Jacques Repussard, Directeur général de l’Institut de Radioprotection et de sûreté nucléaire m’a accordé un long entretien consacré à l’accident nucléaire survenu il y a un an au Japon. Jacques Repussard revient sur les causes immédiates et profondes de l’accident nucléaire de Fukushima Daï-ichi, sur les zones d’ombre de cette catastrophe, sur ses conséquences sanitaires, la gestion de l’accident par les autorités japonaises. Il répond au sentiment exprimé par les enquêtes d’opinion sur l’insincérité de l’IRSN. Sylvestre Huet.
Que sait-on aujourd’hui des causes et déroulement de l’accident et quelles sont les principales zones d’obscurité ?
Jacques Repussard : il y a plus de zones d’obscurité que de certitudes. Ce qui semble avéré, c’est que la cause immédiate de l’accident résulte de la combinaison du séisme et du tsunami. Leur part respective demeure incertaine. En l’absence de tsunami, le séisme seul aurait-il entraîné un accident de cette ampleur ? Probablement pas, car c’est le tsunami qui a mis hors service les générateurs de secours qui avaient démarré après le séisme et interdit la connexion des générateurs acheminés depuis Tokyo puisque les tableaux électriques étaient noyés sous l’eau de mer. Est-ce que le rétablissement rapide de l’électricité aurait empêché le déroulement de l’accident ou est-ce que les dégâts sur les tuyauteries auraient entraîné un accident majeur ? L’IRSN ne le sait pas.
Les zones d’ombre ne concernent pas seulement la technologie. Il y a aussi les hommes. Nous attendons de savoir comment les processus de décisions ont fonctionné. Nous savons qu’ils sont remontés jusqu’au premier ministre. Avec un effet positif si, comme il le semble, c’est ce dernier qui a imposé à TEPCo de ne pas quitter le site et de tenter de refroidir les cœurs des réacteurs et les piscines où se trouve le combustible usé, au prix, bien sûr, de la mise en danger des personnels. Cette décision était indispensable pour empêcher une catastrophe bien plus importante.
A votre connaissance, est-ce que l’accusation d’avoir retardé l’injection d’eau de mer est vérifiée ?
Jacques Repussard : l’IRSN, comme le reste de la communauté internationale du nucléaire, ne le sait pas avec précision. Pour le savoir il faudra étudier les documents qui retracent le processus de décision.
S’ils existent, car les minutes des réunions de la cellule de crise du premier ministre et de l’autorité de sûreté nucléaire n’ont pas fait l’objet d’enregistrements. C’est, dit le gouvernement japonais, une conséquence de la désorganisation....
Jacques Repussard : C’est exact. Dans ce domaine de l’action et des décisions, nous voyons des déficits par rapport aux gestes attendus. Le retard mis à s’occuper des piscines de rétention du combustible est assez surprenant. Le fait que des piscines non refroidies, avec des combustibles usés encore chauds, vont entrer en ébullition puis se vider par évaporation, est bien connu. En outre, avant même que le combustible ne soit découvert, découverte qui entraîne alors sa dégradation très rapide puis sa fusion, la baisse du niveau réduit la protection radiologique contre les radiations gamma, ce qui rend l’approche humaine impossible ou mortellement dangereuse. Ensuite, à découvert, il peut se produire un feu de zirconium qui est inextinguible par arrosage avec de l’eau. Pourquoi cet oubli ? Probablement le stress des responsables et des équipes dont le traumatisme était très fort. L’action a été réalisée... lorsque c’était presque trop tard. Cet exemple laisse penser que d’autres zones d’ombres doivent être levées. J’espère que les Japonais nous diront un jour tous les éléments nécessaires à la compréhension détaillée de l’accident. Une conférence scientifique internationale sur l’accident doit se tenir à Vienne le 21 mars, à l’AIEA. J’en serai un des co-présidents. Nous verrons ce que nos collègues japonais apporteront. Le sujet est délicat, la responsabilité des cadres est en jeu.
Il faut tout de même espérer qu’il y aura un jour procès au Japon, même s’il ne semble pas qu’une procédure soit engagée aujourd’hui...
Jacques Repussard : Certes, mais qui dit procès dit défense des intéressés et précautions des personnes relativement à la procédure judiciaire. Cela ne favorise pas nécessairement l’accès à la connaissance des processus de décision aujourd’hui.
Chacun comprend que les intérêts du gouvernement en place, des personnes en charge de la sûreté nucléaire et des dirigeants de la TEPCo sont directement menacés par un tel procès, intenté par la société civile japonaise. Mais est-ce que la communauté internationale peut tordre le bras aux autorités japonaises et accéder à la vérité ?
Jacques Repussard : les moyens d’action juridiques sont inexistants puisque le droit en cette matière est fondé sur la souveraineté des États et l’échange d’informations prévu par les traités ne prévoit pas de moyen de coercition pour les obliger à fournir une information. Le Japon a accepté que l’UNSCEAR (le Comité des nations unies sur l’effet des rayonnements ionisants) produise des rapports sur l’exposition des travailleurs et de la population. L’IRSN participe à ce travail.
Est-ce que cet accident était évitable ? N’est-ce pas troublant de constater que sur le site même les deux réacteurs les moins anciens étaient hors de la zone du tsunami, que la centrale de Daini, à dix kilomètres, et la centrale d’Onagawa, au nord, qui ont été frappées par le séisme et le tsunami ont pu être contrôlées ? Qu’est-ce qui était spécifique à ces quatre réacteurs qui explique une défaillance totale et aurait pu être évité ?
Jacques Repussard : la principale spécificité, c’est une moindre élévation, de quelques mètres, par rapport au niveau de la mer. Sur les autres sites, il y a eu séisme et tsunami, avec des dégâts importants et des difficultés, mais la situation a été maîtrisée. Sur les quatre réacteurs accidentés de Fukushima Dai-ichi, c’est la configuration pratique des prises d’eau et le niveau d’élévation qui semble avoir été déterminant.
Cette différence entre les quatre premiers réacteurs, construits à la fin des années 1960 et au tout début des années 1970, et les autres semble montrer que c’est la conscience du risque de tsunami qui a conduit les industriels et les ingénieurs à situer plus haut les réacteurs plus récents. Or, malgré cette conscience du risque et le rappel tragique de 2004 avec le tsunami qui a frappé l’océan indien, il ne s’est rien passé du côté de l’industriel comme de l’autorité de sûreté pour se poser la question de l’arrêt de réacteurs conçus avant même que l’on ait inventé la tectonique des plaques ?
Jacques Repussard : il est vrai qu’aucune décision n’a été prise. Pourtant, des rapports ont été remis, au moins à la TEPCo, soulignant le risque de tsunami. Mais ils n’ont pas été pris en compte, par l’autorité de sûreté, dans la décision de prolonger l’exploitation de ces réacteurs anciens, prise peu de temps avant l’accident. Cela signifie qu’il a été jugé – par l’exploitant, ou l’autorité de sûreté ou les deux – que le risque était suffisamment faible pour ne pas nécessiter de travaux coûteux. On débouche directement sur les stress tests européens et le jugement à porter sur des installations existantes et l’éventualité de travaux importants pour se protéger de phénomènes rares, ou très rares. Au Japon, il a été tranché en faveur de l’absence de travaux... et ce qui est paradoxal, c’est que les Japonais érigent maintenant une protection anti-tsunami à Fukushima Dai-ichi, un mur de 14 mètres de hauteur.
N’y avait-il pas quelque chose de pourri dans le système japonais ? Il y a eu des alertes, le tsunami de 2004, celui 1894 dont la puissance était identique à celui de 2011, des géologues, japonais et français, soulignaient depuis quinze ans que le risque sismique était sous-estimé dans cette région. En outre des précautions peu coûteuses, comme des recombineurs passifs évitant l’accumulation d’hydrogène explosif, ont été prises dans toutes les centrales nucléaires américaines ou françaises après l’accident de Three Miles Island, mais pas au Japon... L’addition est lourde. Permet-elle de penser que cet accident était évitable ?
Jacques Repussard : Je n’ai pas d’élément permettant de reprendre votre terme précis. Mais dans les causes profondes de l’accident se trouvent des défaillances du système de sûreté. Ce système repose sur la responsabilité de l’exploitant, les experts qui analysent les dossiers et une autorité – rapportant au gouvernement ou une autorité indépendante comme en France – qui impose des actions à l’exploitant. Y compris celle de fermeture d’une installation. Il semble que la législation japonaise ne donnait pas le pouvoir réel à l’Autorité d’imposer des travaux, ni qu’elle l’ait demandé. Cela ne veut pas dire que le système était « pourri », au sens où de mauvaises décisions ont été prises sciemment pour arranger certains dirigeants ou que des calculs économiques relativement au risque de tsunami ont débouché sur ces décisions. Je ne dis pas que cela n’a pas existé, mais que l’IRSN ne dispose pas d’éléments pour l’affirmer.
Les systèmes sont différents d’un pays à l’autre. Aux Etats-Unis, l’autorité de sûreté, la NRC, ne peut imposer de décisions de modification importante sur les réacteurs sauf en cas d’urgence constatée. Ainsi, un industriel a pu redémarrer la construction d’une centrale nucléaire stoppée au milieu des années 1970... Avec le référentiel de sûreté accepté à l’époque, et la NRC ne dispose pas des moyens juridiques pour l’empêcher. Son président s’en est d’ailleurs ému, il voulait s’y opposer, mais les autres commissaires lui ont rétorqué que leurs instruments juridiques ne leur permettaient pas une telle action. Les Etats et les Nations sont en cause et chacun doit décider de sa manière de gérer le risque nucléaire, avec des institutions, des règles et des budgets appropriés. En France, la loi de 2006 a créé l’Autorité de Sûreté Nucléaire avec des pouvoirs propres. Ainsi, ne pas lui obéir, y compris pour l’arrêt d’une installation, constitue une infraction que la justice peut sanctionner à la seule demande de l’ASN, sans qu’il soit besoin d’une décision gouvernementale.
Qu’est-ce qui a été bon et qu’est-ce qui a été mauvais dans les décisions concernant la protection des populations ?
Jacques Repussard : les décisions d’évacuations semblent avoir été bonnes, prises à temps et mise en œuvre avec une efficacité remarquable compte tenu des conséquences du séisme et du tsunami. En revanche, la prophylaxie par l’iode stable ne semble pas avoir été gérée au mieux. Ensuite, là où cela s’est dégradé, c’est la mauvaise utilisation des prévisions de panaches radioactifs pour mettre à l’abri des populations. Des cartes étaient établies, qui montraient le risque de rejets au-delà des 20 km. Mais les services qui réalisaient ces cartes étaient séparés des services de radioprotection et ces données de modélisation du risque radiologique n’ont manifestement pas été prises en compte sur le terrain.
Il aurait donc fallu évacuer la zone du Nord-Ouest, avant les émissions du 15 et 16 mars ?
Jacques Repussard : Hors explosions d’hydrogène, il y a eu des rejets planifiés pour éviter une surpression des enceintes et le risque qu’elles cèdent. Donc, il y avait la possibilité au moins de mettre à l’abri par confinement pour éviter l’exposition à l’iode et aux gaz rares. Mais pour cela, il faut un système unifié entre les experts qui s’occupent de calculer les émissions et les services de radioprotection. Nous avons un tel système en France, avec l’IRSN, mais pas au Japon, où ils dépendent de ministères différents.
La gestion de la contamination de la chaîne alimentaire nous semble également insuffisante. Les Japonais ont procédé par contrôle sur les marchés, et en cas de contamination dépassant les normes, par la destruction des produits de la même zone. Il aurait été possible d’éviter des expositions avec nos méthodes qui couplent les modèles de rejets avec des modèles de production agricole autour des installations nucléaires qui permettent donc de conseiller le Préfet de manière préventive sur l’interdiction de la collecte du lait, la récolte de légumes frais, la mise à l’abri des vaches... Un tel système peut déboucher sur des précautions par excès, mais cela nous semble préférable. L’eau potable relève de la même problématique. La méthode japonaise conduit à prendre un risque certes faible mais qui laisse penser ensuite, par une série de décisions d’apparence contradictoires, que les autorités ne disent pas toute la vérité.
La gestion au long cours des territoires contaminés pose d’autres problèmes. Par exemple, avoir dit aux habitants évacués « vous rentrerez à Noël » n’était pas raisonnable de la part d’autorités politiques. Lorsque la population constate que ce n’est pas le cas tout devient suspect. Aujourd’hui, des opérations de décontamination sont organisées par les autorités locales, des entreprises, des groupes de citoyens... mais ces déplacements de matières contaminées sont parfois faits sans cohérence et sans anticipation de leurs conséquences. Nettoyer à grande eau devant chez vous signifie concentrer le césium radioactif dans les égouts... mais quid des égoutiers ? Il faut y penser avant. Des villages situés en bas de montagnes sont nettoyés... en pure perte, car le lessivage des pentes lors des pluies renouvelle la contamination locale.
Le gouvernement vient de publier des cartes précises à cent mètres près de zones de contamination, est-ce que cela va permettre des retours ?
Jacques Repussard : Les Japonais veulent reconquérir le maximum de territoire, cela passe par la définition du niveau de dose accepté, ce qui est un débat sociétal. Des zones seront classées interdites, d’autres permettant le retour normal et d’autres exigeant des précautions. Il faudra surtout gérer les points chauds. Car les particules de césium radioactif restent mobiles par l’eau ou le vent. Puis elles se trouvent piégées. Sous une gouttière de toit vous pouvez avoir des concentrations élevées qui peuvent se gérer en prélevant régulièrement la matière et en la remettant à un organisme de gestion de ces déchets radioactifs. Ce sont bien sûr ces points chauds, parfois très limités spatialement, qui sont mis en exergue par ceux qui souhaitent parler de radioactivité en termes alarmistes, même s’ils ne sont pas représentatifs d’une moyenne et d’un risque. Mais la seule manière raisonnable de gérer cela, c’est la transparence totale des informations et des risques. Nous vivons dans des sociétés de la connaissance où les populations peuvent s’impliquer pour gérer ce risque.
Certains responsables industriels et politiques français ont refusé le terme de catastrophe pour Fukushima lors de l’accident, qu’en pensez-vous ?
Jacques Repussard : Certains élus font également des comparaisons abruptes entre les 20.000 morts au moins du tsunami et un accident nucléaire qui aurait fait zéro mort par irradiation. Cela me semble peu approprié. D’abord parce que la dimension d’un accident nucléaire est d’abord donnée par le nombre de kilomètres carrés perdus, même si c’est pour une durée limitée. La perte de territoire est l’une des caractéristiques les plus insupportables d’un accident nucléaire. C’est probablement ce qui est sous-estimé par les responsables qui font une présentation optimiste des conséquences de cet accident.
La majorité des français considèrent que cet accident fera plus de 5.000 morts. Que leur dites-vous ?
Jacques Répussard : Un des attributs putatifs d’un accident nucléaire, c’est un grand nombre de morts par irradiation et contamination. Je ne sais pas combien de morts provoquera cet accident du fait de la radioactivité, soit du fait des expositions passées, soit d’accidents lors des travaux actuels ou du démantèlement. Certes, cela sera de petits nombres. On ne peut assurer que cela sera zéro. En outre, on ne dispose pas d’informations assez précises sur l’exposition des personnels de sécurité civile et des populations durant les émissions de radioactivité, leur prise d’iode ou non etc... même si les autorités japonaises ont lancé de vastes études pour reconstituer ces doses. Puis, il faudra tenir compte de l’exposition chronique sur les territoires faiblement contaminés où les habitants vivent. En outre, la science est encore incertaine pour ce qui concerne l’effet de l’exposition de longue durée à des faibles doses. Cette incertitude ne signifie pas que l’on ne sait rien, ou que le risque est nécessairement très élevé. Mais elle signifie que ceux qui calculent des milliers de morts le font avec une simple règle de trois basée sur le risque des expositions fortes, le divisent par mille pour une exposition mille fois plus faible, mais le multiplient par un nombre très grand de personnes exposées : bref un calcul hasardeux.
Ce raisonnement n’est en effet pas biologiquement correct d’après notre compréhension actuelle des processus de formation des cancers radio-induits, mais il résulte d’une interprétation des règles adoptées pour la réglementation en radioprotection. Ces règles sont conçues comme si les risques étaient proportionnels à la dose, jusqu’à une dose très petite, voire zéro puisque le principe désormais mis en œuvre est baptisé ALARA, un acronyme anglais signifiant : viser une dose « aussi bas que raisonnablement possible ». Une sorte de principe de précaution. Mais cette proportionnalité n’est pas scientifiquement prouvée et certains médecins estiment d’ailleurs que, à ces doses, c’est la différence entre individus face à l’exposition qui compte.
Cette double incertitude, sur les doses reçues et la nature des phénomènes fait que l’IRSN n’exprimera pas avant plusieurs années un bilan des effets sanitaires de cet accident. Cela ne signifie pas que cet accident soit autre chose qu’une catastrophe. Encore une fois, une catastrophe nucléaire ne se représente pas nécessairement par un nombre de morts mais par l’abandon de longue durée de territoires auxquels les populations sont attachées, par des valeurs sentimentales, sociologiques et économiques.
Le dernier baromètre de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire montre qu’à la question : « Les sources d’informations suivantes vous disent-elles la vérité sur le nucléaire en France ? » 50% des Français répondent non pour l’IRSN que vous dirigez, qu’en pensez-vous ?
Jacques Repussard : Nous devons tenir compte de ce que disent les citoyens et il faut remédier à cette situation qui n’est pas satisfaisante. Qu’un organisme public ne soit pas considéré comme digne de confiance n’est pas satisfaisant. La confiance ne se décrète pas, ne peut se prescrire, mais il faut l’établir. L’IRSN doit donc continuer d’agir pour y parvenir. Quelles sont les explications de cette situation ?
L’une d’elles est que l’IRSN est l’héritier du SCPRI (Service central de protection contre les rayonnements ionisants) du professeur Pellerin, et qu’après Tchernobyl, les décisions publiques ont été interprétées comme une négation de la réalité par l’opinion. La réalité est certes plus compliquée que cela, mais il est exact que des résultats de mesures n’ont pas été rendus publics à l’époque, des messages plutôt favorables à l’absence de risques ont été soutenus, encouragés, divulgués. Et, se rendant compte que la réalité n’était pas si univoque, il y a eu une sanction de l’opinion vis-à-vis de toute la gouvernance du risque nucléaire. Cette sanction était dirigée notamment vers l’IPSN (Institut de protection et de sûreté nucléaire, à l’époque un département du Commissariat à l’énergie atomique) et le SCPRI, à partir desquels l’IRSN a été construit par la suite. Nous portons donc ce fardeau historique. Mais il y a d’autres éléments d’explication, comme le fait que, d’une manière générale, le niveau de confiance de la population française dans la véracité et l’efficacité des pouvoirs publics est aujourd’hui très bas. Nous ne faisons pas exception à cette règle.
Que peut faire l’IRSN à cet égard ? L’un des résultats pour le moins curieux du baromètre est que le niveau de confiance quant à la compétence et la sincérité des institutions responsables du risque nucléaire est le plus élevé pour celles qui ne s’en occupent pas ni ne s’expriment à ce sujet, comme le CNRS ....
Jacques Repussard : L’IRSN ne peut pas communiquer avec 60 millions de français, nous leur parlons via des intermédiaires, la presse ou internet. Le baromètre montre une évolution dans le temps. Ces dernières années, notre image progressait sur le plan de la sincérité. Nous ne pouvons pas intervenir à la télévision pour affirmer notre honnêteté. Mais nous pouvons montrer aux parties prenantes, les associations, notre implication honnête et sincère dans une coopération avec elles. Je suis convaincu que sur le long cours c’est un facteur d’appropriation par le public de ce que l’IRSN est un acteur indépendant, dont le rôle est la prévention des risques, le développement des connaissances, l’action pour la prise en compte des risques nucléaires dans la décision publiques et industrielles. Que les institutions qui n’agissent pas dans ce domaine – le Cnrs, l’Académie des sciences – soient considérées dignes confiance par l’opinion révèle plutôt, à mon avis, le fait que cette dernière conserve sa confiance à la science et aux scientifiques. Ils ne savent pas trop ce que font en matière de sûreté nucléaire le Cnrs et l’Académie des sciences, mais estiment a priori qu’ils ne sont pas liés aux intérêts du nucléaire. Au contraire, l’IRSN est considérée comme appartenant au système nucléaire. Nous devons agir pour démontrer notre indépendance. Lors de l’accident de Fukushima, nous l’avons fait avec détermination et nous avons pu voir en retour une attention plus grande des médias et de l’opinion à nos avis et informations.
Sans grand succès sur votre niveau de confiance dans la population. Pourtant, même madame Cécile Duflot a rendu hommage à l’action de l’IRSN durant cette crise.
Jacques Repussard : mettons-nous à la place du citoyen. Les professionnels de la sûreté nucléaire lui disent qu’ils agissent sur ce risque... et survient l’accident de Fukushima. Le résultat de leur action est donc sans effet sur un accident majeur dont ils nous ont dit qu’ils agissaient pour l’éviter. La suspicion est légitime.
Que dites-vous aux citoyens sur l’énergie nucléaire après cet accident, l’IRSN dit-elle « vous pouvez utiliser cette énergie » ?
Jacques Repussard : comme directeur général de l’IRSN, je n’ai pas à répondre à cette question, car ma mission n’est pas d’intervenir dans ce débat énergétique, mais de contribuer à la sûreté des installations nucléaires et à la protection des populations. Pour des raisons pratiques, le nucléaire va durer, quelles que soient les décisions prises, y compris dans ses dimensions autres qu’énergétiques, le nucléaire médical et le nucléaire de dissuasion. L’IRSN est là pour permettre la meilleure prévention possible des risques au vu des connaissances et aussi des méconnaissances. Pas pour argumenter en faveur ou en défaveur de l’usage de cette énergie, ce serait sortir de notre rôle et entretenir la confusion, voire la défiance de la population à notre égard.
Entretien publié sur le blog Sciences-Libération. Des extraits en ont été publiés dans Libération du 10 mars 2012.
Pour avoir accès à l’article, accompagnés des photos et documents complémentaires, cliquer ici.
Voir également le rapport complet de l’IRSN sur l’accident nucléaire.