz-Xaver, Varianten des Wohlfahrtsstaates. Der deutsche Sozialstaat im internationalen Vergleich, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2003] , réduite au financement de l’exclusion. Les grandes lignes de ce que Gerhard Schröder a appelé l’Agenda 2010 sont énoncées : réforme fiscale, réforme du marché du travail impliquant notamment une restriction de la protection contre les licenciements, réforme du système de santé, réforme des retraites et investissements dans la recherche et l’éducation. Le renversement de paradigmes est clair : l’égalité cède la place à l’égalité des chances, la responsabilité collective à la responsabilité individuelle et la protection à la performance, sans que bien sûr la première exclue nécessairement la seconde. Dans le cadre du financement du système de protection sociale, il est davantage fait appel à l’individu, qu’il soit patient ou retraité, sous forme de contribution ou de diminution de prestations. En matière de santé, la hausse des cotisations sur les salaires doit être enrayée par une ponction financière des assurés qui assumeront 80 % des économies, notamment par l’introduction d’un ticket modérateur, du versement d’une redevance forfaitaire de 10 euros par trimestre lors de la première visite chez le médecin et d’une réduction du nombre de prestations remboursées, les soins dentaires étant exclus du système général. Concernant les retraites, un « facteur de durabilité » établissant une relation entre le nombre de retraités et celui des cotisants conduira d’ici à 2030 à une réduction de la retraite nette avant impôts de 53 % du revenu à 43 %. Au sujet de la réforme du marché du travail, la priorité va à la dérégulation et à la création d’un secteur d’emplois à petits revenus. Cette réforme s’inspire des travaux menés sous la présidence de Peter Hartz, ancien directeur du personnel de Volkswagen. Plusieurs lois découleront des recommandations de ce groupe de travail : la loi Hartz I concerne l’activation et fa transformation du service public de l’emploi et durcit la définition de l’emploi acceptable (tes chômeurs de longue durée doivent accepter des emplois rémunérés jusqu’à 30 % au-dessous du salaire moyen pratiqué dans la région pour un emploi équivalent) ; la loi Hartz Il soutient la création d’entreprises individuelles (lch AG) au moyen d’aides financières et encourage les citoyens à accepter des activités faiblement rémunérées (mini jobs jusqu’à 400 euros par mois et midi jobs entre 400 et 800 euros) en offrant des exonérations totales ou partielles de cotisations sociales ; la loi Hartz III instaure la gestion par objectif du service public de l’emploi et révise le cadre de la principale mesure d’emploi aidé (ABM) et la loi Hartz IV instaure un nouveau mode d’indemnisation du chômage visant à simplifier et à réduire Je montant des allocations chômage. Cette dernière loi retiendra plus particulièrement l’attention tant elle marque une rupture avec les pratiques précédentes de l’Etat providence. Après la durée légale d’indemnisation passée de 26 à 12 mois pour les moins de 57 ans et de 32 à 18 mois pour les 57 ans et plus, un revenu standard ne prenant plus en compte le revenu individuel précédent est instauré. Pour les chômeurs en fin de droit et tes allocataires de l’aide sociale, une fusion de l’allocation chômage et de l’aide sociale est mise en place, correspondant à la perception d’un montant de base de 345 euros pour une personne seule auquel s’ajoute la prise en charge du loyer et du chauffage. Le versement de l’allocation est subordonnée aux ressources du conjoint ou de la famille et aux revenus du patrimoine mobilier et immobilier. Les bénéficiaires de l’allocation ont le droit d’exercer une activité annexe dont ils conservent un pourcentage du revenu.
Très vite, une vague de protestation saisit une partie de la gauche allemande et son électorat jusqu’au sein même du SPD, dont le député Hans-Peter Bartels qui, dans son ouvrage Le capitalisme victorieux, reproche à ses amis d’avoir été influencés par « les fondamentalistes libéraux, les prophètes d’une domination de l’économie sur tous les domaines de la société », alors même qu’il serait nécessaire « d’orienter activement dans un sens social ce qui peut encore l’être dans l’océan de la libre économie de marché » [ Bartels, Hans-Peter,Victory-Kapitalismus, Koln, Kiepenheuer und Witsch, 2005]. Oskar Lafontaine, suivi dans ses positions par le président de l’association des salariés sociaux-démocrates, Ottmar Schreiner, par ailleurs ancien secrétaire général du SPD, déplore que « le gouvernement s’inspire sans retenue des idées néo-libérales... et (qu’) une partie du SPD veuille nous ramener au 19e siècle » [ Die Welt, 8 février 2003 ], Après les élections fédérales de 2005, il pourra même affirmer : « Dans cette assemblée du parlement fédéral, nous n’avons pas de majorité de gauche. En dehors de nous ne siègent que des partis qui soutiennent Hartz IV, l’Agenda 2010 et des guerres contraires au droit international » [ Der Spiegel, 13 mars 2006 ]. Au-delà des partis, c’est l’ensemble de la gauche, plus particulièrement le monde syndical, qui s’émeut. Le président de la Confédération des syndicats allemands (DGB), Michael Sommer, par ailleurs membre du SPD, rédige même un contre-projet au programme de réformes de Gerhard Schröder, affirmant qu’une « politique qui abandonne le principe fondamental de la solidarité fait fausse route » [ Die Zeit, 8 mai 2003 ] : mise en place d’un programme d’investissements publics, réintroduction de l’impôt sur la fortune, imposition plus élevée des profits boursiers, développement de la formation continue et flexibilité de la rémunération selon la situation de l’entreprise. L’ancien président du syndicat lG-Metall, Franz SteinkUhler, affirme quant à lui que « le SPD, avec /es lois Hartz, tire les chômeurs vers la pauvreté » [ Der Spiegel, 16 août 2004], Même le président du syndicat des services Verdi, Frank Bsirke, connu pour son profil réformiste, met en garde le gouvernement Schr6der : « Nous rejetons le caractère injuste car unilatéral des sacrifices imposés aux gens modestes par l’Agenda 2010. Nous devons montrer qu’il existe des alternatives. . . Le SPD n’a jamais eu de majorité politique sans le soutien de l’électorat proche des syndicats » [ Handelsblatt, 18 novembre 2003 ]. Parallèlement à ces protestations de responsables politiques et syndicaux, un mouvement plus large s’organise à travers une série de manifestations montées sur le modèle des protestations ayant précipité en 1989 la chute du mur. Lors de la manifestation du 30 août 2004 à Leipzig, la présence d’Oskar Lafontaine donne une signification politique à l’événement, parfois mal acceptée tant les « comités de citoyens » craignent la récupération. Les manifestants prennent librement la parole pour dénoncer en termes durs l’Agenda 2010 et plus particulièrement la loi Hartz IV, accusée de vouloir généraliser la paupérisation. Partie de l’Est, les « manifestations du lundi » s’étendent à l’Ouest avec les mêmes slogans. La presse n’est pas en reste qui décrit, à l’instar du Süddeutsche Zeitung du 21 avril 2004, « un fossé grandissant en Allemagne entre pauvres et riches » ou, telle Spiegel du 16 août 2004, une « Allemagne saisie par la peur du déclassement social ». C’est dans ce contexte que naît l’idée de créer à l’Ouest un parti à gauche du SPD. Début mars 2004, des responsables des syndicats IG Metall et Verdi se réunissent à la maison de la Confédération des syndicats allemands de Berlin pour envisager la création d’un nouveau parti de gauche. Un texte intitulé Pour une alternative électorale et rédigé par le secrétaire auprès du comité directeur de Verdi, Ralf Krämer, précise le contexte et les objectifs de cette initiative : « Pour faire reculer le néo-libéralisme, nous devons l’attaquer sur son propre terrain. C’est dans ce sens qu’une alternative électorale est nécessaire afin de transformer en projet politique la pression née dans la société en dehors des sphères parlementaires. C’est le moyen de fixer une limite au glissement à droite du SPD. Dans le meilleur des cas, il serait possible de réduire le SPD au statut de troisième force du parlement » [Document présenté in : Frankfurter Allgemeine Zeitung , 11 mars 2004 ]. L’Alternative électorale pour le travail et la justice sociale (WASG : WahlalternativeArbeit und soziale Gerechtigkeit) voit effectivement le jour le 4 juillet 2004 à Berlin. Les principaux membres fondateurs sont deux syndicalistes d’lG Metall, Klaus Ernst et Thomas Händel.

Cette impression de déclassement social est d’autant plus fortement ressentie que le phénomène est corroboré par plusieurs études qui mettent en avant l’accroissement des inégalités en Allemagne depuis l’unification et plus particulièrement depuis le début des années 2000. Die Linke n’hésite pas à attribuer cette situation à la politique conduite par le gouvernement rouge-vert de Gerhard Schröder et par la Grande coalition où siège le SPD, les deux « grands » partis étant placés dans cette rhétorique sur le même plan comme simples « accompagnateurs de la mondialisation ». Le malaise est réel non seulement dans les milieux populaires, ouvriers et employés en tête, mais aussi au sein des couches moyennes. Dans son étude sur La sociologie politique des milieux sociaux en Allemagne, le sociologue Gero Neugebauer observe que « le climat général en Allemagne est marqué par l’insécurité sociale, les peurs face à l’avenir et une grande sensibilité à l’égard de l’inégalité sociale croissante et l’absence de mobilité sociale », sentiment touchant particulièrement les milieux populaires et défavorisés où prédomine l’idée que « quand on est en bas de la pyramide on y reste » [Neugebauer, Gero, Politische Milieus in Deutschland. Die Studie der Friedrich Ebert Stiftung, Bonn, Dietz, 2007]. On peut trouver dans certains secteurs des niveaux de rémunération très bas ; le DGB a ainsi relevé un taux horaire de 6,45 € dans le secteur de la sécurité à Hambourg, 6,38 € dans la coiffure dans le Bade-Wurtemberg et 5,12 € dans le transport routier en Thuringe. Entre 1995 et 2006, la part des salariés à bas salaires est passée de 15 % de l’ensemble des effectifs salariés à 22,2 %, soit 6,5 millions de personnes. Ce sont souvent les mêmes qui sont soumis à la précarité : entre 1994 et 2006, le nombre de salariés ayant un contrat à durée déterminée est passé de 1 ,9 million à 2,7 millions ; celui de ceux travaillant à temps partiel de 6,5 millions à 11,8 millions. Selon Eurostat, 14,5 % des salariés allemands ont un contrat à durée déterminée, contre 13,5 en France et 13 % en Italie.

Autre élément important : la classe moyenne qui avait constitué l’ossature du miracle économique des années 1950/1960 s’effrite, alors qu’elle a longtemps représenté un des éléments essentiels du mythe fondateur de l’économie sociale de marché, référence encore obligée dans tous les discours politiques de droite comme de gauche, la chancelière Angela Merkel ayant encore rappelé dans une interview au Frankfurter Allgemeine Zeitung du 20 juin 2008 que l’économie sociale de marché, « alliance des forts avec les faibles » est « l’ordre social le mieux à même de garantir un équilibre des intérêts dans une société démocratique diversifiée ». Cet effritement de la classe moyenne connaît une accélération depuis le début des années 2000. La classe moyenne représente en 2007 54,1 % de la société contre 62,3 % en 2000, une petite partie ayant connu pendant cette période une ascension vers les couches supérieures, mais une plus grande partie un glissement vers le bas Si l’on ajoute à cette évolution le décrochage sur une longue période de 1992 à 2007 du revenu net par tête des 10 % les plus pauvres de la population, qui a reculé de 13 %, par rapport à l’envolée du revenu net par tête des 10% les plus riches, qui a progressé de 31 %, on mesure combien les piliers de la cohésion sociale sont menacés. C’est une des explications majeures de la percée et du succès de Die Linke et de la difficulté du SPD à y faire face, la réalité sociale décrite remontant aux années de sa participation gouvernementale, soit majoritaire, à la tête du gouvernement, avec les Verts de 1998 à 2005, soit minoritaire ensuite, dans une coalition avec la CDU.

Programme et implantation de Die Linke : un défi pour le SPD

Après le processus de fusion lancé en 2005, le nouveau parti La Gauche, Die Linke, est créé officiellement le 16 juin 2007 à Berlin, lors d’un congrès fondateur qui élit une double présidence exercée par Oskar Lafontaine et Lothar Bisky. A cette occasion, 60 syndicalistes ont signé un appel justifiant leur adhésion au nouveau parti par leur volonté d’œuvrer en faveur d’une politique plus sociale. Die Linke est le seul des partis allemands à ne pas avoir encore de programme fondamental. Le seul texte programmatique est un document adopté les 24 et 25 mars 2007 et intitulé Eléments programmatiques. Le parti y dénonce « le passage des classes dirigeantes d’une politique de capitalisme régulé par I’Etat providence à une politique néo-libérale fondée sur une idéologie du marché radicale » et constate que « le capitalisme néo-libéral engendre le recul de la démocratie », notamment par la concentration de pouvoir qu’il implique. Il s’agit de « faire reculer l’influence néo-libérale par la création d’une alliance sociale rassemblant les salariés hautement qualifiés, les travailleurs précaires, les chômeurs ainsi que les indépendants et chefs d’entreprise engagés socialement » [ Programmotische Eckpunkte. Beschluss des Parteitages von WASG und Linkspartei.PDS am 24. und 25. Marz 2007 in Dortmund, http://die linke.de/portei/dokumente/programmatische_eckpunkte ]. Le parti est favorable à une politique de nationalisation de secteurs clés de l’économie et de services d’intérêt général (santé, culture, eau, électricité...). Mettant en avant la notion de « socialisme démocratique », Die Linke se propose de lutter contre la suppression des droits sociaux, en étroite coopération avec les syndicats. Le projet se veut éminemment social : suppression de Hartz IV ; généralisation d’un salaire minimum ; utilisation des gains de productivité pour l’augmentation des salaires réels et la réduction du temps de travail ; introduction d’un revenu minimum pour tous ; retour à un départ à la retraite possible à 60 ans, sans pénalité, notamment pour les métiers pénibles. Au-delà de ces propositions, on notera trois lignes de fond : la volonté de se situer en opposition aux « classes dirigeantes », terme plusieurs fois répété sans définition précise ; le souhait d’apparaître, notamment pour l’aile néo-communiste, « présentable », surtout à l’Ouest, en voulant « engager un travail critique sur l’histoire de la pratique politique de la gauche en Allemagne de l’Est et en République fédérale » ; le désir de se démarquer des autres partis représentés au parlement fédéral (« les autres forces politiques »), en privilégiant un rapport direct avec la société, en revendiquant « une responsabilité particulière dans la défense des intérêts est-allemands au sein du système des partis en Allemagne » et en se présentant comme la seule force à s’opposer à « la militarisation de la politique étrangère allemande » et à proposer de « dépasser l’OTAN » [ Ibidem ]. Ces positions ont été complétées par une tribune d’Oskar Lafontaine [ Frankfurter Allgemeine Zeitung, 9 juillet 2007 ] parue après la tenue du congrès de Dortmund dans laquelle il précise que « le socialisme démocratique suppose un ordre économique qui permette à l’individu de participer à la vie sociale, de garantir la paix et de protéger l’environnement », tout en indiquant — davantage que ne le faisaient les Eléments programmatiques — que «  les Etats socialistes de l’Est ont échoué parce qu’ils n’étaient ni démocratiques ni fondés sur un Etat de droit ». Il reproche à ses anciens amis sociaux-démocrates « la suppression de la protection contre les licenciements, le corset injuste de Hartz IV. . .la chute continue des salaires, la baisse des prestations sociales, la diminution du niveau des retraites », oubliant ainsi que « ceux qui ne savent pas à la fin du mois comme payer leur facture d’électricité, ceux qui craignent de ne pas avoir assez d’argent pour acheter du pain, perdent leur liberté et . . . (que) sans justice sociale il n’y a pas de République ». Dans ce contexte, « Die Linke entend être un mouvement de renouveau démocratique » pour lequel « un Etat fort garantit les droits des plus faibles ». Le groupe parlementaire au parlement fédéral a en février 2008 ajouté quelques propositions comme la création de 500 000 emplois publics dans les secteurs de l’éducation, la culture et la santé, mesure dont le coût est chiffré à 8,4 milliards d’euros, ou l’idée de transformer les élections en référendum sur la retraite à 67 ans.

En mettant en avant la notion de « socialisme démocratique », certes remise à l’honneur par le SPD à son congrès de Hambourg d’octobre 2007 mais délaissée par le même parti sous l’ère Schröder — ce que ne manquent jarnais de rappeler les responsables de Die Linke qui se présentent comme les vrais héritiers du mouvement ouvrier, Gregor Gysi ayant même souhaité que « le SPD redevienne social-démocrate » [ Der Spiegel, 25 février 2008 ] —, en voulant se situer dans la lignée de Willy Brandt, défenseur de la détente et de la paix, et en se revendiquant comme l’unique parti défenseur de la justice sociale, Die Linke tente d’occuper un espace politique libéré par les sociaux-démocrates, qui va de la gauche de l’échiquier politique aux couches moyennes fragilisées en passant par les milieux populaires. Au lendemain de l’élection fédérale du 18 septembre 2005, qui a permis à Die Linke (encore appelée PDS. Parti de la gauche) de réaliser un score national de 8,7 % des voix (25,4 % à l’Est et 4,9 % à l’Ouest) contre 4 % en 2002, Gregor Gysi s’est empressé de rappeler que pour lui « le SPD et /es Verts n’étaient pas ce que l’on pourrait qualifier de partis de gauche » [Der Spiegel. Cahier spécial consacré aux élections 2005, 19 septembre 2005 ]. Plusieurs travaux conduits par le Groupe d’étude du comportement électoral de l’université de Mannheirn et l’institut TNS lnfratest sur la composition des électorats des partis politiques montrent que Die Linke est parvenue à capter cet électorat fragilisé qui s’étend des « salariés de la classe moyenne menacés » aux « déclassés précarisés » qui ne se reconnaissent pas (plus) dans le SPD. Ainsi, l’électorat de Die Linke se compose à 23 % de « déclassés précarisés » contre 5 % au SPD et à 23 % de salariés de la couche moyenne menacés, soit 46 % pour ces deux seules catégories touchées par le sentiment d’insécurité économique et la peur du déclassement. Ces deux groupes, sensibles au discours sur le rejet de la politique de réformes Schröder/Merkel, constituent le réservoir électoral de Die Linke. Un autre fait marquant de l’élection fédérale de 2005 doit retenir l’attention : exception faite de la Bavière et du Bade-Wurtemberg, Die Linke s’implante dans l’ensemble des Lander de l’Ouest en réalisant des scores souvent supérieurs à 5 %: en Rhénanie-Palatinat, en Hesse, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie et à Hambourg. A Brême, ce parti obtient 8,3 % des voix et en Sarre (terre d’Oskar Lafontaine) 18,5 %. Cette étape de 2005 laisse déjà présager les résultats aux élections régionales de 2006, 2007 et 2008 : si Die Linke obtient de faibles résultats en Bade-Wurtemberg (2,5 %, le 26 mars 2006) et en Rhénanie-Palatinat (2,5 %, le 26 mars 2006), l’entrée au parlement régional de Brême avec 8,4 % le 13 mai 2007, de Basse-Saxe avec 7,1 % et de Hesse avec 5,1 % le 27 janvier 2008 et de Hambourg avec 6,4% le 24 février 2008 marque une étape importante dans la consolidation de son implantation électorale. De même, lors des élections municipales du Schleswig-Holstein du 25 mai 2008 où elle présentait pour la première fois des candidats, Die Linke a obtenu 6,9 % des suffrages, avec des percées importantes dans certaines villes comme Lübeck (11 ,7 %) ou Kiel (11 %). Dans l’ensemble de l’Allemagne, Die Linke est présente dans 10 parlements régionaux sur 16, ce qui en fait une force politique nationale. Ce que les stratèges du parti avaient appelé « l’extension à l’Ouest » est engagée. Cette nouvelle donne bouleverse le paysage politique allemand en mettant fin au système quadripartite qui avait perduré malgré la présence au parlement fédéral depuis 1990 du PDS, alors présenté et vécu comme un « parti régional ». Elle pose aussi au parti social-démocrate la délicate question de son rapport à cette nouvelle force de gauche, alors même qu’une partie de son identité de l’après 1945 était fondée sur un fort anticommunisme, sentiment encore présent chez une partie de ses dirigeants et de ses membres. C’est, par exemple, Kurt Schumacher, président du SPD jusqu’à sa mort en 1952, qui avait affirmé dans un célèbre discours prononcé à Berlin le 1er juin 1951 qu’en 1945 « on avait pas encore compris que la structure du système communiste ressemble à celle du IIIe Reich » [Voir : Gougeon, Jacques-Pierre, La social-démocratie allemande. De la révolution à la réforme 1830-1996, Paris, Aubier ] .

Le rapport à cette nouvelle force politique est un des défis majeurs que doit relever le SPD. A l’heure actuelle, le parti social-démocrate est divisé sur l’attitude à adopter, même si déjà le poids de Die Linke conditionne sa réflexion, notamment dans sa présentation de la mondialisation. Ainsi, le congrès de Hambourg tenu du 26 au 28 octobre 2007 s’est voulu — sans le reconnaître — un début de réponse à cette nouvelle donne de la vie politique allemande en replaçant la « question sociale » au cœur du débat. Le président du SPD, Kurt Beck, n’a pas hésité à « corriger » certains aspects de l’Agenda 2010 adopté sous G. Schröder, notamment ceux consacrés à la réforme du marché du travail. Le SPD a ainsi adopté Neuf points en faveur d’une Allemagne sociale [Neun Punkte f(.ir ein soziales Deutschland, 2007, http://www.bundesparteitag_inhamburg.spd ]dont les plus saillants sont : l’allongement du versement de l’allocation chômage à 15 mois pour les plus de 45 ans (au lieu de 12), 18 mois pour les plus de 50 ans, voire 24 (au lieu de 18) si la durée de cotisation dépasse 42 ans ; l’instauration d’une prime à l’emploi pour les salariés les plus modestes ; l’application d’un salaire minimum au secteur de l’emploi temporaire. La volonté de réorienter le SPD pour renforcer son profil social se traduit également à travers les accents du nouveau programme fondamental intitulé La démocratie sociale au XXle siècle qui remplace celui de 1989. Outre la réhabilitation du concept de « socialisme démocratique » qui, après « la fin du socialisme d’Etat de type soviétique », incarne « toujours la vision d’une société libre, juste et solidaire dont la réalisation est (notre) devoir permanent », le texte insiste sur la nécessité de « promouvoir plus d’égalité dans la répartition des revenus, du patrimoine et du pouvoir » et de contrôler la mondialisation dont les mérites n’en sont pas moins soulignés (développement du commerce mondial, augmentation de la création de richesses, amélioration de la circulation de l’information, multiplication des échanges culturels...). L’idée centrale est de ne pas subir la mondialisation mais d’en avoir la maîtrise et de l’organiser. Si les Etats nationaux continuent de jouer un rôle essentiel dans cette démarche, notamment à travers un « Etat-providençe préventif » [Soziale Demokratie im 21. Jahrhundert. Grundsatzprogramm der Sozialdemokratischen Partei Deufschlands, SPDParteivorstand, 2007, http://www.spd.de, traduction française effectuée par la Fondation Friedrich Ebert ] donnant à chacun les chances de maîtriser son destin, grâce surtout à la formation tant initiale que continue, il est également fait appel à une plus grande coordination et coopération internationales avec la fixation au niveau mondial de normes sociales et environnementales. On notera que les passages consacrés à la mondialisation dans la version adoptée au congrès de Hambourg ont été « durcis » dans un sens plus critique par rapport au projet arrêté au séminaire de la direction du SPD à Brême en janvier 2007. Ce dernier évoque en premier lieu dans la première partie sous le chapeau « le monde se rapproche » les bienfaits de la mondialisation qui « génère de la croissance et offre des perspectives d’avenir à l’homme des pays riches et pauvres » [Soziale Demokratie im 21. Jahrhundert, « Bremer Entwurf » fur ein neues Grundsatzprogramm der Sozialdemokratischen Partei Deutschlands, Bremen, Januar 2007, SPD-Parteivorstand ], tandis que la version de Hambourg préfère comme sous-titre « les contradictions de la mondialisation » [Op. cit., p. 4 ].
Cette réorientation sur la question sociale et l’approche (plus) critique de la mondialisation n’ont pu endiguer la percée de Die Linke, comme le montrent à la fois les résultats aux scrutins régionaux de janvier et février 2008 et sa « banalisation » dans l’opinion publique. Selon une étude conduite par l’institut Allensbach [ Frankfurter Allgemeine Zeitung, 20 février 2008 : Die Sogwirkung der Linkspartei ] parue suite aux élections régionales de début 2008, 33 % de l’ensemble des Allemands (28 % à l’Ouest et 55 % à l’Est) jugent le succès électoral de Die Linke « positif » (dont 33 % des électeurs du SPD et 43 % des électeurs des Verts). Deux éléments semblent expliquer la difficulté du SPD : la perception du recentrage sur la question sociale apparaît à l’opinion publique « tardif », voire « opportuniste », notamment après l’ère Schröder dont plusieurs dirigeants du parti restent l’incarnation, dont Frank-Walter Steinmeier qui comme ancien chef de la chancellerie a été un des co-concepteurs de l’Agenda 2010, ce qu’il assume très bien ; l’absence de stratégie claire et unitaire à l’égard de Die Linke. Alors que des coalitions gouvernementales SPD/PDS-Linke ont été constituées au niveau des Lander de l’Est, dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale de 1998 à 2006 et à Berlin, suite aux élections régionales de 2001, alliance « rouge-rouge » reconduite dans la capitale allemande en 2006, ou en Saxe-Anhalt en 1994 sous forme d’un gouvernement minoritaire, le sujet divise à l’Ouest, comme l’a illustré le cas de la Hesse à l’occasion de l’élection du 28 janvier 2008. Une députée sociale-démocrate au parlement régional, Dagmar Metzger, originaire de Berlin-Ouest et qui a vécu de près la division du pays, a affirmé que sa conscience lui interdisait de soutenir toute formation d’un gouvernement avec l’aide d’un parti co-responsable de la construction du Mur, obligeant ainsi la tête de liste SPD Andrea Ypsilanti à ne pas se présenter à l’élection lors de la première session de l’assemblée régionale par peur de ne pas faire le plein des voix dans son propre camp. La controverse a pris une autre dimension lorsque la presse, après une indiscrétion, a rendu compte de la teneur d’une conversation entre des journalistes et le président du SPD d’alors, Kurt Beck, qui aurait laissé entendre qu’Andréa Ypsilanti pouvait très bien bénéficier de l’apport des voix de Die Linke pour se faire élire ministre-présidente, propos qui provoquèrent une véritable déferlante dans les médias et le monde politique allemands. Dans les deux cas, les réactions au sein du SPD ont montré que le parti n’avait pas de « ligne » sur le sujet. Les réactions furent vives, qu’elles soient publiques comme celle de Klaus Hübner, vice-président du groupe parlementaire social-démocrate au parlement fédéral pour qui « un rapprochement avec Die Linke, voire une coalition à l’Ouest, est dangereuse pour le SPD, car chaque voix gagnée à gauche est une voix perdue au centre » [ Die Zeit, 3 février 2008 ], ou entendues comme celle du président du groupe parlementaire, Peter Struck, qui a déclaré devant les députés que « les oppositions entre le SPD et Die Linke sont insurmontables » [Frankfurter Allgemeine Zeitung, 6 mars 2008 ]. D’autres ont préféré laisser entendre que le SPD serait de toute façon confronté à la question d’une éventuelle coopération avec Die Linke, qu’il ne servait à rien de nier le problème et qu’il valait mieux déjà envisager une ouverture. Ainsi le maire de la capitale, Klaus Wowereit, qui gouverne avec Die Linke, considère que « le SPD ne pourra pas éviter la discussion de son rapport avec Die Linke » [Die Welt am Sonntag, 9 mars 2008 ], constatant qu’« à Berlin, les représentants de cette formation politique sont pragmatiques » [Der Spiegel, 2 juin 2008 ]. La question divise le SPD de la base au sommet, comme le montre une lettre rédigée par huit maires sociaux-démocrates de moyennes et grandes villes du Bade-Wurtemberg dans laquelle ils rejettent toute collaboration avec Die Linke « tant les oppositions paraissent insurmontables et tant certains membres de ce parti ont conservé une attitude hostile à la démocratie » [ Document présenté in : Frankfurter Allgemeine Zeitung, 14 mars 2008]. Même si la tentation est grande de vouloir réduire la controverse autour d’une polarisation entre une « aile gauche » du SPD, autour de Andrea Nahles, vice-présidente du parti, et de « L’atelier » (Denkfabrik), qui considérerait un rapprochement avec Die Linke comme inéluctable, voire souhaitable, et « une aile droite » autour de Frank-Walter Steinmeier, Peer Steinbriick, le « cercle de Seeheim » (Seeheimer Kreis) et les réformateurs du groupe des « Nezlwerker » qui y serait opposée, ce schéma ne rend pas compte de la complexité du débat. En effet, cette dichotomie ne peut pas être le seul élément de compréhension. Ainsi, Gesine Schwan, candidate sociale-démocrate à la présidence fédérale en 2009, universitaire réputée dont les positions critiques à l’égard des discussions engagées à partir du milieu des années 1980 entre le SPD et les partis communistes de l’Est, parmi eux le parti communiste d’Allemagne de l’Est (SED), lui ont valu quelque hostilité, notamment l’éviction en 1984 de la commission du programme pour avoir reproché à Willy Brandt sa complaisance à l’égard des régimes communistes, n’en a pas moins déclaré, interrogée sur l’éventualité d’une coalition gouvernementale SPD/Linke, que cela lui semblait à l’avenir « possible d’un point de vue théorique, l’actuelle constitution en blocs politiques étant amenée à éclater ». Critique à l’égard de Die Linke qui «  n’apporte aucune réponse aux questions de notre époque... et défend une sorte de socialisme étriqué et nationaliste », elle a cependant ajouté : « L’intégration de Die Linke est un défi qui nous concerne tous. C’est important pour notre démocratie... Si ce parti participe à des gouvernements en Allemagne orientale, si dans l’ensemble de l’Allemagne 4,1 millions de personnes ont voté en sa faveur, puis-je vraiment rejeter ces voix ? » [Der Spiegel, 2 juin 2008]. La position officielle du parti n’a pas mis un terme au débat. Saisi sur le cas de la Hesse, le bureau national du SPD a en effet, le 25 février 2008, invité sa candidate à prioritairement engager des négociations avec les Libéraux et les Verts, ensuite avec la CDU. En cas d’échec de ces négociations, la question de savoir si et quand la candidate se soumettrait aux suffrages de l’assemblée, quitte à se faire élire grâce aux voix de Die Linke, « relevait d’une décision prise au niveau des fédérations, comme cela est, sera et a toujours été le cas ». Tout en rendant possible, après de multiples contorsions, une ouverture au niveau local, le SPD a rejeté toute idée de coopération au niveau fédéral « du fait d’oppositions insurmontables sur de grands sujets de dimension nationale » [Beschluss des SPD-Parteivorstands vom 25. Februar 2008, http: ://www.spd.de/ Aktuell News ], comme la politique étrangère et de sécurité, la politique économique et l’assainissement des finances publiques. Les sources d’opposition demeurent : la présence à la tête de Die Linke d’Oskar Lafontaine, toujours vécu comme un renégat par une partie du SPD ; la composition très hétéroclite (marxistes, trotskistes, néo-communistes, altermondialistes, anciens membres du SPD, syndicalistes...) des 72 000 membres de Die Linke, dont une large part — 61 000 — étaient précédemment adhérents du PDS, une partie de ces derniers, principalement à l’Est, ayant par ailleurs été avant 1989 membres du SED, avec ce que cela suppose de rapport ambigu à la démocratie ; les incompatibilités politiques fortes, par exemple dans le domaine de la politique étrangère où Die Linke remet en cause l’appartenance à l’OTAN. Il existe également entre les deux partis un passé qui divise, tant la division du pays est encore présente dans les esprits, tout comme le sort subi par de nombreux sociaux-démocrates opposés à la fusion entre le SPD et les communistes organisée en 1946 en zone d’occupation soviétique ou victimes de l’épuration engagée à partir de 1 948. On le voit, si le SPD ne peut plus faire l’économie d’une position claire sur sa relation avec Die Linke, le débat est autant de nature politique que culturelle.

Article paru dans Allemagne d’aujourd’hui du 1 décembre 2008

Jacques-Pierre Gougeon est professeur de civilisation allemande aux universités de Besançon et de Paris 8. Il est l’auteur d’Allemagne, une puissance en mutation (Gallimard/Folio).


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