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Kijno et les îles de Jean Grenier
Par Lucien Wasselin


Il est une œuvre de Kijno, Les îles de Jean Grenier, un manuscrit à peintures froissées, qui fait office de fantôme, car jamais vue du plus grand nombre. En 1960, il recopie à la main, des fragments des îles de Jean Grenier qu’il accompagne de peintures froissées. Seule, une note biographique, très succincte, signale cette réalisation dans la monographie de Raoul-Jean Moulin [1] : « 1960 : illustre Les îles de Jean Grenier ». Malou Kijno a pensé à ce manuscrit du peintre et Renaud Faroux a immédiatement eu l’excellente idée de le faire reproduire par les Editions Somogy. La librairie Landarchet, Somogy éditions d’Art et Malou Kijno organisèrent une exposition accompagnée, le 12 avril 2018, d’une conférence de Renaud Faroux, le commissaire de l’exposition La grande Utopie de Kijno, qui s’est tenue à Saint-Germain en Laye en 2017.

La reproduction s’accompagne d’une présentation de Renaud Faroux, d’une préface d’Albert Camus écrite à l’époque de la parution des Îles et de la reproduction de Kijno (qui eut, comme professeur de philosophie à l’université de Lille, Jean Grenier), textes et papiers froissés en vis à vis … « Car [Kijno en fit] don […] à son professeur qui le garda précieusement toute sa vie. Son fils, Alain Grenier, a bien voulu extraire de ses archives ce rare manuscrit pour le présenter une première fois au public lors de la rétrospective organisée par Malou Kijno à Saint-Germain-en-Laye en 2017 : La Grande Utopie de Kijno ». C’est aujourd’hui cette reproduction qui est offerte à la curiosité des amateurs du peintre disparu en 2012. Il s’agit de véritables « mécaniques mentales » (p 13). Renaud Faroux, dans sa présentation cite Kijno qui déclare « J’invente une langue qui doit nécessairement jaillir d’une poétique nouvelle, que je pourrais définir en ces deux mots : « Peindre non la chose, mais l’effet qu’elle produit… » (p 13). Et il termine sa présentation par ces mots : « … l’association entre l’œil, la main, l’esprit et le cœur produit un jeu subtil entre le verbal et le visuel » (p 16).

La préface d’Albert Camus (dont le professeur de philosophie à la faculté d’Alger fut Jean Grenier ) fut publiée par Gallimard en 1959 aux devants des Îles de Jean Grenier. A l’époque, Camus reçut un choc : « Les Îles, venaient, en somme, de nous initier au désenchantement ; nous avions découvert la culture (p 19) » : rien d’étonnant à ce que désenchantement et culture soient associés : qu’est-ce que c’est ? Camus manifeste dans ses propos une belle connaissance de la pensée de Jean Grenier : « Ainsi, je ne dois pas à Grenier de certitudes qu’il ne pouvait ni ne voulait donner. Mais je lui dois, au contraire, un doute (c’est moi qui souligne) qui n’en finira pas assez, qui m’a empêché d’être un humaniste au sens où on l’entend aujourd’hui, je veux dire un homme aveuglé par de courtes certitudes. Ce tremblement qui court dans Les Îles, dès le premier jour, en tout cas, je l’ai admiré et j’ai voulu l’imiter » (p 20).

Avec la troisième partie, le lecteur entre dans le vif du sujet : Les Îles de Jean Grenier … Il me faut revenir à ce qu’écrivait Renaud Faroux quant à la reproduction du livre original dans le présent ouvrage : « L’ouvrage original se compose de différents cahiers avec d’un côté le texte copié sur un léger papier kraft et de l’autre comme sur du papier buvard des séries de papiers froissés. Le tout est enchâssé dans dans une pochette de carton dur qui donne à l’œuvre un aspect de véritable parchemin » (p 10). On me permettra de m’arrêter sur le troisième chapitre intitulé Aux îles Kerguelen car c’est là qu’on comprend le mieux que Kijno n’illustre pas, mais peint, non la chose mais l’effet qu’elle produit. Dans ce chapitre, au niveau des papiers froissés de Kijno, on trouve une traduction des coups de vents et des bourrasques qui soufflent sur les îles Kerguelen, comme des idéogrammes ou des pictogrammes extrême-orientaux…

Le moment est sans doute venu de parler du texte avec les Îles Fortunées : celui de Jean Grenier est précis, évocateur, il dit tout ce qu’évoquent de rares paysages (p 85 et suivantes, et, surtout, la page 86.8) : la beauté est dangereuse. Sur le chapitre ayant pour titre « L’ Île de Pâques » que Kijno visitera quelques dizaines d’années plus tard, rien à dire si ce n’est qu’y furent prises quelques photographies dont une (très belle) de Christian Pinson où l’on voit Lad en majesté et en mouvement… Dans les Îles Borromées, je retrouve le cercle cher à Pierre Garnier [2] : Kijno n’en finira pas de chercher ses îles Borromées…

Un livre, doublement, de poésie…

Kijno : Les Îles de Jean Grenier, un manuscrit retrouvé. Somogy éditeur, 208 pages, 27 x 20 cm, couverture toilée et contrecollée, 125 euros. Textes manuscrits de Kijno, nombreuses reproductions. Préface d’Albert Camus, présentation de Renaud Faroux. En librairie ou sur commande chez Somogy.

Notes :

[1Raoul-Jean Moulin, Kijno, Editions Le Cercle d’Art, Paris, 1994, page 284.
R-J Moulin écrit (p 44) : « … avant d’atteindre Les îles de Jean Grenier (1959-1960) et bien d’autres ports jusqu’à ce jour ».

[2Pierre Garnier, pour ceux qui ne le connaissent pas, est un poète français, inventeur du spatialisme. Il vécut de 1928 à 2014.


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