Eolien, nucléaire, la polémique fait rage entre les pros et les antis. Pas facile d’y voir clair, d’autant que des arguments partiels et partiaux prolifèrent.
La question a de quoi surprendre, car s’agissant de production électrique, il est bien connu qu’il n’y a émission de CO2 que par combustion d’un carburant fossile-fioul, gaz ou charbon- ce qui est le propre d’une centrale thermique. En fait, ce n’est pas si simple dès lors qu’on raisonne en termes de filière, c’est-à-dire en prenant en compte toutes les opérations qui sont nécessaires pour faire fonctionner une centrale nucléaire ou un système éolien. Cette approche suscite des polémiques épiques, par sites Internet interposés, entre pro et antinucléaires, pro et antiéoliens. Parmi les arguments échangés, quelle est la part du vrai et celle du faux ? Essayons d’y voir clair.
Le cas de l’éolien
Les antiéoliens purs et durs accusent les éoliennes d’être responsables d’émissions de CO2. Il n’est ici question que de l’éolien industriel c’est-à-dire des aérogénérateurs raccordés au réseau de transport et de distribution de l’électricité produite par les centrales nucléaires, hydrauliques et thermiques, comme c’est le cas en France. Leur raisonnement est le suivant : le vent est une énergie intermittente, de sorte que lorsque l’éolienne ne fonctionne plus par manque de vent ou par vent trop fort (on a établi qu’en France sur les 8760 heures que compte l’année, une éolienne sur la terre ferme fonctionne en moyenne 2500 heures, valeur qui pourrait atteindre 3500 heures en pleine mer), il faut recourir à des centrales thermiques. S’ils s’en tenaient là, il n’y aurait pas de quoi fouetter un chat, mais ils affirment que seules les centrales thermiques sont capables de suppléer les déficiences momentanées des éoliennes. Si ce n’était l’obstination de leurs auteurs, cette allégation pourrait se comprendre car il se trouve que pour des raisons de coût, EDF fait appel par ordre de priorité aux centrales hydrauliques puis thermiques et enfin si nécessaire, nucléaires pour répondre aux variations saisonnières mais aussi à celles plus rapides au cours d’une même journée, de la demande électrique. Si on doit ajouter à ces variations, les fluctuations de la puissance du vent, il est prévisible qu’en temps court ce seront l’hydraulique et le thermique qui seront les plus sollicités. Il n’est donc pas illogique d’en déduire que le jour où l’électricité éolienne deviendra significative (au moins 10% alors que pour le moment, elle ne couvre que 1% de la demande) et sachant que les possibilités du gros hydraulique sont épuisées (ce qui est loin d’être le cas du petit hydraulique), il faudra construire de nouvelles centrales thermiques, polluantes par définition.
Nucléaire-hydraulique- éolien, un mix énergétique non polluant
Mais, ce raisonnement ne tient que si on exclut a priori qu’il n’est pas possible de moduler souplement la puissance d’un réacteur nucléaire. Or, cet argument est totalement récusé par les membres de Sauvons le Climat [1], qui n’auraient pas manqué de l’utiliser, tant ils sont opposés à l’éolien mais pour raisons différentes de celles des antiéoliens militants. Se fondant sur des d’études très fouillées, ils ont montré que « les réacteurs modernes ont été conçus de telle manière que leur puissance peut être modulée de 8% pratiquement instantanément et qu’elle puisse varier entre 30 et 100% (dans les deux sens) de leur puissance nominale au rythme de 5% par minutes ». Du coup, les centrales thermiques n’auraient pas de véritable justification, et le principe d’un mix nucléaire-hydraulique-éolien non émetteur de CO2 (mais encore faut-il que ce soit le cas pour le nucléaire, ce que nous aborderons dans la deuxième partie de cet article) deviendrait crédible. C’est une option qui a l’avantage de bousculer beaucoup d’a priori. Espérons que la gravité du réchauffement climatique impliquant une lutte sans merci contre les émissions de CO2 incitera les pro et les anti de tout bord à laisser leur a priori au vestiaire et à s’assoir à la même table pour en débattre sereinement.
Le cas du nucléaire
Les émissions de CO2 associées à la filière nucléaire ne sont pas négligeables, mais de quelle importance comparativement à la filière thermique ?
Contrairement à une centrale thermique, une centrale nucléaire lorsque qu’elle fonctionne, n’émet pas de CO2, mais si l’on prend en compte sa construction et toutes les opérations allant de l’extraction du minerai d’uranium jusqu’au stockage des déchets radioactifs, le bilan carbone de la filière nucléaire est loin d’être négligeable. Depuis 2005, des études très pointues ne concernant que le cycle du combustible ont été publiées dans la littérature scientifique spécialisée. On conçoit aisément l’incertitude des évaluations qui vont dépendre des différentes énergies utilisées pour assurer l’ensemble des opérations en amont et en aval du strict fonctionnement de la centrale. Parmi les sept chiffrages connus, cinq se situent entre 5 et 16 gCO2 par KWh d’électricité produite et deux autres bien au-dessus. L’association Sortir du Nucléaire (SDN) a retenu le chiffre de 56 gCO2 par KWh, auquel elle ajoute sans donner de référence que « les matériaux utilisés pour la construction d’un réacteur (notamment ciment et acier) émettent lors de leur production près d’un million de tonnes de CO2 », se gardant bien d’évoquer combien il en couterait pour l’édification d’une ferme éolienne ou solaire. On est en droit de s’interroger sur ces chiffrages, d’autant plus qu’elle affirme, de même que l’association Greenpeace, que « le nucléaire requiert des compléments de production responsables de rejets de CO2 (centrales thermiques classiques lors des pics de demande d’électricité et des arrêts de réacteurs) », argument qui a déjà été réfuté dans la première partie de cet article. Et comme si cela ne suffisait pas SDN estime qu’« au total, le bilan carbone intrinsèque du nucléaire n’a rien d’insignifiant, et peut même atteindre le tiers du carbone attribuable à une centrale au gaz » Or, les chiffrages les plus répandus concernant les centrales au gaz donnent 450 gCO2/kWh en tenant du fonctionnement de la centrale et de l’extraction et du transport du gaz. Du coup, on se retrouverait avec un bilan carbone du combustible nucléaire de 150 gCO2/kWh, soit une augmentation par rapport au chiffrage actuel retenu par SDN de près de 40% ! On est même en droit de se demander si les émissions de CO2 responsables du réchauffement climatique ne sont pas volontairement sous estimées pour focaliser sur les dangers du nucléaires. SDN ne titre-t-elle pas l’un de ces documents « non à la tyrannie du CO2 » ? On conçoit qu’il soit de l’intérêt des antinucléaires de surestimer le bilan carbone de la filière nucléaire, mais cette méthode complique encore le débat pour en identifier les problèmes réels (pollutions nucléaire, stockage des déchets, sureté) Nous y consacrerons un prochain papier.
Les sites Internet des pro et des anti
Les sites proéoliens sont de deux types. Il y a ceux strictement commerciaux, en particulier celui du syndicat des énergies renouvelables (www.enr.fr) ou celui de France Energie Eolienne (fee.asso.fr), et ceux relevant d’associations dont la plus connue est la Fédération Planète éolienne qui fédère de nombreuses associations locales de promotion de l’énergie éolienne (www.planete eolienne.fr). Ces sites fournissent des informations utiles mais ne voient que les avantages de l’éolien. A l’inverse, les sites antiéoliens se chargent de tirer à boulets rouges sur cette énergie, le plus influent étant celui de la Fédération environnement durable (environnementdurable.net) dont le président Jean Louis Dupré est l’auteur d’un livre particulièrement virulent « L’imposture : pourquoi l’éolien est un danger pour la France ». Les sites qui se préoccupent du nucléaire, se prononcent aussi sur l’éolien. De façon générale, les pronucléaires sont antiéoliens, et vice versa. Les sites concernés sont de nature très différente. Il y a ceux rattachés à des associations antinucléaires dont les plus fameuses sont Greenpeace (www.greenpeace.org) et Sortir du nucléaire (www.sortirdunucleaire.org) (et aussi, Réseau action climat –France (RAC-F) et Agir pour l’environnement/Amis de la terre). Elles éditent des documents dont les arguments repris par des collectifs locaux recherchent, non sans efficacité, la simplicité pédagogique mais au prix d’une certaine caricature. A côté de ces sites militants, il y a le site de Global Chance, association de scientifiques et d’économistes qui publie des dossiers très denses comme « Nucléaire : la grande illusion : promesses, déboires et menaces » ou « Énergies renouvelables, développement et environnement : Discours, réalités et perspectives » A l’opposé, l’association Sauvons le climat, adversaire irréductible de l’éolien, ne jure que par le nucléaire et à ce titre est l’adversaire irréductible de l’éolien. Elle a été créée par des physiciens du nucléaire et d’experts en énergétique et en environnement dont les publications s’apparentent le plus à celles qui sont la norme dans les milieux scientifique.
Article paru dans Le Travailleur Catalan. Août 2009.
A lire également sur le site :
-l’étude "Halte au développement anarchique des Centrales thermiques au gaz en France", dans la même rubrique.
-la note de Denis Cohen Nucléaire : débattre avant de décider
[1] Sauvons le climat est une association créée par des physiciens du nucléaire, des experts en énergétique et en environnement dont les études sont mises en ligne sur le site www.sauvonsleclimat.org