Pour le comédien et directeur du centre dramatique national itinérant, en temps de crise, le théâtre et la culture ne peuvent pas être considérés comme des activités non indispensables.
Le directeur des Tréteaux de France s’interroge sur le bien-fondé des mesures de reconfinement et s’inquiète des conséquences pour les artistes, le public, les scolaires, ainsi privés des « productions de l’esprit ». Entretien avec Gérald Rossi publié dans l’Humanité du 2 Novembre 2020
Comment vivez-vous ce nouveau confinement, alors que tous les théâtres sont une nouvelle fois mis en sommeil forcé ?
Il faut prendre conscience de la violence du virus, dans un contexte économique et politique gravissime. Mais force est de constater que le théâtre est assimilé au commerce non essentiel, c’est là que le bât blesse. Car, dans cette période, on ne devrait pouvoir nier la nécessité de l’art, des productions de l’esprit. Dans cette période, plus que jamais, n’avons-nous pas une mission de service public, pour permettre qu’il n’y ait pas de confinement mental, notamment vis-à-vis avec les jeunes ? Hélas, la pertinence de l’exécutif sur ces questions-là semble bien mince.
À quoi attribuez-vous ce manque de réflexion ?
Retrancher les gens chez eux pour des raisons sanitaires se comprend, mais cela contribue à perturber le discernement et l’esprit critique. Et nous sommes assimilés au divertissement, comme les cabarets ou les boîtes de nuit, alors que nous savons bien que présenter des œuvres, avec des auteurs au contact des publics, est une façon de refuser le repli sur soi. Cette politique revient en fait à nier la fonction du théâtre, dont Vilar disait que c’est « une nourriture indispensable à la vie ».
Vous avez cependant fait des propositions qui ont été retenues, et les comédiens travaillent…
Des aides financières importantes ont été débloquées, avec la prise en compte du chômage partiel et de la situation particulière des intermittents. C’est important. Roselyne Bachelot a été mise en échec en défendant les théâtres pendant le couvre-feu. En revanche, les propositions des CDN et d’autres structures comme le Syndeac (Syndicat des entreprises artistiques et culturelles) ont été entendues. Ce qui nous permet désormais de travailler dans les salles, pour répéter et pour créer, en attendant de retrouver le public.
Vous dites aussi que la fermeture de librairies est une mesure dangereuse…
Dans cette période trouble, pouvoir se procurer par exemple des textes sur les fondements de la laïcité, lire de grands auteurs, des poètes, s’éloigner avec eux du temps présent pour favoriser la réflexion sur ces thèmes essentiels, n’est-ce pas une urgence ? Autant pour les adultes que pour jeunes, trop souvent enfermés dans les flux des réseaux numériques.
L’école est aussi un des lieux où le théâtre a sa place.
ROBIN RENUCCI Avec le plan Vigipirate renforcé, les comédiens vont-ils encore avoir le droit de pénétrer dans les établissements ? Pour l’heure, des collaborateurs des CDN font état dans plusieurs académies d’annulation ou réduction de prestations, faute de directives du ministère. L’école accueille les jeunes pendant que les parents travaillent, mais peut-on un seul instant imaginer que ce que j’appelle « l’élévation par la culture » puisse se faire sans les artistes, en soutien aux enseignants ?
Dans ce contexte, nombre de professionnels de la culture et de compagnies sont en survie…
Vous avez raison d’évoquer les compagnies, car ce sont elles qui portent la création. Il faudrait les rassurer, mais des directions régionales de la culture (Drac), c’est-à-dire l’État, leur reprochent actuellement de ne pas tenir leurs objectifs. Le public va revenir quand les salles seront ouvertes. Nous le savons. Mais il ne faut pas leur couper l’oxygène. Cela fait penser à cette réplique d’Agrippine, dans le Britannicus de Racine : « Ah, l’on s’efforce en vain de me fermer la bouche. » Comme les personnages, les artistes pensent toujours au-delà des nuages noirs.
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