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L’hommage au travail de Thierry Renard
La réponse de Thierry Renard

Comment répondre ? Comment répondre à ces hommages, sincères, littéraires et amicaux, comment répondre autrement que par une kyrielle de remerciements ? En effet, la distinction qui m’honore ce soir ne m’appartient qu’en partie, et en partie seulement. C’est pourquoi j’ai tenu, dès l’annonce de cette distinction, en janvier dernier, à ce que la rencontre puisse avoir lieu ici même, dans cette ville où l’ensemble de mes projets, individuels et collectifs, a toujours vu le jour. Cette ville, Vénissieux, qui est d’abord, et surtout, ma première patrie. Mais, si j’aime tout particulièrement la ville où j’ai grandi, où j’ai lentement mûri, j’aime aussi mon pays, la France, cette vieille République. Et je demeure, pareillement, un internationaliste convaincu. Mon pays, c’est encore l’Italie, la terre de mes ancêtres piémontais, l’Europe, où le bonheur mérite d’être chaque jour recommencé, l’Algérie de mes voisins et de mes frères, le Québec de mes amis. Mon pays, c’est le monde, en vérité… Rassurez-vous, je ne me dérobe point, je commence simplement à répondre. Je n’ai sûrement pas fini de dire merci.

Merci, donc, tout d’abord, à toutes celles et à tous ceux qui ont permis à mes rêves les plus fous de naître, mes parents, ma famille, mes proches… Et j’ai, permettez-moi d’insister, une double pensée émue, pour ma mère vivante et pour mon père disparu. Mes parents m’ont donné le pain, la liberté et la parole. Tout mon engagement vient de là, de cette clarté qui, à l’adolescence, m’a ouvert, une première fois et pour toujours, la voie des crêtes singulières. Depuis l’enfance, au milieu de tous les miens, j’ai, je le crois bien, toujours vécu heureux et libre. La liberté et le bonheur sont des symboles, certes, mais ce sont des symboles que je voudrais transmettre, en passant, à mes propres enfants ainsi qu’aux autres enfants de la planète.

Mais ce n’est pas tout ce que je voudrais transmettre. J’ai parlé d’engagement. Le mien est intact, après trente années d’agitation poétique, trente années de labeur incessant. Intact, assurément, malgré par instants, je l’avoue, une assez éloquente fatigue. Il y a, bien entendu, ce que Spinoza appelait les passions tristes. Et ce sont hélas les plus nombreuses ! Passions tristes, contre lesquelles il est absolument essentiel de lutter. Il y a l’envie, la rancune, la dérision et le mépris. Il y a, aussi, la méchanceté, la cruauté et la haine. Ces passions tristes ne procurent aucune force, mais plutôt de la faiblesse. On ne construit pas sur le négatif, sur la raillerie ou le ressentiment. Les passions tristes sont signe d’impuissance. Elles ramollissent le moi, en diminuant fortement sa capacité d’agir. Et la colère alors, que faire de la révolte et de la colère ? Ces deux passions-là sont aussi, très souvent, des passions tristes. Mais lorsqu’elles sont saines et justifiées, elles sont toujours porteuses des plus belles promesses d’avenir. Il faudrait, je le soutiens, inventer une radicalité généreuse.

Merci, merci mille fois, à toutes celles et à tous ceux de ma tribu. Et merci, ensuite, à tous les noms amis, les noms connus et les noms inconnus. Je pourrais, là, sur le champ, établir une liste exhaustive. Mais cela me prendrait beaucoup trop de temps. Et, après quarante-cinq années d’existence, il y aurait le risque assuré des noms perdus. Je ne commettrai ni erreur ni injustice. Je ne veux oublier personne. Alors, chers amis, lointains ou familiers, sachez que si je suis là, debout, et devant vous ce soir, c’est parce que j’ai, depuis le début, presque constamment été magnifiquement accompagné. Merci. Merci, encore.

Et, pour ne pas m’étendre à l’infini, je voudrais revenir à ce qui aujourd’hui nous réunit, aux hommages qui me sont rendus et à cette distinction qui m’élève au rang de Chevalier dans l’ordre des arts et des lettres. Cette distinction, c’est à la poésie que je la dois, et c’est aux poètes, morts ou vivants, d’ici et d’ailleurs, que je veux la dédier. Cette distinction, je veux encore la partager avec celles et ceux qui ont œuvré, au sein de l’Espace Pandora, à un moment ou un autre de l’aventure, pour que la poésie circule en tout lieu et en chacun. Dans ce monde blessé, la poésie n’est pas seulement nécessaire, elle est plus que jamais vitale. Qui sommes-nous, nous qui nous savons riches d’une large vision et d’une grande espérance ? Des porteurs de présages, mais aussi, certains jours, des passeurs de talents. Deux fléaux menacent, sans arrêt, la société des artistes et des gens de lettres. Le populisme, d’une part, qui ressemble de vraiment très près à la démagogie. L’élitisme, d’autre part, qui place le créateur un peu trop hâtivement au-dessus de la mêlée. Il y a, c’est sûr, entre ces deux dangers, un fil ténu sur lequel il faut essayer de tenir en équilibre. C’est l’un des buts que l’Espace Pandora, depuis sa création, s’est fixés. Et la tâche est loin d’être accomplie. Nos partenaires le savent qui réfléchissent, avec nous, à un avenir nouveau pour Pandora — aujourd’hui, déjà précieux outil de promotion de la poésie sous toutes ses formes et dans tous ses états ; demain, sans doute, centre de ressources dédié à la langue et à ses usages les plus hétéroclites, lieu de mémoire vive bataillant fièrement contre le silence et l’oubli, véritable maison des idées et des mots, aux portes et aux fenêtres ouvertes sur le monde.

Bien entendu, vous l’avez compris, le futur proche de la structure que j’anime n’est pas tout ce qui me préoccupe. Il y a, dans ce monde, tant de misère et de souffrance inconsolables que je ne pourrai jamais me satisfaire du confort paisible dans lequel on peut trop facilement et très rapidement s’installer. Mes causes sont plurielles et mes combats nombreux. La justice et l’honneur sont des voies que je poursuis. Mes mots, quant à eux, restent fragiles — qui parviennent seulement à émouvoir quelques oreilles attentives. Même si je suis, avec le temps, devenu plus modeste, je demeure ferme, et surtout résolu : fidèle à mes principes, fier de mes opinions. Vivre, c’est chaque jour risquer et sauver sa peau à la fois. C’est maintenir le cap malgré la tempête. Et puisqu’il m’est déjà arrivé parfois, au cours de mon existence, de tenir des propos déplacés, d’assez mal me conduire en société, de porter atteinte ou de nuire à certains, je voudrais vraiment ce soir être pardonné. Vivre, en réalité, cela n’est pas si simple.

Mais il me faut conclure, et conclure en poète. J’ai eu quelques maîtres dans ma vie, dont l’écrivain Charles Juliet — le premier et le plus sûr d’entre eux. Et je veux maintenant le citer, lui qui m’a tant et tout le temps apporté.

Cette paisible force jubilante
Quand fusionnent les contraires

Que tout converge et s’accorde
Pour exalter la vie

Charles a raison, dont toute l’œuvre, rare et continue, témoigne de l’authenticité de vivre. Écrire, pour moi, c’est déposer de l’encre sur le papier, des mots sur la page. Mais pas seulement, pas seulement… Le plus souvent, j’écris debout, en marchant. Le plus souvent, j’écris partout, en parlant. J’écris par inadvertance, sans réellement m’en apercevoir. Un poème, c’est vivant. Mais cela peut aussi mourir, un poème. C’est très précaire. Pour ma part, vous le savez, je n’ai jamais été quelqu’un de contre ; voire, plutôt, quelqu’un de fondamentalement pour. Oui, j’aime la positivité — cette lumière tellement éclatante qui brille au fond de nos yeux. J’aime ces larmes qui coulent sur les joues, et ces rires qui nous emportent au loin. J’aime cette vie intense et vulnérable, je l’aime autant que mon poème. Je l’aime autant que j’aime Sonia, ma compagne, autant que j’aime mes trois enfants, Cora, Yannis et Carla, et les tellement nombreux autres enfants de la terre. Je l’aime, enfin, comme tous, ici et maintenant, je vous aime — tendrement, à mon niveau. Alors, laissons définitivement tomber les passions tristes et, ensemble, répétons inlassablement avec Albert Camus qu’il n’y a pas de honte à préférer le bonheur. Et n’oublions surtout pas l’humour qui, comme toute chose utile, le succès par exemple, peut rendre définitivement meilleur. N’oublions pas l’humour, qui est une bonne manière de politesse. Merci !

Saint-Julien-Molin-Molette, le 29 novembre 2008 ; Saint-Fons, nuit du 4 décembre.


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