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Et si la crise économique ne faisait que commencer ?
Par Frédéric Lemaître

Silvio Berlusconi aurait voulu envoyer un message subliminal au reste de la planète qu’il n’aurait pas trouvé mieux. Dévasté par un tremblement de terre, L’Aquila est effectivement le meilleur endroit pour réunir cette semaine les dirigeants du G8. Rien n’illustre mieux l’état du monde actuel que des ruines rafistolées de bric et de broc.

C’est vrai : il y a aux Etats-Unis, notamment dans la finance, quelques voix pour expliquer que le pire est passé. Que la crise de 2008 n’était que l’éclatement d’une bulle du crédit. Que la purge est désormais faite et que les choses vont repartir comme avant. Les banques n’ont-elles pas déjà remboursé les aides publiques ? Les bonus ne sont-ils pas de retour ?
Les cent cinquante intervenants (dont une soixantaine d’étrangers) qui se sont exprimés les 4, 5 et 6 juillet lors des 9e Rencontres d’Aix-en-Provence, organisées par le Cercle des économistes, ont, dans leur immense majorité, tenu des propos plus alarmistes.

Il y a d’abord ces chiffres, terrifiants, de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). D’avril 2008 à avril 2009, le chômage a crû de 40 % dans les pays les plus riches. De 2007 à 2010, il devrait même y avoir 26 millions de chômeurs en plus, un bond de 80 %, sans précédent en si peu de temps. "Le plus gros de la détérioration reste à venir", a mis en garde Martine Durand, responsable de l’emploi.

Or, selon Patrick Artus (banque Natixis), "les emplois perdus le sont de façon irréversible". "On fabriquera moins de voitures et moins de biens durables. Où seront créés les emplois de demain ? On ne sait pas", reconnaît-il. Même Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne, doute : "Nous avons créé une entité nouvelle, l’économie mondialisée, dont nous découvrons la fragilité. (...) L’avenir n’est écrit nulle part en ce moment." Selon le scénario de Patrick Artus, dans trois ou quatre ans, la dette des pays de l’OCDE va dépasser leur produit intérieur brut (PIB). Résultat : "Il va falloir diminuer la protection sociale, le nombre de fonctionnaires et augmenter les impôts", prévient-il.

Personne n’a défendu l’idée d’un grand emprunt public comme la France s’apprête à le faire. "Autant boire un pastis pour guérir une gueule de bois", tranche l’assureur Denis Kessler, ancien numéro deux du Medef. Alors qu’Angela Merkel promet de baisser les impôts tout en réduisant les déficits publics allemands, qu’au contraire Nicolas Sarkozy s’efforce de théoriser les bienfaits du surendettement et que, dans les pays industrialisés, la petite musique du protectionnisme se fait de plus en plus insistante, le président de la BCE met en garde les gouvernements comme il ne l’a jamais fait jusqu’ici : "Nous avons créé une économie financière mondialisée, il faut évidemment une gouvernance mondiale. Mais le G20 ne suffit pas. Chaque pays doit internaliser les effets de sa politique sur ce bien supérieur collectif qu’est l’économie mondiale." En clair, par leurs excédents excessifs (Chine aujourd’hui, Allemagne demain) ou des déficits qui le sont tout autant (Etats-Unis aujourd’hui, France demain), les gouvernements sapent une mondialisation dont ils ne se sentent pas responsables mais dont chacun profite.

Si solution il y a, elle ne peut être que collective. Or rien n’est moins sûr. On l’a vu au second semestre 2008 : sans Europe volontariste, pas de coopération mondiale possible. "Il y a une demande d’Europe, y compris en Chine. Car, depuis cinquante ans, l’Europe porte la régulation", analyse l’ancien commissaire européen Mario Monti. "Mais je ne suis pas sûr qu’il y ait une offre d’Europe", rajoute-t-il aussitôt. Entre la France et l’Allemagne, qui se tournent le dos, la Commission aux abonnés absents et les Britanniques qui pensent avant tout à sauver la City et tuer dans l’oeuf toute tentative de régulation, l’Europe a déjà perdu l’influence qui était la sienne, en novembre 2008, au G20 de Washington.

Ceci explique-t-il cela ? Alors que le G20 de Pittsburgh, en septembre, sera déterminant, notamment pour juger de la capacité des politiques à réguler une finance à nouveau folle, Christine Lagarde s’est montrée étonnamment peu ambitieuse. "Le G20 de Pittsburgh sera surtout l’occasion de dresser le procès-verbal de ce qui aura été mis en oeuvre", estime la ministre française de l’économie. De quoi donner raison à Robert Reich, l’ancien secrétaire au travail de Bill Clinton, qui juge que le poids des lobbies est sans doute trop puissant pour que Barack Obama puisse vraiment gagner contre Wall Street.
Ce serait une très mauvaise nouvelle. Certains imaginent déjà un scénario catastrophe : échec de Pittsburgh suivi, au début de l’année 2010, par l’annonce de bonus record dans la finance et une augmentation inédite du nombre des faillites et des licenciements. Denis Kessler, pour lequel "les troisièmes années de crise se caractérisent souvent par du populisme, du protectionnisme et du patriotisme", aurait alors vu juste.

N’y a-t-il donc aucune raison d’être optimiste ? Si. Trois. L’Asie émergente ne résiste pas si mal, les besoins sont immenses pour accueillir trois milliards d’habitants supplémentaires d’ici à 2050 et, surtout, les économistes sont loin d’être infaillibles.

Article publié dans Le Monde du 7 juillet 2009


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