Les textes du sociologue Abdelmalek Sayad (1933-1998) réunis dans ce recueil, troisième volume d’un ensemble intitulé L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, s’opposent aux approches culturalistes qui ont germé en France au cours des années 70. Proche de Bourdieu, qui l’a associé à certaines de ses enquêtes, Sayad aborde la culture comme un « enjeu de pouvoir », ainsi que le souligne Amin Pérez dans sa préface. Derrière la mise en place, sous Giscard d’Estaing, d’une « semaine des immigrés » et d’une émission dévolue au dialogue inter-culturel, Mosaïque, Sayad débusque une logique d’assignation identitaire, dont l’enjeu principal est de masquer la réalité des conditions de vie des immigrés. « Certes, écrit-il dans un texte datant de 1978, on ne peut que se réjouir de l’attention nouvelle portées aux manifestations, longtemps ignorées et méprisées, par lesquelles les immigrés pouvaient encore, timidement, clandestinement, et comme honteusement (...) témoigner de leurs spécificités culturelles, mais il est bon de se souvenir que ces manifestations ne constituent pas pour eux quelque « luxe superflu » mais bel et bien une œuvre de sauvegarde », un moyen de « suppléer les carences de l’accueil qui est fait (ou n’est pas fait) aux immigrés ». Un constat dont la portée n’épargne pas une certaine gauche qui célèbre la « diversité » avec d’autant plus d’ardeur qu’elle déserte le combat pour l’égalité... La pensée de Sayad, du moins dans les textes ici rassemblés, a cependant ses angles morts. Sa vision de la nation est très globalisante, comme si toutes les politiques aujourd’hui menées dans un cadre national étaient équivalentes du point de vue des immigrés. Et l’on peine à déduire une perspective politique de sa réflexion sur la condition de l’« émigré-immigré » comme étant ce qui contredit « toutes les catégories de notre entendement politique (qui est, essentiellement, un entendement national) ».
L’immigration ou les paradoxes de l’altérité. 3- La fabrication des identités culturelles, d’Abdelmalek Sayad, éditions Raisons d’agir, 2014.
Article publié dans le dernier numéro de La Pensée (n°378), dont le dossier central est consacré à Hegel.