Du 12 au 14 décembre se déroulait à Nice le premier Forum du théâtre européen qui déclinait, en plusieurs tables rondes, les rapports entre théâtre et politique. Pour faire court ces rapports sont souvent placés sous le signe du « je t’aime, moi non plus ». Ces rencontres étaient présidées par Jorge Semprun, résistant, déporté à Buchenwald, écrivain, scénariste – mais aussi homme de théâtre (Gurs, une tragédie européenne). Nous avons demandé à cet homme passionné – et passionnant- ce que pouvait bien représenter cette notion de « théâtre européen ». En dehors, bien sûr, d’un théâtre écrit, produit et représenté en Europe.
Jorge Semprun Il y a l’évidence géographique d’abord, mais il y a surtout il y a – et depuis les origines, depuis le théâtre grec – un constant rapport, parfois polémique, parfois moins, entre le théâtre, la représentation théâtrale, et la politique, c’est-à-dire les questions générales de la cité, de l’organisation sociale. C’est une tradition européenne qui d’ailleurs s’est diffusée dans d’autres pays. Mais les théâtres typiquement nationaux, par exemple asiatiques, n’ont pas ce rapport direct avec la politique, bien entendu au sens large du terme. Il n’ y a pas que cela, mais c’est une caractéristique du théâtre européen. De Sophocle à Brecht, on parle toujours de politique dans le théâtre européen.
Jacques Barbarin : Y a t’il chez les auteurs contemporains une frilosité à revendiquer une polémique ?
J.S : Il est vrai que les grands problèmes sont moins abordés au théâtre. Mais cela tient peut-être beaucoup plus au changement social qu’au théâtre lui-même : tout ce qui est politique au sens large et même au sens précis du terme passe davantage par la télévision. L’immédiat politique est traduit, interprété ou au contraire obscurci, mais c’est par la télévision que ça passe. Le besoin de dramatisation d’un certain nombre d’événements se fait plutôt par l’image que par l’écriture, mais ça c’est un changement de civilisation, pas un changement du théâtre…
J.B : Est-ce qu’il n’y a pas une plus grande liberté dans le roman ?
JS : Il y a dans le roman une liberté qui est essentielle : il n’a pas besoin d’investissement. On peut avoir vingt ans, des moyens d’existences limités et écrire un roman. Pour écrire un roman on a besoin d’une machine à écrire, ou d’un ordinateur aujourd’hui, et d’une imprimante. Dès le premier pas d’un projet de théâtre ou ce cinéma, il ya des producteurs, de l’argent en cause, qu’il soit public ou privé
JB : Justement la dichotomie public-privé n’est elle pas spécifiquement française ?
JS :La France est un pays où cette différentiation entre le public et le privé est plus tranché qu’ailleurs parce qu’il y a une longue tradition d’intervention de l’état dans la question de la culture. Ce n’est pas pour rien qu’elle a hérité de la révolution française une vision jacobine de l’état. Dans d’autres pays la différentiation public-privé est moins sensible, surtout dans des pays comme l’Espagne, ou l’Allemagne, qui sont des pays avec des larges autonomie fédérale. Et plusieurs fois, pendant le forum des gens on dit : « vous avez une discussion assez difficile à comprendre, parce qu’ elle est franco – française, vous parlez de choses qui nous dépassent. »
JB : Y a-t’il d’autres pays où se pose cette problématique ?
JS De façon plus générale, ce problème du rapport public-privé, le rôle de l’état dans la culture se pose davantage dans les pays qui sont venus à la démocratie après la chute de l’empire soviétique que dans les pays d’une vieille tradition démocratique. Il est évident que le rôle de l’état ayant été absolu dans ces pays du régime soviétique, disons, pour simplifier, que la disparition de ce régime là bien entendu se repose aujourd’hui la question « Quel rôle doit jouer l’état dans le nouvel état démocratique ? » Cette question s’est posée en Espagne après une longue dictature comme le franquisme. En revanche, en Angleterre, il n’y a pas de ministère de la culture, cela paraît absurde au gens : pour eux, la culture est une affaire de la société. Il y a des aides diverses et variés, mais elles ne sont pas centralisées dans un ministère.
Merci, monsieur Semprun, s’entretenir avec vous est une véritable piqûre d’énergie
Décembre 2008