Jean d’Ormesson –paix à son âme– avait énormément de qualités : il était affable, il présentait bien à la télévision, il avait le regard malicieux et la bouche rieuse, il était toujours fort bien habillé, il articulait parfaitement les citations qu’il plaisait à offrir à son auditoire ravi, il avait oublié d’être bête, il était humble à sa manière, il était à l’aise dans ses finances, il avait charmé tous les présidents ou presque de la Ve République ; il était un de ces hommes exquis qui pouvait se permettre de taquiner la bonne sans être traité de goujat.
Ce sont là des qualités que peu d’hommes peuvent se vanter de posséder.
Mais si ce sont là des vertus essentielles pour briller en société et parader à la télévision, elles ne sont hélas d’aucune utilité quand il s’agit de littérature.
Jean d’Ormesson aimait la littérature d’un amour fou et sincère ; elle, revêche, ne lui concéda jamais assez de talent pour le laisser pénétrer dans le cercle fermé des écrivains qui comptent, et ce fut probablement là le plus grand malheur de son existence.
Il se savait bien trop médiocre dans ses vagabondages littéraires pour prétendre être autre chose qu’un beau parleur qui se console d’avoir manqué à sa tâche en rivalisant d’emphase pour cette maîtresse intraitable qui n’avait point voulu de lui.
Jean d’Ormesson –et il n’en était pas dupe– était un écrivain merveilleusement raté. Au moins, au contraire de beaucoup d’autres, avait-il l’élégance de le reconnaître. Peut-être aimait-il trop la vie, ses gourmandises et ses plaisirs, ses vertiges et ses délices, ses frasques et ses secousses, pour se consacrer corps et âme à cette activité d’écrivain, qui exige pour les moins doués d’entre eux une dévotion de tous les instants.
Et comme il n’avait point cette éclaboussure naturelle du style, cet effarement de la prose, cette légère palpitation de l’écriture qui autorise quelques rares élus à composer sans grand effort des livres inspirés, il demeura tout au long de sa vie cet aimable artisan qui composait des romans pour forcer le destin à le considérer comme le premier des écrivains.
Évidemment il ne restera absolument rien de son œuvre et si vendredi, la nation toute entière s’est réunie pour lui dire solennellement un dernier adieu, ce fut une sorte d’hallucination collective où l’on salua, non point un grand écrivain, un penseur éminent ou un poète mémorable, mais bien plus un courtisan qui, à force de visiter les palais de la République et les studios de télévision, obligea ceux qui nous gouvernent à le considérer comme l’un des leurs : un être d’exception.
Fadaises ! Farce ! Imposture !
Étudiera-t-on demain dans nos lycées et nos collèges l’un de ses livres ? Non, bien sûr que non ! Se risquera-t-on quand on évoquera les grandes plumes du siècle passé –Proust, Beckett, Gide, Camus, Sarraute, Duras, Giono, Modiano, Valéry, Céline, Simenon, Bonnefoy et tant d’autres encore– à rajouter celle de Jean d’Ormesson ? Hérésie ! Aura-t-il des héritiers, des cadets, des seconds qui se réclameront de son illustre génie ? Foutaises !
On aurait voulu déconsidérer la littérature qu’on ne s’y serait pas pris autrement : ce fut dans la cour pavée des Invalides une immense tromperie, un hommage en trompe-l’œil, la mascarade d’une époque qui aurait voulu à tout prix honorer le Stendhal de son temps, là où ne reposait en son cercueil que la dépouille d’un prince des élégances à l’aura tristement hexagonale.
La littérature n’est pas le Festival de Cannes. On peut y briller un temps mais à la longue, quand les années finissent par se compter en siècle, les imposteurs, les faussaires, les flatteurs et les poseurs finissent toujours de la même manière : dans le caniveau de l’oubli.
Non, décidément, à tous égards, Jean d’Ormesson ne méritait pas cette grotesque cérémonie des adieux.
Laurent Sagalovitsch est romancier. Texte paru sur slate.fr