Si tout un chacun connaît l’étoile jaune, marque d’infamie appliquée à la population juive à plusieurs reprises au cours de l’histoire et réinstaurée dramatiquement par les Nazis en 1941, peu d’entre nous connaissent l’existence d’une étoile blanche désignant, toujours pour les Nazis, les « Amis des Juifs ».
C’est en fouillant dans les archives de sa famille qu’Emmanuel Rougier découvre une lettre de sa grand-tante envoyée depuis la prison allemande d’Orléans. Commence alors une enquête sur cette femme au destin exceptionnel, Madeleine Fauconneau du Fresne qui, après avoir protégé de la déportation l’avocate juive et féministe Yvonne Netter, sera arrêtée, internée et contrainte de porter cette étoile blanche dont elle fera un symbole de combat et de liberté. Libérée, elle devait retrouver Yvonne Netter et lutter encore jusqu’à la Libération.
En 1946, dans un texte qui sert de préface à ce livre, Yvonne Netter livre :
« Nous avons eu le même sort ; moi d’abord, toi ensuite ; le calvaire des camps, nous l’avons connu l’une après l’autre. Mieux que moi tu l’as supporté. Parce que Juive j’ai détesté l’injustice dont souffraient tous les Juifs. Tu es chrétienne : volontairement tu faisais le don total de ton être.
Puis après ton internement, dont j’ai demandé chaque jour à Dieu qu’il se termine, nous nous sommes retrouvées furtivement, pour ne plus nous quitter ensuite. A ce moment, nous avons subi la réaction fatale de tant d’épreuves.
Nous avions trop lutté : le ressort était brisé… »
Après la Libération, Madeleine Fauconneau du Fresne a rédigé un témoignage de sa vie durant la guerre, publié en 1947 sous le titre De l’enfer des hommes à la cité de Dieu. Emmanuel Rougier a retrouvé le livre, peu remarqué à l’époque, et mené des investigations sur le contexte et les compagnons de camp de sa grand-tante, oubliée même des membres de sa famille.
Dans cet ouvrage, il publie le témoignage bouleversant et riche des réalités terribles rencontrées qu’elle rédigea au plus près des événements, étayé par des biographies, des témoignages et des documents retrouvés.
C’est une histoire de luttes pour survivre, d’amitié entre femmes, de spiritualités soumises à la terreur quotidienne, de lucidités profondes et implacables.
Sur le religieux :
« J’avais été jadis cette chrétienne en titre, vidée de tout contenu idéal. Je demeurais traditionnellement attachée à mes origines et je n’aurais pour rien au monde changé de religion, pas plus que je n’aurais changé de patrie. Les hasards de la naissance m’avaient engrenée comme chrétienne dans un grand rouage : l’Eglise, et comme Française, dans un grand organisme : la France.
D’instinct, je me cantonnais dans cette situation de sécurité qui est la passive obéissance. Je ne faisais rien contre les lois de mon Eglise ni contre celle de mon pays. Je les contournais un peu, lorsque cela m’était commode je trichais avec discrétion de façon que cela ne se voie pas trop.
J’appelais cela être une bonne chrétienne et une bonne Française. Multiplié à quarante millions d’exemplaires, cela donne cette France passablement détraquée et cette Eglise claudicante que nous connaissons. »
Sur l’humanité :
« « Sauver sa peau » cela signifiait aller jusqu’au bout des pires trahisons. Ces hommes qui étaient des hommes comme les autres, voilà ce que la peur et la contrainte en ont fait. Voilà le mal inexpiable, la chose qu’on n’avait jamais imaginée et sur laquelle on n’ose attarder sa pensée découragée. Ô mes camarades qui avez trahi, qui avez livré, assassiné vos frères, vous étiez semblables à nous : vous aviez au début les mêmes élans, vous avez passé par les mêmes douleurs. Quelques-uns d’entre vous ont été fusillés après la Libération pour une infamie que nous eussions tous pu commettre, si l’état de grâce nous avait été retiré, si nous avions été submergés comme vous par une tentation trop affreuse ! La tentation n’a pas été sur nous. Nous n’avons pas eu à supputer ou à débattre ; le conflit ne nous effleurait pas, et voici que vous avez dû mourir d’une mort ignominieuse, simplement parce que la force, pour franchir ces heures difficiles, vous ne la trouviez ni en Dieu ni en vous-mêmes. Comment pourrions-nous ne pas avoir pitié de vous ? Et cependant, comme il est difficile de tout comprendre et quelquefois de tout pardonner ! »
Dès 1947, Madeleine Fauconneau du Fresne constate : « Nous sommes sous la botte du Matérialisme-roi » qu’elle considère comme « un occupant autrement redoutable que l’occupant de 1940 qui galvanisait nos résistances ». Ce livre ne témoigne pas seulement d’épisodes terribles de la guerre de 39-45, il dit l’être humain, dans sa complexité, sa lumière et son obscurité. Il y a beaucoup à apprendre sur nous-mêmes et sur les temps que nous traversons dans ce récit.
En 2018, grâce à l’action d’Emmanuel Rougier, Madeleine Fauconneau du Fresne a reçu le titre de « Juste parmi les Nations » par l’Institut Yad Vashem de Jérusalem.
L’Etoile Blanche. Mémoires d’une juste 1940-1945 de Madeleine Fauconneau du Fresne et Emmanuel Rougier. EdiSens, 5 rue de Turbigo, 75001 Paris.