Les 8, 9 et 10 août 2003, combien étions-nous sur le plateau du Larzac dans l’Aveyron : 150 000, 200 000, davantage encore ? A l’appel de mouvements altermondialistes, il s’agissait de stopper l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de clamer : « Le monde n’est pas une marchandise ! » L’OMC devait en effet se réunir à Cancún, au Mexique, du 10 au 14 septembre 2003. A son programme : livrer l’ensemble des services, du commerce agricole et des ressources naturelles à une poignée de firmes multinationales.
Ces journées du Larzac devaient mêler fête, musique, culture et débats. Dans une ambiance extraordinaire, chaleureuse, combative, ce rassemblement était le plus important jamais organisé par les altermondialistes qui étaient à leur apogée. Ils avaient réussi à briser l’hégémonie intellectuelle de l’idéologie néolibérale et à redonner de l’espoir. Depuis, la dynamique s’est enrayée.
Le 18 août 2003, dans le journal Libération, alors président d’Attac, je publiais une tribune intitulée « Après le Larzac, de nouveaux défis », qui attirait l’attention sur quatre défis que devait relever le mouvement altermondialiste : clarifier son identité, mieux définir les alternatives, construire les alliances victorieuses et améliorer la démocratie interne.
Ces défis restent encore à relever, car la galaxie altermondialiste est aujourd’hui dans l’impasse et tourne en rond, au moment où, paradoxalement, la crise légitime son action passée.
Prenons quatre exemples.
* Il n’existe plus de grands rassemblements altermondialistes. Ils étaient la vitrine du mouvement et se tenaient lors des sommets du G8 ou de l’OMC, ou encore lors des forums sociaux mondiaux et européens. Nul n’avait réussi à organiser des rassemblements internationaux d’une telle ampleur et sur un contenu aussi avancé.
* Aucun forum social national n’a pu voir le jour en France. L’un des slogans du mouvement altermondialiste était : « Penser global et agir local ». C’est pourquoi les forums sociaux devaient s’articuler entre différents échelons : mondial, continental, national, local.
Pourtant, en France particulièrement, il n’a jamais été possible de mettre sur pied un forum social national. Les mobilisations seraient-elles pertinentes à l’échelle mondiale, européenne et locale, mais pas nationale ?
* Alors qu’une vague formidable de plusieurs centaines de forums sociaux locaux s’était développée, notamment en France, ils sont aujourd’hui, dans la plupart des cas, abandonnés. Pourquoi ?
* Les élections européennes de juin 2009 ont marqué la confusion et l’éclatement idéologique du mouvement altermondialiste. Déjà, en 2005, lors de la bataille contre le traité constitutionnel européen, plusieurs organisations altermondialistes étaient restées en retrait ou avaient même mené campagne en faveur de ce traité, symbole de l’eurolibéralisme.
Trois éléments sont révélateurs.
Dans certaines organisations, des dirigeants estiment désormais que le clivage du traité constitutionnel européen et sa copie conforme, le traité de Lisbonne, serait aujourd’hui « dépassé ».
Le mouvement altermondialiste a été totalement absent de la campagne des élections européennes. Celle-ci n’était pourtant que la suite logique des combats de 2005 contre le traité constitutionnel européen et de 2008 et 2009 contre le traité de Lisbonne. Sans s’engager en faveur de telle ou telle liste, le mouvement altermondialiste aurait dû appeler à ne pas voter en faveur des listes s’étant prononcées pour le traité constitutionnel européen et le traité de Lisbonne. Le mouvement altermondialiste n’aurait pas été corrompu par la politique, il aurait témoigné de sa cohérence et de son esprit de suite.
Le cas de José Bové illustre probablement le mieux les dérives d’une partie du mouvement altermondialiste, car il fait partie de ceux qui considèrent que le clivage sur le traité de Lisbonne est dépassé. Il annule ainsi tous les beaux combats qu’il a menés précédemment comme syndicaliste agricole.
Au total, le déclin du mouvement altermondialiste a créé un vide dans l’espace public, que personne n’est encore parvenu à combler.
Fin novembre, se tiendra à Genève la 7e conférence ministérielle de l’OMC. Elle coïncidera avec le 10e anniversaire du sommet de Seattle qui avait marqué les débuts du mouvement altermondialiste. C’est une occasion à ne pas manquer ! Le mouvement devrait en profiter pour se mobiliser et clarifier ses positions. Le libre-échange préconisé par l’OMC est une guerre commerciale de tous contre tous, qui écrase les salaires et détruit l’emploi. En outre, il est la première source de pollution puisque les transports représentent 55 % de la consommation de pétrole dans le monde et c’est la première cause d’émissions de gaz à effet de serre (41 % en France). Toute action qui prétend agir sur l’environnement, l’emploi et les salaires doit donc commencer par préconiser des mesures protectionnistes. Le mouvement altermondialiste va-t-il oser prononcer le mot ?
Dix ans après Seattle, tous à Genève fin novembre 2009 ! Pour mettre fin à la concurrence entre les peuples, pour la coopération entre les nations, il faut ralentir le commerce international et choisir un protectionnisme universaliste !
Jacques Nikonoff est porte-parole du Mouvement politique d’éducation populaire
Tribune publiée dans Libération le 7 août 2009