S’agissant de l’incapacité à se faire entendre, à faire vivre une pratique politique, à mettre en œuvre un communisme politique, bref à sortir de la phraséologie répétitive ou du populisme grossier et à offrir de la politique telle qu’elle est attendue (car elle l’est) par le plus grand nombre, permettez-moi de citer ici un extrait d’un compte-rendu du Monde des livres du 29 octobre dernier consacré à un ouvrage de Pierre Zaoui. L’article rapporte que ce philosophe, né dans une famille de juifs algériens de Grenoble en 1968 rencontre rue d’Ulm une bande de copains regroupés dans un cercle baptisé « Le couteau entre les dents ». Ils partagent une espérance et quelques combats, manifestent contre la guerre du Golfe, soutiennent les sans-papiers, luttent contre l’implantation d’une librairie négationniste à quelques centaines de mètres de Normale-Sup. En 1991, Philippe Mangeot l’entraîne dans l’aventure Act Up Paris. Pour Zaoui, l’association de lutte contre le sida représente une école de vie et de vigilance. Il s’y lie d’affection avec des militantes et des militants qui tentent de réinventer les formes de l’engagement. De cette expérience, le jeune philosophe et ses amis ont gardé une conviction commune : prendre la politique au sérieux, c’est ne jamais la réduire à un discours abstrait, c’est toujours l’ancrer dans une parole vécue. Tel est le principe qui préside, en 1997, à la naissance de Vacarme, une revue que Zaoui crée avec d’autres philosophes de sa génération et qui demeure l’un des espaces les plus originaux de la scène intellectuelle française. Composée de philosophes, d’historiens, de sociologues et d’écrivains, l’équipe qui l’anime se retrouve autour d’une même obsession : « Nous voulons faire une politique à hauteur d’homme. Nous refusons la position de surplomb qui consiste à donner des leçons, à distribuer les bons et les mauvais points. Voilà pourquoi nous sommes dans un rapport d’opposition avec des intellectuels comme Alain Badiou ou Jacques Rancière : tous deux sont pris dans une primauté du politique qui leur permet de se désintéresser de la politique réelle. »
Concernant le rejet du capitalisme financier contenu dans le mouvement social de l’automne, Pierre Blotin a raison, il représente bien aujourd’hui la base d’un possible rassemblement le plus large. Cette financiarisation de l’économie fait souffrir beaucoup beaucoup de monde. Elle vide le travail de son contenu utile et créateur. On le voit dans les entreprises, dans la société où la langue mise au service du rendement financier tente de s’imposer en devenant la règle et de recouvrir jusqu’à la langue maternelle. Des travaux viennent de paraître sur ce phénomène... Le fait que le peuple, après 40 ans, soit entré en scène de manière si exceptionnelle en France mais aussi sous d’autres formes dans des pays d’Europe indique, semble-t-il, que le rejet du capitalisme financier mondialisé s’opère sur la base de la compréhension grandissante qu’il résulte de choix politiques et non techniques.
Ensuite, pour ce qui a trait aux populismes de droite comme de gauche évoqués dans la discussion, c’est un fait, l’un et l’autre progressent en Europe. Cela étant et afin de sortir de cette logique des extrêmes qui alimente les comportements réactifs et moutonniers, dangereux, il nous faut reconnaître que le Front national de Marine Le Pen prend en charge, quasiment seul, dans le discours, la revendication de l’existence de la nation. Cela fait maintenant trop longtemps que le PCF s’est laissé prendre le drapeau tricolore des mains. Dans un moment crucial de l’histoire de France où la colère frise par endroit un sentiment insurrectionnel, dans un moment où une partie de notre peuple renoue avec la défense du bien commun, avec ce qui a été gagné de communisme dans notre pays, la représentation collective que les gens ont se rapporte aussi à la nation. Ainsi que l’indiquait l’intellectuel libéral Pierre Manent qui s’est prononcé contre le projet de Constitution européenne, l’abaissement de la nation c’est l’abaissement de la démocratie. Les communistes ne doivent ni déserter le terrain de l’Europe ni abandonner la nation à la seule extrême droite. Car la nation n’est ni une idée ni une réalité dépassée, les communistes doivent faire vivre une autre idée de la nation dans une Europe nouvelle.
Enfin, quelques mots de mon expérience récente sur la réception du livre 80 ans de Fête de l’Humanité paru en septembre au Cherche Midi. Non seulement, j’ai été surpris par l’accueil fait par la presse du Parisien à Libération, du Journal du Dimanche au Monde mais également par les réactions et les échanges avec les journalistes des différentes radios et télés et de la presse écrite. Il y a de l’inquiétude chez les journalistes, de l’attention à notre discours et si l’on a raison d’avancer que notre société a besoin de communisme, chez les journalistes, je peux témoigner qu’il y a besoin de Parti communiste.
Par ailleurs, lors des rencontres-débats autour du livre (qui, signe politique, se vend très bien), à l’invitation des communistes, quand j’explique que la Fête est née et s’est développée réellement dans l’élan d’une politique d’ouverture et de rassemblement à gauche, de volonté de participer aux affaires du pays dans le cadre des institutions, contre une ligue sectaire, gauchiste, je me fais, je crois, parfaitement comprendre.
J’en termine, la CGT a émis l’idée puis a construit la proposition d’un syndicalisme rassemblé il y a quelques années an arrière. A ce moment là, les débats ont été, et c’est normal, assez vifs au sein de la Confédération.
Le mouvement de cet automne vient de trancher, en donnant raison, et de quelle façon, à cette orientation de la CGT ! Les communistes peuvent, eux aussi, mettre en mouvement un communisme politique d’aujourd’hui. Cette réunion de Villejuif [1], ce que j’y ai entendu, me redonne confiance dans leur capacité à être de nouveau utiles pour l’ouverture d’une vraie perspective à gauche.
8 novembre 2010
[1] Valère Staraselslki évoque ici une réunion organisée par Communisme 21, voir le compte-rendu sur le site http://www.communisme21.fr