Komintern, le nom de cette organisation communiste internationale fondée en 1919, évoque l’efficacité, le secret, l’aventure. Il est synonyme pour les uns de perspectives enthousiasmantes, et pour les autres de stalinisme associé à son cortège de drames et de crimes. Peu d’études sérieuses existent sur ce thème, et Serge Wolikov, avec succès, travaille le sujet depuis plus d’une décennie. D’abord dans l’ouvrage collectif « Komintern : L’histoire et les hommes, dictionnaire biographique de l‘Internationale communiste », paru en 2001 aux mêmes éditions, puis avec la publication des « Télégrammes chiffrés du Komintern entre Moscou, Berlin et Paris de 1939 à 1941 », enfin avec cet ouvrage.
Il faut saluer le travail réalisé, basé sur l’exploitation des archives accessibles depuis 1990 et par une nouvelle étude des publications du Komintern. Loin de connaître l’aridité de certains ouvrages, celui-ci est d’une approche facile grâce à une écriture alerte, et par l’utilisation intelligente d’un cédérom réalisé par un collectif qui donne de nombreux outils, tels des organigrammes et qui renvoie à une biographie riche et très documentée de centaines d’acteurs de ces 24 ans d’existence.
L’auteur fait le choix de trois parties fondamentales : « organisation et stratégie », « culture et doctrine du Komintern », et « les hommes et interprétations ». Cela lui permet de visiter les années d’existence par thèmes plutôt que d’en rester à une linéarité qui aurait pu faire perdre de la cohérence au propos. Loin d’en rester à des stéréotypes pour satisfaire un lectorat en mal de sensation, telles les pages convenues d’un anticommunisme pathétique dans le Livre Noir du communisme, Wolikow s’attache à démontrer sans complaisance, les ressorts qui vont présider aux destinées de cette organisation mal connue.
Fondée au lendemain de 1917 par Lénine et Trotsky, le but initial du Komintern consiste à être un outil politique dédié à la révolution internationale qui ne devait pas manquer de voir le jour au lendemain de la Grande Guerre. D’une conception mécaniste de l’Histoire, que l’auteur appelle ironiquement « A quand la révolution ? », les dirigeants du Komintern devront rectifier leurs ambitions et passer à un niveau plus réaliste et moins idéaliste. Au milieu des années 20, la révolution mondiale paraissant plus complexe à réaliser, le Komintern devient une structure de diffusion des réalisations et des concepts du seul état socialiste de l’époque, l’Union soviétique. Pour prendre un raccourci, disons que c’est l’ère de la propagation du slogan : « Des soviets partout ! ». A cette époque, le mouvement révolutionnaire accuse une perte de vitesse, et le Komintern donne une priorité aux mouvements nationaux qui deviennent alors des leviers utiles. C’est alors que la bolchevisation des partis communistes est mise en œuvre. Elle laissera des traces profondes dans le fonctionnement des organisations européennes. Ainsi, pour le PCF, la priorité donnée aux cellules d’entreprises, lieu de l’exploitation, vient de ces années. Enfin, au milieu de la décennie suivante, la stratégie de diffusion des réussites socialistes se métamorphose sous la double impulsion des tensions internationales faisant craindre pour la survie de l’état soviétique, et de la répression stalinienne, le tout dans un mouvement dialectique. Ainsi, le Komintern sera aussi victime de purges décidées par Staline. La dimension exacerbée de la lutte antifascistes avec l’arrivée au pouvoir d’Hitler à Berlin, la déportation et la liquidation immédiate de dizaines de milliers de communistes allemands, l’émergence de la guerre d’Espagne au cours de laquelle les capitales occidentales feront preuve de lâcheté, privilégiant l’ordre franquiste et enfin l’entrée en guerre du Japon contre la Chine (sujet trop peu travaillé dans l’approche d’une prise en étau de l’URSS) vont bouleverser le rôle du Komintern, jusqu’à sa disparition dans la seconde guerre mondiale
Ce livre donne à apprendre, à comprendre, loin des dogmes et des a priori. Il s’agit donc d’une réussite, même si j’émets un regret : celui que la période de 1934 ne soit pas suffisamment fouillée dans ses tensions internationales, notamment avec les tentatives de Louis Barthou, ministre des affaires étrangères pour annihiler les visées belliqueuses de l’Allemagne nazie. J’en resterai là pour une critique alors que l’ensemble est remarquable.
L’auteur souligne par ailleurs l’effort énorme réalisé afin que des ouvriers, des militants sachant à peine lire et écrire puissent accéder à des écoles politiques de très haut niveau, à des livres et des écrits tant philosophiques qu’économiques. Il démontre cette appropriation culturelle soutenue par le Komintern, comme un élément de la lutte révolutionnaire engagée par des militants formés et conscients.
L’auteur met en relief une foule d’informations utiles pour comprendre aussi le monde d’aujourd’hui. C’est un des mérites de Wolikow de faire également sortir de l’ombre des hommes et des femmes, oubliés de l’Histoire. Il décrit leur tiraillement, notamment en ce qui concerne l’ambivalence des délégués, « qui doivent à la fois être porte-paroles de leurs partis, mais en même temps leur éloignement durable signifie une certaine mise à l’écart ». Comment ne pas admirer ces militants, clandestins pour beaucoup, qui ont consacré leur vie au termes d’incroyables sacrifices, pour édifier une société dont l’objectif premier était l’émancipation de l’être humain dans un monde meilleur ?
L’internationale Communiste (1919-1943)
Le Kominterm, ou le rêve déchu du parti mondial de la révolution,
par Serge Wolikov, aux éditions de l’Atelier (2010)
Philippe Pivion est l’auteur de La mort est sans scrupule (aux éditions du Losange et du Complot de l’ordre noir (au Cherche-midi). Voir l’article Le dernier combat de Louis Barthou.