La loi Grenelle 2 vient d’être adoptée par l’Assemblée nationale. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle doit faire face à une avalanche de reproches. Le Grenelle 1 visait par exemple à réduire de 50 % l’usage des pesticides d’ici à 2018. Le Grenelle 2 pose que pour retirer un pesticide du marché français, il faudra préalablement évaluer les effets socio-économiques et environnementaux du retrait envisagé. La remise en cause du plan de réduction des pesticides n’est pas la seule déconvenue. Report de l’écotaxe sur les poids lourds, entrave au développement de l’énergie éolienne ou du reporting des entreprises en matière de responsabilité environnementale tendraient presque à faire oublier la réalité de quelques évolutions non négligeables en matière de performance énergétique des bâtiments, de transports collectifs, d’énergies renouvelables, de conservation de la biodiversité (protection des zones de captation d’eau potable, création de trames verte et bleue, etc.), de traitement des déchets…
« À mesure qu’un système s’approche de ses limites écologiques, les inégalités ne font que s’accroître », lisait-on déjà dans le rapport Brundtland en 1987. L’économiste Paul Collier répartit même les individus peuplant la planète en trois catégories : un milliard de riches habitant pour l’essentiel en Occident (États-Unis, Canada, Europe), au Japon et en Australie. Quatre milliards en train de s’enrichir (Asie, Russie, Amérique latine). Enfin, un milliard de pauvres, piégés dans cinquante nations du monde, dont 70 % se trouvent sur le seul continent africain.
Le contexte peu réjouissant étant posé, Jean-Paul Fitoussi et Éloi Laurent, dans leur dernier ouvrage [1], s’invitent à leur tour dans le débat public. « Cet essai, écrivent-ils, est une tentative de triangulation intellectuelle, qui se donne pour ambition d’imaginer une nouvelle voie entre les écueils symétriques dans lesquels tend à s’enfermer le paysage idéologique sur la question écologique. » L’enjeu, éviter l’imprévoyance écologique comme la décroissance résignée. Car il est vrai que la question de Gandhi continue de se poser : « Il a fallu à la Grande-Bretagne la moitié des ressources de la planète pour accéder à la prospérité, combien de planètes faudra-t-il à l’Inde pour son développement ? » Le problème, poursuivent les auteurs, « c’est le développement dans l’inégalité, qui nourrit l’illusion que l’égalité de développement menacerait les ressources de la planète ».
Grâce à Amartya Sen et à John Rawls, la démocratie aujourd’hui peut se définir comme le régime qui vise à répartir le plus justement possible les biens premiers et à corriger les inégalités de capacités. Nos deux économistes plaident par ailleurs pour une approche dynamique et ouverte de l’économie. Dynamique parce que « le temps de l’économie est […] irréductiblement orienté : entropique pour les ressources et historique pour les institutions de production, d’organisation et de diffusion des connaissances ». D’un côté accumulation des savoirs, de l’autre décumulation des stocks.
Entre ces deux pressions formant une double irréversibilité, il faut inventer une économie ouverte sur son environnement écologique, social et politique. « Ce n’est pas la théorie économique en elle-même qu’il faut incriminer face aux désastres environnementaux, mais sa définition étroite comme science aux processus autonomes. La crise alimentaire et énergétique mondiale vient nous rappeler […] le rapport essentiel qui doit exister entre répartition des moyens de subsistance et répartition des droits à subsister, entre écologie et démocratie. »
Article paru dans l’Humanité le 26 mai 2010
[1] La nouvelle écologie politique. Économie et développement humain, Le Seuil, 2010.