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Esclavage, colonisation, le révisionnisme de Nicolas Sarkozy
Par Eric Le Lann

De nombreux Africains ont réagi au discours de Nicolas Sarkozy à l’université de Dakar, le 27 juillet dernier, et à sa prétention à leur faire la leçon. Il était en effet bien mal venu qu’un Président français invite les Africains à suivre le modèle de production et de consommation qui domine dans les pays occidentaux, au moment où il apparaît de manière flagrante que celui-ci conduit l’humanité à la ruine parce qu’il est au-dessus des possibilités de la planète. On comprend aussi leur colère devant la lourde insistance de Nicolas Sarkozy à présenter l’Afrique comme le continent du mystère ou bien encore comme un continent qui n’a pas connu l’Histoire.

Il est un autre aspect de ce discours qui mérite qu’on s’y attarde. "Nul, déclare Nicolas Sarkozy à propos de l’esclavage et de la colonisation, ne peut demander aux générations d’aujourd’hui d’expier ce crime perpétré par les générations passées. Nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères." Refuser de rendre les fils (pas plus que les filles) responsables des fautes de leurs pères, on ne peut qu’applaudir. Aucun descendant des esclavagistes, que ceux-ci aient été français, anglais, portuguais, arabe ou soninke ou autre, ne peut être tenu pour responsable des fautes de ses ancêtres. Pas plus que les Allemands nés après la guerre ne peuvent être tenus pour responsables des crimes nazis. Mais, une analyse sémantique élémentaire de cette phrase montre que Nicolas Sarkozy ne dit pas que cela. Il proclame qu’il s’agit là de crimes commis par des générations passées dans leur ensemble. Il ne s’agit pas d’un écart de langage inopiné, puisqu’il poursuit ainsi : "les Européens sont venus en Afrique en conquérants. Ils ont pris la terre de vos ancêtres. Ils ont banni les dieux, les langues, les croyances, les coutumes de vos pères. Ils ont dit à vos pères ce qu’ils devaient penser, ce qu’ils devaient croire, ce qu’ils devaient faire. Ils ont coupé vos pères de leur passé, ils leur ont arraché leur âme et leurs racines. Ils ont désenchanté l’Afrique. Ils ont eu tort.".

S’agissant de la responsabilité des Français, dans son fameux discours sur la rafle du Veld’hiv, Jacques Chirac avait tenu un langage différent. Il mettait en évidence le rôle de l’Etat, la participation de Français à cette entreprise, mais à aucun moment il ne stigmatisait les Français dans leur ensemble : "Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’Etat français. Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l’autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis."

Le glissement opéré par Nicolas Sarkozy aboutit à une falsification historique. Et cette falsification n’est pas anodine. Elle aboutit à éliminer les rapports de domination, d’exploitation, bref de classe, qui ont été de pair avec les spécifications de race à l’œuvre dans l’esclavage ou dans la colonisation.

Pour prendre le cas de la traite atlantique, ceux qui l’ont organisé, ceux qui en ont profité sont une catégorie bien identifiée. Je lis ainsi dans l’ouvrage La route des esclaves : "Jusqu’en 1767, les compagnies reçoivent pour chaque esclave introduit en Amérique, 10 puis 13 livres à partir de 1724 et 13 livres aux armateurs comme redevance. Les négociants qu’elles ont autorisés à acheter des hommes à la côte d’Afrique sont libérés de la moitié des droits de douane sur les produits coloniaux qu’ils apportent en métropole et qu’ils ont troqué aux Antilles contre des esclaves. Le 26 octobre 1784, un arrêt du Conseil d’Etat accorde une gratification de 40 livres tournois par tonneau aux navires négriers partant en expédition. S’y ajoute une prime de 60 livres par nègre introduit à la Martinique et à la Guadeloupe et une autre de 100 livres par tête si le fret humain est débarqué dans la partie sud de Saint-Domingue, à Cayenne, à Tobago et Sainte-Lucie. Les gratifications dont la pratique ne cessa que le 19 septembre 1793 ont coûté cher à l’Etat : plus d’un million 600.000 livres en 1785, environ 3 millions à la fin de l’Ancien régime." Les principaux financiers à la tête du trafic sont cités : à Paris ce sont Wailsch, Paris de Montmartel, Tourton et Baur, Grou et Michel, Dupleix de Bacquencourt ; à Nantes, Montaudoin, Bouteiller, Trochon, Drouin, Luynes, Michel, Bertrand de Coeuvre, Grou, Chaurand, Portier de Lantino, Espivent de la Villeboisnet, Perrée de la Villestreux, Wailsch, O’Schiell, D’Haverlooze ; au Havre, Begouen Derreaux, Foäche ; à Saint-Malo, Magon, Surcouf ; à La Rochelle, Garaichers, Carayon ; à Bordeaux, Labatut, Nairac, à Marseille, Roux. "Le besoin d’anoblissement démange ces manipulateurs d’argent. Ils s’astreignent à vivre noblement et s’ils le peuvent achètent une charge de secrétaire du roi, la plus accessible des savonnettes à vilain."

Cela vaut pour les périodes où le gouvernement français était issu des élections. On ne peut faire comme si la démocratie effaçait toutes les contradictions sociales, comme si le suffrage universel effaçait toutes les autres distinctions. C’est une réalité : il y a eu des forces coloniales, des forces anticoloniales, et des forces qui n’ont pas pris part à ce combat. On ne peut faire comme si nous vivions une démocratie parfaite corollaire d’une coresponsabilité idéale des citoyens, chacun d’entre eux participant de manière égale à toute décision. La démocratie ne raye pas de la carte comme par magie les pouvoirs, qu’ils soient économiques, militaires, ou autres.

Cela vaut encore pour la Françafrique. J’ai eu la chance d’entendre François-Xavier Vershave. Il insistait, ses livres en témoignent également, sur le fait que les circuits opaques de la Françafrique profitaient pour l’essentiel à une infime minorité d’initiés en favorisant l’accumulation de capitaux parasitaires, et non au plus grand nombre, en France comme en Afrique. Il montrait aussi comment les relations entre la France et les Etats africains constituaient un domaine où le regard du peuple, la démocratie, ne s’exerçait pas réellement.

Je cherche à imaginer la réaction cinglante qui aurait pu être la sienne au discours de Nicolas Sarkozy. Je me rappelle l’importance qu’il accordait au combat la transparence et notamment à la campagne Publier ce que vous payez, menée notamment par de courageux militants de la République du Congo. Puisque Nicolas Sarkozy en appelle au combat contre la corruption, je crois donc qu’il l’aurait pris au mot en demandant que Total, parmi d’autres, publie les comptes du pétrole que cette firme achète en Afrique, le prix de chaque baril, et où est versé l’argent. Et pourquoi pas aussi ceux de Bolloré, une des firmes qui joue un rôle non négligeable en Afrique ? Quelque chose me dit que ce n’est pas ce que Nicolas Sarkozy a en tête...


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