Si l’écrasement du monde par le Marché vous affole, si l’écroulement de ces Grands récits que représentaient les Lumières, l’espoir socialiste…, vous apparaît toujours plus comme une liquidation anxiogène, que l’individualisme demeure, pour vous, une énigme à décrypter, voici une plume qu’il n’est pas interdit de fréquenter.
D’un point de vue généalogique, l’affaire est la suivante. Pour inventer la modernité, l’Occident se dépassa, à la Renaissance, en revisitant deux grands récits : le monothéisme produit du côté de Jérusalem, et l’odyssée du Logos. L’enjeu n’était pas mince : armer l’universel de l’égalité interhumaine des munitions de la Raison.
Or, il s’est trouvé que les Lumières anglaises énoncèrent un paradigme d’une toute autre charpente. Adam Smith exemplifia cette conception selon laquelle le self love, l’amour de soi, étant bien ordonné, il ne saurait manquer d’être brillant ordonnateur. Ainsi, il y a toutes raisons logiques d’estimer que c’est l’amour de soi qui conduit le boucher à servir comme il se doit son client. L’intérêt privé pouvait donc harmoniser la totalité sociale.
Le self étant roi, dégagé de toute transcendance à soi, il ne pouvait que « hausser » le capitalisme au niveau d’une révolution permanente, saccageant règles et traditions, sublimant le renouvellement et l’innovation perpétuels.
Semblable entreprise trouve aujourd’hui à s’alimenter dans cette économie psychique où le libéralisme culturel tient son rôle d’animateur d’une étrange humanité, généralement qualifiée de post-moderne, vouée au culte de ses passions-pulsions, hédonistes, anti-institutionnelles, niant la différence des sexes ou des générations, quand elle ne prône pas la réduction de l’humain à l’animalité.
Face à cela, l’auteur invite à une nouvelle Renaissance, propice à l’avènement d’un individu libéré du cirque de la réduction au fonctionnement pulsionnel, et habité par les seules règles d’or qui vaillent : celles du Don et de la common decency. Renaissance civilisationnelle où la « reconstruction » de l’Etat, du Peuple souverain, ne sera pas de trop.
L’Individu qui vient… après le libéralisme. Dany-Robert Dufour. Paris, Denoël, 2011
De Dany-Robert Dufour on consultera également : L’Art de réduire les têtes : sur la nouvelle servitude de l’homme libéré à l’ère du capitalisme total (Denoël, 2003), Le Divin marché (Denoël, 2007) et La Cité perverse (Denoël, 2009).
Thierry Blin est Maître de conférences habilité à diriger des recherches en sociologie. Il est l’auteur de L’Invention des sans-papiers. Essai sur la démocratie à l’épreuve du faible (PUF, 2010). Voir également sur La faute à Diderot : Le sans-papiers et l’humanisme de l’autre homme.
Le présent texte est paru dans l’Humanité du 13 décembre 2011.