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"L’Adieu aux Rois"
Rémi Boyer a lu le dernier livre de Valère Staraselski

Valère Staraselski réussit à mettre en scène dans la pièce unique d’un appartement les enjeux, les paradoxes et les excès de cette Révolution que nous croyons bien à tort connaître, depuis les bancs de l’école. L’essence de cette Révolution nous échappe, masquée par des clichés et des enseignements forcément réducteurs. Par conséquent, nous sommes toujours incapables de mettre en œuvre pleinement toutes les avancées de ces années terriblement créatrices et visionnaires.

Deux axes, tantôt parallèles, tantôt se croisant avec harmonie, tantôt se heurtant violemment, supportent l’écriture originale de ce texte. Le premier concerne l’exhumation des cadavres des rois et reines de France enterrés à Saint-Denis (devenue Franciade sous la Révolution) : démontage des monuments funéraires, récupération des matériaux réutilisables et des richesses puis transfert des cadavres dans deux fosses communes. Une profanation d’une violence inouïe pour Ferdinand Gautier et nombre de royalistes ou plus simplement de croyants. D’autres y voient un acte de justice, une « rectification » de l’histoire qui rend en quelque sorte les rois et reines aux peuples. Certains y voient une occasion de pillages, d’émotions malsaines, de vengeances, de ricanements et de beuveries. Le second axe concerne Robespierre que l’histoire, réductionniste, considère trop souvent comme sanguinaire et responsable des excès révolutionnaires. Doudeauville va extraire des discours de Robespierre et de quelques autres témoignages de l’époque de quoi restituer un Robespierre mesuré, distant, soucieux d’éviter les pièges des passions guerrières et vengeresses, un homme d’abord préoccupé du politis et de la souveraineté du peuple, qui se heurtera au mur de la bêtise intransigeante et des intérêts particuliers quand lui voulait inviter au gouvernement et à la vision politiques.

Le choc de la longue litanie des exhumations, si détaillées que le lecteur ne pourra plus ignorer les divers modes de traitement des dépouilles royales au fil des temps, pas plus que les pestilences diverses des cadavres mis au jour, avec la défense de Robespierre, accusé par certains, faux amis et vrais ennemis, de tous les maux de la Révolution alors qu’il avait cherché à en prévenir les excès, les dérives et les fautes, éclaire la nature de l’humanité, ses aspirations et ses déperditions, ses lumières et les fosses fétides de sa psyché. De cette dialectique naît chez le lecteur une véritable expérience des nuances de la Révolution.

Extrait

Puis se tournant vers l’avocat, il ajouta derechef : « On ne peut pas dire qu’il le porte dans son cœur, hein, le Maximilien !
- Ça ! » acquiesça pour sa part Georges de Coursault juste avant que Doudeauville ne réagisse par ses mots : « Ferdinand Gautier est un brave homme ! Choqué par ce qu’il a vu, traumatisé sans doute. On le serait à moins... Il n’est pas en état de comprendre que Robespierre est l’arbitre et non le responsable de toutes ces choses ! Surtout pas de ces exhumations ! N’a-t-il pas encore récemment épargné Mme Elisabeth, en refusant de la faire exécuter au seul prétexte qu’elle est la sœur du roi ? »

A recevoir ces paroles inattendues, Coursault et Maisonseule ne surent que répondre.

« Et en politique, point besoin d’être grand clerc pour comprendre que, malgré qu’il se contraigne, Gautier est royaliste ! Royaliste comme je l’étais moi-même avant Varennes ! Pour moi alors, nuire au roi revenait à nuire au Bon Dieu lui-même !...
- Oui et tu récidives avec Robespierre ! asséna gaiement Maisonseule.
- Ne recommençons pas, veux-tu bien, l’ami ! rétorqua l’avocat en lui adressant un sourire amical. Ce que je dis le plus naturellement du monde, c’est que sans Maximilien Robespierre, notre pays serait depuis longtemps parti à vau-l’eau. Toute son action le prouve ! Il est, lui, à la hauteur de la situation qui, chacun en convient...
- Et Danton ? S’exaspéra soudainement Maisonseule.
- Qui te dit le contraire !... Danton a joué un grand rôle ! Seulement, Robespierre qui ne cesse de le défendre, lui et Desmoulins régulièrement attaqués par le camp opposé, est bien, en même temps, le cerveau et la conscience de notre pays aujourd’hui !
- Hum, concéda Maisonseule, plaçant ses puissantes mains sur l’extrémité de ces genoux. »

Valère Staraselski nous parle de 1793, an I de la République Française, cette année qu’une certaine gauche au pouvoir voulait oublier lors des célébrations du bicentenaire de la Révolution. Il aborde aussi la question, souvent occultée, du rapport au divin de Robespierre et de nombre de révolutionnaires, désireux d’en finir avec le totalitarisme de l’Eglise mais pas avec l’Être suprême.

Davantage que Robespierre, c’est, une fois encore, la démocratie et les principes et valeurs de la République que Valère Staraselski veut défendre. Comme très souvent dans ses écrits, il évoque le passé pour nous parler d’aujourd’hui et du futur que nous voulons établir.

En choisissant une construction littéraire risquée mais parfaitement maîtrisée, basée sur une étude érudite des documents, il maintient le lecteur dans la tension controversée d’une époque. La richesse subtile des émotions, des pensées, des propos, des gestes anodins mais si parlants des acteurs de ce huis-clos rend compte de l’extraordinaire complexité de l’époque la plus marquante, la plus bouleversante du dernier millénaire, un océan d’intranquillité fécond de libertés pour la plupart niées ou refusées encore de nos jours.

Dans le style sobre et élégant qui le caractérise, Valère Staraselski poursuit son inlassable œuvre d’éveil de la conscience politique et de l’éthique sociétale, si absentes de ce début de siècle, si urgemment nécessaires.

Texte rublié sur le site Incoherism

L’Adieu aux Rois, Paris, janvier 1794, Le cherche midi


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