Luc Ferry, médiocre philosophe et médiocre ex-ministre de l’Education Nationale, ex-membre des « nouveaux philosophes » dont on se souviendra que Gilles Deleuze avait remarqué dès leur apparition qu’ils n’offraient de nouveau que leur propension à courir les médias, Luc Ferry, donc et non Jules, hélas, consultant de Monsieur Nicolas Sarkozy, l’avait annoncé : il faut supprimer les Réseaux d’Aides Spécialisées aux Elèves en difficulté, ou RASED.
La priorité est en effet de réduire la dette, non d’améliorer la qualité du service éducatif. Vision étriquée à court terme s’il en est, déjà dénoncée par le Monde Diplomatique quand l’OCDE suggérait, à fin d’économies, de réduire la qualité de l’enseignement mais pas la quantité. Ce gouvernement va cependant plus loin que ne le suggérait l’OCDE, il réduit et la qualité et la quantité.
Cette fois la machine infernale est bien lancée. Malgré les propos de Monsieur Xavier Darcos, actuel ministre de l’Education Nationale, qui avait démenti le consultant en parlant de sédentariser les réseaux, le budget 2009 prévoit bien leur suppression pure et simple.
Voici des extraits du texte de l’AFP daté du 26 septembre 2008 :
Le projet de loi de finances 2009 prévoit 13.500 suppressions nettes de postes dans l’enseignement scolaire public et privé, dont 6.000 suppressions de postes d’enseignants dans le primaire et 7.500 dans le secondaire, selon la répartition détaillée vendredi par le ministère. Ces postes budgétaires ne correspondent cependant pas tous à des postes d’enseignants devant élèves, car la priorité du ministère est d’ "employer le plus efficacement possible" les enseignants, notamment en améliorant la gestion des remplacements et par le retour devant élèves des professeurs "mis à disposition" (par exemple dans des associations). (...) Pour les enseignants, l’évolution de leurs effectifs s’explique en sept points, détaillés lors d’un point de presse par le directeur de cabinet du ministre de l’Education Xavier Darcos.
Création de 500 postes en primaire pour l’ouverture de 500 classes, compte tenu de la hausse prévisionnelle de 16.000 écoliers à la rentrée 2009.
Réaffectation au sein du primaire de 3.000 maîtres spécialisés dans la difficulté scolaire (dits maîtres "E" et "G"). Alors qu’ils faisaient de l’aide individuelle ou en petits groupes, ils se verront affecter une classe.
Enseignants "mis à disposition" : 1.500 vont être remis devant élèves (500 en primaire, 1.000 en secondaire). Etc.
Rappelons peut-être ce que désignent ces appellations quelque peu barbares, qui peuvent aussi prêter à sourire, « maîtres G » et « maîtres E ». Peu de parents connaissent le travail réel de ces enseignants spécialisés dans la remédiation. Nombre d’enseignants non spécialisés, d’inspecteurs et de membres du Ministère de l’Education Nationale ont malheureusement une vision déformée ou partielle de leurs missions.
D’après la circulaire du 30 avril 2002, dernière circulaire organisant les aides aux élèves en difficulté ou en grande difficulté, les Réseaux d’Aides Spécialisées aux élèves en difficulté, formés de psychologues scolaires, d’enseignants spécialisés chargés des aides à dominante pédagogique (les « maîtres E ») et d’enseignants spécialisés chargés des aides à dominante rééducative (les « maîtres G »), ont deux missions essentielles, l’une de prévention, l’autre de remédiation.
Examinons comment sont définies, très officiellement, ces deux aides spécialisées :
Les aides spécialisées à dominante pédagogique, ou aides pédagogiques :
« Elles sont adaptées aux situations dans lesquelles les élèves manifestent des difficultés avérées à comprendre et à apprendre alors même que leurs capacités de travail mental sont satisfaisantes.
En référence aux domaines d’activités de l’école maternelle ou aux domaines disciplinaires de l’école élémentaire, les actions visent à la maîtrise des méthodes et des techniques de travail, à la stabilisation des acquisitions et à leur transférabilité, à la prise de conscience des manières de faire qui conduisent à la réussite.
Les conditions créées favorisent l’expérience du succès et la prise de conscience des progrès. »
Les aides spécialisées à dominante rééducative, ou rééducations :
« Elles sont en particulier indiquées quand il faut faire évoluer les rapports de l’enfant à l’exigence scolaire, restaurer l’investissement scolaire ou aider à son instauration.
En effet, si la réussite scolaire suppose que les processus cognitifs soient efficients, elle requiert aussi un bon fonctionnement des interactions avec le maître et les autres élèves, ainsi que des capacités à répondre aux sollicitations permanentes, et parfois pressantes, de l’institution scolaire.
Face à cela, certains enfants, du fait des conditions sociales et culturelles de leur vie ou du fait de leur histoire particulière, ne se sentent pas “autorisés” à satisfaire aux exigences scolaires, ou ne s’en croient pas capables, ou ne peuvent se mobiliser pour faire face aux attentes (du maître, de la famille, etc.). Les aides spécialisées à dominante rééducative ont pour objectif d’amener les enfants à dépasser ces obstacles, en particulier en les aidant à établir des liens entre leur “monde personnel” et les codes culturels que requiert l’école, par la création de médiations spécifiques. C’est la raison pour laquelle les aides spécialisées s’effectuent avec l’accord des parents et, dans toute la mesure du possible, avec leur concours. »
Le lecteur attentif aura noté que les aides pédagogiques s’adressent à l’élève et les aides rééducatives à l’enfant. En effet, les aides pédagogiques concernent des enfants qui, devenus élèves, sont confrontés à des difficultés d’organisation de la pensée logique, de stratégies d’apprentissage, de mémorisation, de comparaison, d’entrée dans l’abstraction… mais ils sont installés dans la fonction d’élève, certes ni de manière confortable, ni de manière efficace.
Au contraire, les aides rééducatives s’adressent à des enfants qui ne sont pas encore devenus élèves, le plus souvent en raison d’une histoire difficile ou compliquée. Ces enfants en souffrance ne sont pas dans le trouble avéré mais sont en chemin vers un trouble possible. La rééducation est donc une pragmatique du changement qui intervient entre le champ pédagogique et le champ thérapeutique pour aider un enfant à se construire pleinement comme élève et à ne pas fixer ses difficultés en troubles relevant d’une prise en charge plus lourde et plus coûteuse, hors champ scolaire.
La prévention :
La prévention peut prendre différentes formes. Dans sa forme la plus élaborée, elle consiste en un dispositif complexe, systémique fondé sur l’analyse des risques présentés par l’enfant et non sur ses difficultés. L’enfant doit se séparer sans rompre de sa famille, de sa lignée et de son origine, des pressions de son entourage, de la mythologie familiale tandis que l’élève doit se lier à un nouveau groupe d’appartenance, en découvrir les règles, les lois, les mythes et s’y adapter sans renoncer à être soi-même. Un sujet épanoui dans le champ scolaire naît de la rencontre et de l’équilibration du projet de l’enfant et du projet de l’élève.
Quand les dispositifs complets de prévention sont mis en place, en moyenne section, voir en petite section de l’Ecole maternelle, ils permettent une réduction de 30% des difficultés et donc des besoins d’interventions spécialisées en cycle 2. Elles permettent aussi de repérer les enfants en difficulté et de mettre en place le plus tôt possible les aides adaptées, soit au sein de l’école, aides pédagogiques, aides rééducatives, soit à l’extérieur de l’école, orthophonie, psychomotricité, psychothérapie ou autre.
Les enseignants spécialisés ont aussi d’autres missions, auprès des parents, qu’ils accompagnent, des enseignants, avec qui ils définissent les projets d’aides adaptés à chaque élève en difficulté, et des très nombreux partenaires de l’école concernés.
Ils détectent aussi les maltraitances, les carences éducatives et participent pleinement à la protection de l’enfance.
Ajoutons que l’Education Nationale étant depuis longtemps incapable d’organiser la formation continue des membres des RASED,les enseignants spécialisés se sont organisés en Fédération afin d’organiser eux-mêmes leur propre formation continue, à leurs frais, avec les meilleurs spécialistes de pédagogie, psychologie, psychiatrie, médecine et autres : la Fédération Nationale des Associations de Rééducateurs de l’Education Nationale (FNAREN) et la Fédération Nationale des Associations de Maîtres E (FNAME). La FNAREN et la FNAME organisent aussi leurs propres programmes de recherches avec des chercheurs universitaires ou professeurs au sein des IUFM. Ils ont ainsi publié de très nombreux travaux validés, dont des outils d’indication et d’évaluation spécifiques.
Les conséquences
Supprimer ces enseignants spécialisés, « maîtres E » et « maîtres G », signifie détruire un dispositif qui a fait ses preuves, qui a su s’adapter depuis plusieurs décennies à l’évolution des problématiques des enfants, dans des conditions de travail souvent difficiles (les Réseaux d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté souffraient déjà du manque de personnel) alors même que le nombre d’enfants en difficulté ne cesse d’augmenter, en raison notamment des conditions matérielles et sociales désastreuses dans lesquelles se trouve un grand nombre de familles, en raison de la paupérisation et de la misère culturelle qui s’étend dans la population (7.000.000 d’individus vivent sous le seuil de pauvreté sur le territoire français).
Le gouvernement voudrait se cacher derrière la mise en place des deux heures hebdomadaires d’aide personnalisée aux élèves en difficulté, conduites par des enseignants non spécialisés, pour faire croire aux parents que les enfants en difficulté ne seront pas abandonnés. Mais comme l’a très bien souligné André Ouzoulias [1] dans une lettre de soutien adressé au directeur de la FNAME le 29 septembre 2008 :
« Xavier Darcos pense peut-être que, du fait que les effectifs moyens par classe ne monteront pas significativement et qu’il offre 2 h de « soutien » aux « élèves en difficulté », les parents ne s’apercevront de rien et ne diront rien. Mais pour cette fois, je crois qu’il se trompe. Les parents peuvent comprendre qu’il y a là une escroquerie. Si on leur explique qu’en supprimant les psy, les E et les G des RASED, le ministère prend, dans le domaine de l’éducation, une mesure qui reviendrait, dans celui de la santé, à supprimer les spécialistes (ophtalmo, ORL, gastro, etc.) tout en proclamant que les généralistes sauront répondre aux besoins des patients, ils ne laisseront pas faire. »
Le gouvernement a donc décidé de se priver d’un maillon essentiel du dispositif global de l’aide aux élèves en difficulté et, parmi eux, des enfants présentant un handicap.
En cas de suppression des RASED, que va-t-il se passer sur le terrain ? Les enfants qui relevaient de l’aide des Réseaux d’Aide devront trouver à l’extérieur de l’école une aide appropriée, auprès des Centres d’Action Médico-Sociale Précoce, les CAMSP, des Centres Médico-Psycho-Pédagogiques, les CMPP, des Centres Médico-Psychologiques, les CMP, ou dans le secteur libéral. Les CAMSP et CMPP n’arrivent déjà pas à faire face aux demandes. Les listes d’attente sont impressionnantes, tout comme les délais, un an d’attente est un délai « normal ». Ces établissements verront augmenter le nombre d’enfants en liste d’attente. Ce qui signifie que la plupart des enfants seront pris en charge beaucoup trop tardivement ou pas du tout.
Cette décision va aussi transférer aux Conseils Généraux, déjà étranglés financièrement, le poids de ces prises en charge supplémentaires par ces établissements. De plus, un grand nombre d’enfants pris en charge dans les CMPP et les CAMSP bénéficient d’un transport financé par le Conseil Général, les parents étant souvent indisponibles aux heures de séances. Certes, si de plus en plus de parents se retrouvent au chômage, ils pourront accompagner les enfants dans ces établissements. C’est peut-être là la cohérence gouvernementale.
Le système de prévention, déjà très insuffisant, sera inexistant. En effet, la prévention conduite par les Réseaux d’Aides supprimée, seules les PMI pourront conduire les actions de prévention en milieu scolaire (encore s’agit-il de prévention selon le modèle médical qui détecte des difficultés déjà avérées et non d’une véritable prévention basée sur les risques d’apparition des difficultés) alors même que leurs moyens ne leur permettent absolument pas à ce jour de suivre l’ensemble d’une classe d’âge chaque année scolaire.
Le Ministère de l’Education Nationale ne peut guère faire pire que de supprimer les Réseaux d’Aides aux Elèves en Difficulté, à moins bien sûr que les enfants soient le dernier de ses soucis, ce que semble démontrer les décisions prises par ce gouvernement depuis son arrivée au pouvoir.
Seule une puissante mobilisation de tous les acteurs concernés pourrait ramener à un peu de raison Xavier Darcos et ses comptables. Vous pouvez trouver des informations complémentaires sur les liens qui suivent :
La FNAREN : www.fnaren.asso.fr
La FNAME : www.fname.fr
Vous pouvez aussi signer la pétition contre la fermeture des Réseaux d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté à cette adresse : http://www.sauvonslesrased.org/
Rémi Boyer est auteur, membre de la Maison des Surréalistes
Télécharger le document : "DARCOS M’A TUER" OU PAS DE PITIE POUR LE PETIT PERSONNEL (SPECIALISE) DES ECOLES :
[1] Professeur à l’IUFM de Versailles-UCP (Université de Cergy-Pontoise), Département PEPSSE (Philosophie, épistémologie, psychologie, sociologie et sciences de l’éducation).