M’enfin, mon Pierrot, qu’est- ce que t’es allé raconter là ? « N’empêche que. On ne m’ôtera pas de l’’idée que pendant la dernière guerre mondiale, de nombreux juifs ont eu une attitude carrément hostile à l’égard du régime nazi. » C’est vachement antisémite, c’que tu dis ! Et, au Tribunal des flagrants délires, lorsque tu arrives en retard à l’audience, tu dis que t ’as pas trouvé de place dans le parking de France Inter, il y en avait même pour l’avocat le plus bas d’Inter ! C’est discriminatoire envers une frange de la population, voire diffamant ! C’est ça, de l’humour ? Oui. D’ailleurs tu disais : « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui ». Léo Ferré disait : « On peut me rire au nez ça dépend de quel rire » ( « Le chien »).
Bon. Récapitulons un peu. T’es né à Pantin en 1939 mais c’est à Paris que tu grandis et passe l’essentiel de ta jeunesse. T’es l’aîné d’une petite fratrie (une sœur et un petit frère) élevée essentiellement par votre mère, issue de la « petite bourgeoisie » parisienne. Ton père, instituteur, a fait le choix d’une carrière aux colonies, où il est directeur d’école.
En 1959, tu effectues ton service militaire. Envoyé en Algérie tu y passes vingt-huit mois et conservera de cette période un souvenir exécrable. « J’étais déjà misanthrope avant de vivre dans une chambrée, mais quand on vit vingt-huit mois au milieu de gens qui font des concours de pets... Ma haine du groupe s’est confirmée là. » Ton individualisme viscéral te fait fuir instinctivement toutes les formes de groupes, qui ne sont pour toi que des lieux où s’exprime la bêtise.
De retour à la vie civile et ne sachant trop que faire pour gagner ta vie, tu fais des études de kinésithérapie que tu abandonnes assez vite. Tu écris des roman-photos réalisés avec des amis et qui sont publiés, tu vends des assurance-vie (que tu rebaptises « assurances-mort ») puis des poutres en polystyrène expansé.
Célèbre pour ton humour grinçant, mis en valeur par une remarquable aisance littéraire - j’aimerai te comparer, en plus caustique et en plus désespéré, à un Jacques Prévert, je sais, je vais en choquer bon nombre- tu t’es notamment illustré avec des thèmes souvent évités par les autres humoristes de ton époque – je ne sais pas si ceux de maintenant les éviteraient- prenant à contre-pied certaines positions convenues dans la société. Jules Renard se définissait dans son Journal comme un ironiste. C’est ça que tu es.
Puis – je vous parle d’un temps que les moins de 30 ans - Le Tribunal des flagrants délires. C’était une émission de radio satirique diffusée sur France Inter entre 11 h 30 et 12 h 45 de septembre 1980 à juin 1981, et de septembre 1982 à juin 1983. L’émission avait pour cadre un tribunal imaginaire présidé par Claude Villers que tu surnommais le « Massif central ». Tu y jouais la partition du procureur général. Tes féroces réquisitoires commencent invariablement par ton célèbre : « Françaises, Français, Belges, Belges… », « Public chéri, mon amour ! Ils se terminaient par une sentence sans appel : « Donc, l’accusé est coupable, mais son avocat vous en convaincra mieux que moi. »
La Minute nécessaire de monsieur Cyclopède – je vous parle d’un temps que les moins de 30 ans - est une émission de télévision humoristique sur FR3 en 98 épisodes d’une minute, créée en 1982. Présentée par toi, elle fut diffusée du lundi au vendredi à 20 h 30 sur durant deux années. Parodiant la forme des leçons de choses ou de savoir-vivre, tu y immortalises ton célèbre « Étonnant, non ? » qui conclut chaque épisode. Tu te joues des sujets, qu’ils soient sacrés comme dans son « Rentabilisons la colère de Dieu », ou bien tabous avec son « fauteuil pour sourds et malentendants ». Au démarrage de l’émission tu as dit : « Notre objectif est de diviser la France en deux : les imbéciles qui n’aiment pas et les imbéciles qui aiment. »
A propos de ton humour, dans un entretien à Télérama daté du 24 novembre 1982, tu expliques : « Je crois qu’on a le droit de rire de tout. Mais rire avec tout le monde, ça, peut-être pas. […] Le rire est un exutoire et je ne comprends pas qu’on dise qu’il ne faut pas rire de ce qui fait mal. Ça fait moins mal quand on en a ri. À la fin de l’été, quelqu’un que j’aimais énormément est mort d’un cancer. Mais le cancer, comme Yves Montand, c’est des choses dont il faut rire. Moi quand je parle de cancer, je parle de mes proches, pas des proches d’autrui »
Reprenons cette phrase : On ne m’ôtera pas de l’’idée que pendant la dernière guerre mondiale, de nombreux juifs ont eu une attitude carrément hostile à l’égard du régime nazi. Il faudrait être un peu benêt - quoique que... - pour en déduire que tu es antisémite. Dirait-on d’Alain Delon qu’il est un dangereux truand parce qu’il a joué Le clan des Siciliens ? Il s’agit toujours de s’adresser à notre part sombre. De te fabula narratur. Ton ironie n’est pas une peinture à l’aquarelle, c’est une gravure à l’eau-forte.
Dieu est peut-être éternel, mais pas autant que la connerie humaine.
Toute la vie n’est qu’une affaire de choix. Cela commence par « La tétine ou le téton ? » Et ça s’achève par « Le chêne ou le sapin ? »
La recherche a besoin d’argent dans deux domaines prioritaires : le cancer et les missiles antimissiles. Pour les missiles antimissiles, il y a les impôts. Pour le cancer, on fait la quête.
Et aussi... Et aussi... Quant au mois de mars, je le dis sans arrière pensée politique, ça m’étonnerait qu’il passe l’hiver
Sur ta tombe, tes cendres ont été directement mélangées à la terre, sans croix ni dalle, selon ta volonté.
Le 18 avril 1988, il y a 30 ans, Pierre Desproges...
Étonnant, non ?