Nos voisins Allemands souhaitent produire et utiliser une électricité verte, c’est à dire sans carbone ni nucléaire. C’est l’Energiewende (le tournant énergétique en allemand). Gouvernements, industriels et consommateurs poursuivent cet objectif. Il a pris la forme de décisions sur le nucléaire (arrêt immédiat des centrales anciennes et arrêt définitif programmé en 2022 pour les 17 réacteurs de 2010), et des programmes visant à faire monter l’éolien et le solaire dans le mix électrique.
Où en sont-ils ? Tout d’abord,quel était, avant l’accident de Fukushima, le mix électrique allemand. Le graphique ci-contre donne les chiffres de 2010.
L’Allemagne avait produit en 2010 un total de 622 TWh, soit 15% de plus que la France (ne pas oublier que sa population est plus importante, 81 millions contre 65). Le charbon comptant pour 42% et le gaz pour près de 14%. La production nucléaire représentait 24% de l’électricité produite soit environ 140 TWh. Aujourd’hui, elle est de l’ordre de 18%.
Le charbon et le lignite constituent donc la base du système de production. Environ 70 millions de tonnes de charbon et 180 millions de tonnes de lignite sont extraits du sol de l’Allemagne par an. Tandis qu’environ 50 millions de tonnes de charbon sont importées (en ce moment en particulier des Etats-Unis où la chute du prix du gaz en raison de l’arrivée massive de gaz non conventionnel (gisements compacts et schiste) a provoqué une diminution du recours au charbon, d’où la baisse de son prix et sa disponibilité à l’export). Si le charbon sort des mines, la lignite est exploitée en arasant le sol arable et en attaquant la lignite avec d’énormes excavatrices.
En 2011, l’arrêt des 8 réacteurs nucléaires décidé par Angela Merkel après Fukushima a correspondu à une non-production de 32 TWh par rapport à 2010. Comment le système électrique allemand a t-il géré cette baisse ?
D’abord, la crise économique a entrainé une diminution de 3 TWh de la consommation. L’Allemagne a diminué de 11 TWh ses exportations d’électricité (elles sont passées de 17 à 6 TWh selon ENTSOE). L’essentiel des 18 TWh restant à produire l’a été par l’augmentation de la production d’énergie renouvelable, environ 7 TWh pour le solaire et 9 TWh pour l’éolien.
D’ici 2022, date de l’arrêt des centrales nucléaires restantes, les énergies renouvelables ne pourront pas remplacer leur production, et encore moins se substituer aux centrales à charbon et à gaz, pour beaucoup importé de Russie, via la société russe Gazprom, notamment par le gazoduc construit sous la mer Baltique par un consortium dont l’ancien Chancelier Gerhard Schröder préside le conseil de surveillance. Donc, ces dernières constitueront la base du système électrique jusqu’en 2030. Au moins, car près de 30 GW de centrales à gaz et charbon sont en construction ou en projet. Comment, alors, les Allemands pourraient-ils se passer tant du nucléaire que des énergies fossiles en 2050, selon leur objectif officiel ? A quoi pourrait ressembler leur système électrique à cette échéance ?
En voici un exemple, tiré d’une étude du Fraunhofer Institute des systèmes énergétiques solaires Fribourg-en-Brisgau (Bade-Wurtemberg). Les chercheurs ont simulé un système électrique fonctionnant heure par heure et sur une année entière à partir d’énergies renouvelables, en prenant comme base des besoins le succès d’une politique d’économie d’énergie, de diminution de la consommation d’électricité d’environ 25% par rapport à aujourd’hui.
Le scénario 100% renouvelables, basé sur une alimentation autarcique en énergie et sur des potentiels techniques considérés comme réalistes, comprend, en termes de puissance installée :
► 170 GW d’éolien terrestre et 85 GW d’éolien en mer (soit 255 GW contre 29 GW actuels en tout).
► 200 GW de photovoltaïque.
► 70 GW de centrales dites Power-to-Gas, prévues pour transformer l’électricité d’origine renouvelable en gaz (hydrogène utilisé comme tel ou peut-être méthanisé) lors des périodes de production excédentaires par rapport à la demande.
► 95 GW de centrales à gaz utilisées en "back-up", lorsque la production d’origine renouvelable n’est pas suffisante, et optionnellement couplées à des systèmes de récupération de la chaleur pour réinjection dans les réseaux de chaleur.
► De nombreuses capacités de stockage de chaleur permettant de diminuer la part de la biomasse (50 TWh/an) dans la production de chaleur et d’électricité. Ainsi, la majeure partie de la biomasse sera consacrée aux transports et aux procédés industriels. Et 130 GW de solaire thermique, produisant directement de l’eau chaude qui ne font pas partie du système électrique mais qu’il faut mentionner car ils remplacent des systèmes électriques actuels.
L’addition des capacités de production d’électricité aboutit à 550 GW, plus (ou dont, ce n’est pas clair) 70 GW pour produire du gaz à partir d’électricité excédentaire qui est ensuite brulé dans les centrales à gaz.
L’énormité de ce chiffre peut être mesurée en le comparant à la puissance installée en France actuellement, soit environ 125 GW, dont 64 GW de centrales nucléaires. Ainsi, le seul parc de centrales à gaz serait d’une puissance supérieure au parc nucléaire français actuel. Au total, environ quatre fois plus de capacités de production, pour une production réelle de même ordre de grandeur. C’est évidemment le prix de l’intermittence des vents et du Soleil. Un tel dispositif suppose également la construction de plusieurs milliers de kilomètres de lignes à Très haute tention (THT) pour acheminer l’électricité éolienne du nord vers le sud du pays.
Quel serait le coût d’un tel mix électrique ? L’Institut Fraunhofer affirme qu’il serait comparable à l’actuel, mais le calcul n’a rien d’évident et sera probablement contesté. Ainsi les subventions pour le solaire auraient déjà atteint 110 milliards d’euros, tandis que la banque d’Etat KfW a chiffré entre 350 et 415 milliards d’euros les investissements a réaliser dans le système électrique d’ici 2020 (production, transport, import d’électricité éventuelle, efficacité énergétique). Ces derniers chiffres sont tirés d’une étude du Conseil d’analyse stratégique auprès du Premier ministre (lire ici). Ces coûts seront répercuté sur les factures d’électricité plus que sur des impôts ou taxes. Le prix moyens de l’électricité en Allemagne, qui n’était qu’environ 10% de plus que le prix en France il y a dix ans, se sont envolés.
Mis en ligne sur le blog Sciences², le 8 janvier 2013.
http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2013/01/electricit%C3%A9-le-cas-allemand.html