Un dossier de l’IRES qui aide à prendre la mesure des effets et les développements de la crise en Europe
Le dernier numéro de la « Chronique internationale de l’IRES » paru en novembre 2010 (n° 127) est particulièrement stimulant et riche d’informations sur des pays aussi différents que les Etats-Unis ou la Roumanie, la Grande-Bretagne ou la Belgique. Voici un an la même revue avait enquêté de la même manière.
L’actualité vient percuter cet ensemble d’études réalisées sur plusieurs mois de l’année 2010. Ainsi en Espagne, en Grèce, sous des formes inédites se rassemble massivement une jeunesse en colère contre les plans d’austérité sans cesse exigés par les tenants du libéralisme. Il y a là la recherche d’autres voies, ne s’opposant pas au mouvement social « traditionnel » confronté lui – comme nous l’avons été sur les retraites – au refus total de toute négociation, quelle que soit la force à un moment donné des manifestations et des grèves.
Ces dernières semaines vient par ailleurs de se tenir à Athènes (sic !) le Congrès de la CES qui a décidé d’une journée européenne de manifestations le 21 juin. Le Manifeste adopté à ce congrès pour la période 2011-2014 confirme l’orientation combative mise en œuvre ces dernières années : « La CES exige donc d’urgence un changement fondamental de l’approche de l’UE pour qu’elle apporte une aide effective aux pays en difficulté. »
Evidemment tout cela ne se déroule pas « en eaux calmes » et c’est, entre autres, la question de la convergence de mouvements d’origines très diverses qui est centrale. D’autant que – les récentes élections politiques portugaises l’indiquent – que le rejet des politiques menées obscurcit le choix – mais avec un très fort taux d’abstention – d’hommes politiques tout autant arrimés aux dogmes libéraux.
C’est donc à la lumière de cette actualité mouvante que la lecture des études de l’IRES « bouscule » le lecteur.
Quels sont les éléments saillants qui ressortent de cet ensemble d’articles ?
1°) Un durcissement généralisé de l’austérité à partir de 2010 ou 2011 selon les pays. En Europe notamment la priorité politique donnée est la lutte contre les déficits publics au prix de l’accroissement continu des inégalités sociales. Dans ces conditions la reprise économique ne peut pas être à l’ordre du jour. Cette fuite en avant conduit l’Union européenne à franchir un pas supplémentaire dans la supranationalité, l’impasse étant faite « … sur une politique économique communautaire active articulée à des objectifs de développement durable et de retour au plein emploi » (page 70). Les points communs à ces politiques dans des pays très différents sont remarquables : réduction prioritaire des dépenses publiques (75% des recettes fiscales nouvelles en Grande-Bretagne), attaque ciblée sur la protection sociale, diminution drastique de l’emploi public ( - 400000 aux USA depuis août 2008, diminution d’un tiers du nombre de collectivités locales en Grèce…), privatisation accélérée comme en Grèce. Dans de nombreux pays ces attaques n’ont jamais connu depuis des dizaines d’années une violence comparable.
2°) Les relations sociales sont bouleversées dans tous les pays.
Les réactions, contre la dictature des marchés et l’injustice sociale flagrante, sont convergentes mais « le paysage de la protestation reste toutefois fragmenté » (page 40) sur un fond de montée de la conflictualité. L’autre caractéristique importante dans les différents pays est une baisse générale de confiance dans les gouvernements et une désorientation politique marquée.
Globalement le modèle des relations sociales craque et des actions d’envergure plus ou moins fortes continuent de se dérouler dans différents pays ( conflits locaux ou/et sectoriels). La poussée unitaire est une autre caractéristique nouvelle comme en France, au Portugal, en Espagne, aux USA, mais aussi dans les derniers pays entrés dans l’Union européenne où le syndicalisme n’est pas encore ancré. Cette poussée unitaire n’est pour autant pas uniforme comme le révèle la situation italienne où la désunion entre la CGIL d’un côté, la CISL et l’UIL de l’autre, s’accentue.
Dans de nombreux pays les syndicats sont confrontés à la question de la stratégie à suivre avec deux enjeux forts : la question de la défense des travailleurs sans statut dont le nombre ne cesse d’augmenter, l’enjeu grandissant de l’Union européenne avec un rôle accru de la CES.
Le blocage des relations professionnelles par Etat et patronat est-il une parenthèse ou un phénomène durable ?. Toutes les organisations syndicales, dans leur diversité, sont confrontées à ces questions : c’est ce qu’indiquent les différentes contributions. Il s’agit pour elles de choix nouveaux à décider, qui ne sont pas simples, par exemple pour les TUC britanniques confrontés au souci de ne pas être isolés comme au moment de l’ère Thatcher, mais aussi aux revendications de salariés qui refusent l’austérité accrue.
3°) La montée de la construction d’alternatives aux politiques d’austérité
Dans ce paysage terrible et contrasté les différents auteurs mettent en avant le renforcement de propositions alternatives émanant d’économistes critiques mais aussi d’autres, plus « sages », travaillant au sein d’organismes internationaux tel l’OIT.
Quelles sont ces idées-forces en train de grandir et d’être partagées par nombre d’organisations syndicales différentes au-delà des clivages (surtout idéologiques) qui les séparent ?
Le thème dominant est celui de la réduction des inégalités et d’une justice sociale accrue. Cet objectif central nécessite de tourner le dos aux politiques actuelles de baisse des dépenses sociales. L’instauration d’une taxe européenne sur le capital et les transactions financières est une idée essentielle qui fait d’ailleurs son chemin au sein même du Parlement européen.
L’intérêt majeur de cette mise en avant de réponses alternatives en construction est de montrer qu’elles constituent des éléments solides d’ancrage pour les différentes organisations syndicales. Ce qui se passe au sein de la CES devenue maintenant, avec la crise, organisatrice de manifestations massives contre les politiques d’austérité n’est-il pas l’indice du nouveau en train de percer sous l’ancien ?
Ce numéro spécial de la « Chronique internationale de l’IRES » constitue donc une somme de réflexions utiles pour contribuer efficacement à la construction d’alternatives massivement partagées.
L’Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES) a été créé en 1982 par l’ensemble des organisations syndicales représentatives (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, CGT-FO et UNSA) avec le concours du gouvernement.
« Chronique internationale de l’IRES » n°121 – novembre 2009 – titrée : « Les acteurs sociaux face à la crise ».
Les récents scrutins électoraux en Europe (Hongrie par exemple) montrent une poussée forte de l’extrême-droite.
« Jamais la CES n’aura eu un positionnement aussi distinct et aussi critique de la politique européenne ». (page 54)
« L’année 2010 attire l’attention par le changement brutal qui, dans un grand nombre de pays, a rompu avec les équilibres recherchés au cours de la période précédente ». (page 53)
« Il faut revenir sur le mitage des recettes publiques du à l’explosion des cadeaux fiscaux et rétablir une fiscalité progressive digne de ce nom sur les revenus et sur le capital ». (page 232)