La période historique que nous traversons possède un avantage, qui n’est pas, loin de là, anecdotique : nous connaissons pour une large part l’origine des dangers qui menacent la vie sur Terre et par conséquent, le genre humain. Avec sa Lettre au président Macron, Halte aux spoliations, Gérard Le Puill, l’un des meilleurs journalistes des questions agricoles, environnementales et climatiques de la presse française pose un diagnostic et propose assurément des solutions à la hauteur des enjeux.
C’est que gouverner, c’est prévoir. Enfin normalement, car la politique censée organiser au mieux la cohabitation humaine et des vivants est malade, très malade. Le nom de cette maladie dont le symptôme premier est la spoliation du plus grand nombre tient dans ce mot : capitalisme.
En effet, à l’affirmation de la théorie économique, jusqu’à il y a peu considérée comme classique, dont sont pétris voire prisonniers les classes dirigeantes auxquelles appartient corps et âme Emmanuel Macron - seules les entreprises créent de la richesse, seule l’économie de marché a su tirer de la misère la plus grande partie de l’humanité – répond un constat actuel de plus en plus implacable. La poursuite de l’intérêt de quelques-uns génère inégalités et violences ; le capitalisme est en train de détruire de manière durable les moyens de vie sur Terre.
Or, la portée du livre de Le Puill loge dans la façon dont il examine et expose l’amont et l’aval des choses. Pour lui, l’enjeu planétaire consiste à bâtir urgemment une économie faiblement émettrice en gaz à effet de serre qui soit susceptible de stocker toujours plus de carbone tout en étant productive. Malheureusement, constate-t-il à l’endroit d’Emmanuel Macron, président de la République, dans ce domaine comme dans la sphère sociale : « le bilan des deux premières années du quinquennat est franchement mauvais. » Et d’observer : « il vous reste trois ans pour corriger le tir. »
André Malraux disait à peu près que les gens ne sont pas ce qu’ils sont mais ce qu’ils font. En l’occurrence, Le Puill suit dans son ouvrage ce précepte malrucien. Au sujet du président, il rappelle quelques vérités qui servent à comprendre ses choix en matière économiques. Ainsi, ceci : « A observer la politique que vous menez dans ce pays, on se dit qu’il n’y en a que pour les plus riches. C’est la négociation de la vente d’une filiale d’une firme capitaliste à une autre firme capitaliste qui vous a fait percevoir une belle somme en 2011 à la banque Rothschild. Vous encouragez la priorité donnée à la spéculation financière, aux profits engrangés via les délocalisations de production au détriment de l’emploi en France et aussi d’une vision durable de l’économie que vous ne voyez que disruptive en permanence… »
Toujours à propos de la politique concrète du Président, Le Puill remarque que si les salariés en nombre croissant perçoivent une prime d’activité qui ne les sort pas de la pauvreté, les employeurs bénéficient de nombreuses aides de l’Etat dont le crédit d’impôt pour la compétitivité des entreprises (CICE). 8 milliards d’euros entre 2013 et 2017, dont le CNRS révèle qu’il a permis de créer ou de préserver 108 000 emplois entre 2013 et 2015, soit une dépense de 442 000 euros par emploi !
Ayant commencé sa vie active comme paysan, l’auteur rapporte l’affaire suivante, trop méconnue et replace de fait les responsabilités de chacun. En 2007et 2008, Macron a été le rédacteur d’un rapport (de la Commission Attali) inspirant la Loi de modernisation économique que le gouvernement Fillon appliquera en 2009. Ce rapport est-il écrit : « répondait à une demande de Michel-Edouard Leclerc auprès de Nicolas Sarkozy » et visait « à accroître partout où cela était possible la surexploitation des hommes et des femmes de la terre en leur imposant des prix bas afin, expliquait ce rapport, de rendre du pouvoir d’achat aux consommateurs… »
Ces choix qui mènent une corporation entière à sa perte emprisonnent lentement mais sûrement les consommateurs, l’ensemble de la population et les mènent à une véritable impasse écologique et sanitaire. Lisant Le Puill, on apprend par exemple que le blé de France, parce que cultivé sur des sols de plus en plus pauvres en matière organique - où manquent dramatiquement l’élevage et les fertilisants qu’il produit avec les déjections animales - se vend de moins en moins à l’exportation. Jusqu’à l’Egypte, premier pays importateur de blé au monde qui ne veut plus du blé français en raison de sa trop faible teneur (11%) en protéines.
Dans un chapitre intitulé L’agro-écologie, voie d’avenir pour l’agriculture du XXIe siècle, l’ancien paysan offre la parole à des actrices et acteurs de terrain dont les pratiques aident vigoureusement à repenser le rôle de l’agriculture avec la double mission de nourrir les peuples et d’assurer un captage optimal de carbone. Passionnant !
Qu’il s’agisse de la situation des retraités, de celle du monde paysan et de l’agriculture, de la transition écologique, passées au crible dans cet ouvrage, l’indignation de l’auteur est partagée par un nombre croissant de nos concitoyens qui considèrent, à l’image des Gilets jaunes, que le cours économique et politique actuel n’est plus tenable et tourne peu à peu au désastre. En France comme dans le monde.
Loin des dégagismes et gauchismes qui ont trop longtemps taraudé la gauche et encore certains syndicats jusqu’à les mettre à mal voire dans un piteux état, Gérard Le Puill, qui fut tour à tour paysan puis ouvrier d’usine avant d’embrasser le métier de journaliste, n’a pas cassé son jouet. C’est qu’il connaît le prix des choses. Il possède cette culture de la responsabilité qui oriente son regard et celui du lecteur vers la forêt plutôt que vers l’arbre. Et jamais il ne pratique l’indignation sans qu’elle ne s’accompagne de la proposition d’alternatives. Pour le plus grand bien des ses lectrices et de ses lecteurs.
Halte aux spoliations, Lettre au président Macron. P 150, éditions du Croquant, 12euros.