Commençons par vous présenter. Vous êtes le directeur de l’association Espace Pandora. Quelle est la philosophie de l’association et quels sont ses objectifs ?
J’ai, et j’ai toujours eu, plusieurs casquettes à me mettre sur la tête. À quinze ans, j’ai décidé de me lancer tête baissée dans l’aventure poétique… Mais je ne vais pas refaire tout le chemin à l’envers. Pandora est né de la volonté de quelques amis de créer, à Vénissieux, un outil de promotion et de communication de la poésie sous toutes ses formes et dans tous ses états. Au départ, il y a la passion. Ensuite, nous nous sommes vite aperçus du fossé existant entre notre passion commune et la réalité. Notre philosophie est simple, elle tient — toujours — en deux slogans : changer la vie (Rimbaud), d’une part ; transformer le monde (Marx), d’autre part. Certes, le pari était ambitieux. Mais nous pouvons continuer, car l’essai n’a pas encore été transformé. Quant à mes casquettes, oui, elles sont nombreuses : poète, comédien, puis poète, puis animateur d’ateliers d’écriture, puis porte-parole de l’association, éditeur, poète de nouveau, éditeur de nouveau, « agitateur poétique » et, enfin, aujourd’hui directeur de l’Espace Pandora, et directeur artistique du festival Parole ambulante.
Comment se concrétise cette philosophie ? Quelles sont les actions menées par l’Espace Pandora ?
Il y a deux sortes d’actions. Celles qui visent à rendre la culture accessible au plus grand nombre et celles qui souhaitent tirer les gens vers le haut, élever le niveau et le débat. Elles se recoupent parfois, et parfois elles sont distinctes. Nous sommes constamment sur le fil du rasoir, entre populisme et élitisme. En dehors des manifestations que nous organisons, il y a les actions de terrain, à Vénissieux notamment. La médiation culturelle dans le domaine du livre et de l’écrit, ce n’est pas le plus facile. Et la poésie reste un genre à part. Je vous laisse dresser vous-même la liste de l’ensemble de nos actions, vous commencez à les connaître…
Et à ce jour, comment est financé l’organisation de vos manifestations, qu’elles soient annuelles ou ponctuelles ?
Nous avons plusieurs sortes de partenaires, des villes (Vénissieux, Lyon, Grigny), l’État (DRAC Rhône-Alpes, CNL, Préfecture…), la Région Rhône-Alpes, le Département du Rhône… Et quelques autres partenaires, plus ponctuels, moins attentifs à notre philosophie générale, et surtout moins sensibles à nos actions ou à la cohérence du projet. Là où c’est difficile, parfois, c’est que l’Espace Pandora est un outil hors du commun, qui se situe la plupart du temps entre les marges et les institutions. Cela, je l’avoue, ne nous facilite pas toujours la tâche, surtout quand il s’agit de réclamer un réel budget de fonctionnement pour la structure. Mais c’est, pourtant, ce qui fait le charme du combat que nous menons. Rien n’est jamais véritablement acquis… Je vous l’avoue, parfois, c’est un peu épuisant.
Vous avez des financeurs très différents, comment définiriez-vous les relations que vous entretenez avec chacun d’entre eux ?
Pour poursuivre ce que je viens de vous expliquer, notre situation très fragile nous permet aussi de bénéficier d’une grande liberté. La liberté a un coût, et nous en payons le prix. Nous avons cependant la chance d’entretenir, depuis de longues années, des liens très étroits avec certains de nos partenaires. Politiquement, nous sommes souvent très proches. Certains sont même devenus des amis. Il n’y a, là, rien de malsain. Simplement, cela explique la complicité et le partage qui sont souvent évoqués lorsque l’on parle de l’Espace Pandora. Plus rares sont les partenaires avec qui nous n’entretenons que des relations purement professionnelles. Ces derniers appartiennent plutôt à la catégorie des partenaires ponctuels, voire éphémères… Partenaires d’un jour, sur un coup, par exemple…
Les marges de manœuvre de l’Espace Pandora sont-elles les mêmes selon l’institution qui subventionne la manifestation ?
Cela est variable, selon les époques. Il y a des périodes plus politiques que d’autres, bien plus sensibles en tout cas. Mais, en général, à part quelques concessions normales, nous avançons plutôt librement. On arrive à nos fins sans trop de difficultés, tout en essayant de respecter ceux qui nous accordent leur soutien ou leur confiance. Parfois, on nous confie directement des missions. Là, c’est un peu plus compliqué. On se doit d’adapter notre philosophie à la réalité… Mais, avec le recul, je trouve que l’on tire assez bien notre épingle du jeu — celui des « dix mots » par exemple (rires !). Il ne faut pas se leurrer non plus, quand on perçoit de l’argent public, il y a fatalement, un jour ou l’autre, des comptes à rendre à la société. C’est sain, non ?
On parle beaucoup du désengagement de l’Etat vis-à-vis de la culture. Qu’en pensez-vous et quelles en sont les conséquences pour l’association et plus généralement pour la politique culturelle de demain ?
Oui, depuis quelques années maintenant, j’ai le sentiment que l’État se retire, s’éloigne de ses propres missions… Il n’y a d’ailleurs pas qu’au niveau de la politique culturelle que l’État n’assume plus pleinement ses responsabilités ; voyez l’éducation, la formation, la recherche, la santé, l’emploi… La République elle-même semble parfois menacée, et avec elle la démocratie. Nous devons nous montrer vigilants, toujours, et nous battre — et pas seulement pour notre propre petite chapelle.
L’une des solutions évoquées semble être la décentralisation culturelle. Comme l’envisagez-vous ? Quelle nouvelle répartition des rôles pour chacun des acteurs culturels ?
Oui, oui, soyons créatifs, et militons pour la déconcentration et pour la décentralisation… L’avenir culturel passe notamment par les Régions, les grandes agglomérations et les communautés de communes… En 2010, il est logique que tout ne soit plus décidé, entre quatre murs, à Paris. Le régime jacobin, dont j’ai pourtant été longtemps un fervent défenseur, a vécu. Cela ne veut pas dire qu’à l’avenir tout disparaîtra. L’État doit conserver, coûte que coûte, son travail d’expertise et de mise en réseaux. L’État est un guide, une référence… Il doit veiller à ce que l’émergence et l’excellence, en matière de création artistique, puissent continuer à cohabiter. Voilà. Ai-je bien répondu à la question ?
Pour sortir de la dépendance économique vis-à-vis de l’Etat, les associations culturelles se tournent de plus en plus vers les partenariats privés et le mécénat. Qu’en pensez-vous ? L’Espace Pandora pourrait-il à l’avenir adopter ces alternatives ?
Il le faudra bien, sûrement. Mais je me méfie, tout de même, un petit peu… Je préfère rendre des comptes à la société dans laquelle je paie des impôts plutôt qu’à une entreprise privée. Mais, là, il n’y a rien d’objectif ou de raisonné. Derrière le mot « privé », il y a, pour moi, le concept de propriété privée. Et je n’aime pas beaucoup ça. Certes, j’ai une maison familiale et des bibliothèques bien remplies, fruits de trente ans de labeur intensif (rires !), mais c’est plus pour vivre, parfois, mes passions… à l’écart de la rumeur… que pour affirmer une quelconque autorité. Redevenons sérieux un instant. Je compte sur le renouvellement de l’équipe de Pandora pour que nous puissions ouvrir de nouvelles portes. Nous verrons bien… Écrivant cela, je m’aperçois que je suis tout sauf un libéral.
Pour finir, nous avons fêté, en 2009, le cinquantième anniversaire de la création du ministère de la Culture. Comment, en tant que directeur d’association, envisagez-vous les cinquante années à venir ?
Permettez-moi de ne pas répondre trop sérieusement à la question. En tant que directeur, comme vous dites, je voudrais faire en sorte que l’Espace Pandora puisse non seulement me survivre mais, aussi, prendre d’autres directions, tenter de nouvelles expériences ou aventures littéraires. Nous verrons bien ce que le temps, qui file toujours trop vite, nous réserve. En tant que simple être humain, je me pose la question différemment. J’ai beau réfléchir, j’ai un peu de mal avec le fait d’envisager (d’imaginer) l’avenir, même le plus proche, le plus immédiat. Les jours où je suis triste ou pessimiste, je me dis qu’il faut bien que tout change pour qu’à l’arrivée tout reste pareil. Mais, étant d’un naturel plutôt optimiste, l’espoir chez moi finit toujours par reprendre le dessus. Alors, je me dis que la terre est bleue comme une orange. Et cela, au fond, me suffit.
Propos recueillis par Virginie Lebon
(29 juillet 2009 – 14 mars 2010)
Saint-Fons, le 29 juillet 2009 ; Vénissieux, le 14 mars 2010.