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La France et l’OTAN risquent de décrédibiliser la responsabilité de protéger
Par Pascal Boniface

En Libye, les bombardements militaires de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) n’ont pas débouché sur une éviction rapide de Mouammar Kadhafi. Les médias évoquent déjà l’enlisement. Le but originel, inscrit dans la résolution 1973, n’était pas le changement de régime en Libye, mais la protection des populations.

De ce point de vue, l’objectif est atteint, le bain de sang annoncé sur Benghazi n’a pas eu lieu. Il est donc excessif de parler d’enlisement. Il vient d’être décidé d’intensifier les bombardements. Tripoli et les bureaux de M. Kadhafi ont été bombardés. Des conseillers militaires français et britanniques ont été envoyés auprès du Conseil national de transition, auquel on fournit probablement des armes.

Ne risque-t-on pas de passer, sans le dire officiellement, du concept de la "responsabilité de protéger" à celui, bien différent, de changement de régime ? Les armées qui participent à l’opération ne passeraient-elles pas alors de la protection des populations civiles au statut de cobelligérants, au côté des insurgés ? On peut certes partir du principe que, tant que M. Kadhafi est au pouvoir, la population libyenne ne sera pas en sécurité et que seul son départ permettra une véritable paix civile en Libye.

On peut aussi penser que la disproportion des forces, le manque d’équipement ou d’entraînement des insurgés doit conduire à les aider. Mais on change le sens de la mission. On lui donne clairement celui d’un changement de régime, par le biais d’une intervention militaire, objectif exclu lors du vote au Conseil de sécurité. Il n’est pas certain que la coalition qui a été mise en place en vertu de la résolution 1973 puisse y survivre longtemps.

La résolution 1973 a été saluée parce qu’elle mettait en oeuvre le nouveau concept de "responsabilité de protéger". Celui-ci se distingue de l’ingérence, qui n’est qu’une politique de puissance classique déguisée sous des bons sentiments.

L’ingérence a toujours été à sens unique : une intervention des grandes puissances dans les affaires des nations plus faibles. L’Organisation des Nations unies (ONU) a toujours mis en avant le principe de souveraineté, justement pour les protéger contre les appétits des pays plus puissants. Mais il est également nécessaire que la souveraineté ne constitue pas une garantie d’impunité pour les tyrans et dictateurs. Il est souhaitable de protéger les populations sans défense. La responsabilité de protéger, formulée en 2005 à l’ONU, correspond à cette nécessité de trouver un équilibre entre le respect de la souveraineté et la protection des populations. Que la nécessaire protection des Etats faibles face aux Etats puissants ne se traduise pas par l’abandon des populations face à des gouvernements prêts à faire des massacres.

La responsabilité de protéger correspond à une situation d’urgence, pour éviter des crimes de guerre, des massacres, des crimes contre l’humanité. Elle est décidée conjointement par les représentants de la communauté internationale, par un vote au Conseil de sécurité. Rien à voir avec une guerre unilatérale déclenchée en toute illégalité, fût-ce contre un dictateur.

Ceux qui privilégiaient l’ingérence sur la responsabilité de protéger mettaient en avant le fait que la Russie ou la Chine feraient toujours obstacle à son évocation au Conseil de sécurité. La résolution 1973 est venue les démentir, ni Pékin ni Moscou n’ont voulu être tenus responsables, par un vote négatif, d’un massacre qui s’annonçait certain.

Passer de la responsabilité de protéger à l’ingérence classique revient à délégitimer la première. Il sera plus difficile à l’avenir de l’évoquer si elle n’apparaît que comme une ruse pour faire accepter ce qui était refusé, à savoir un changement de régime par la guerre. Les pays réticents à voter en faveur d’une intervention militaire pour protéger une population menacée verront leur suspicion renforcée. Ce qui se joue en Libye, au-delà de l’enjeu national et régional, c’est l’avenir du concept de la responsabilité de protéger.

M. Kadhafi est trop isolé sur le plan international pour se maintenir au pouvoir très longtemps. A terme, il tombera. Mais le prix à payer pour sa chute sera moins lourd s’il tombe victime de son isolement que par une solution militaire extérieure, qui viendrait délégitimer le concept de la responsabilité de protéger.

Article paru dans Le Monde du 26 Avril 2011

Pascal Boniface est directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)


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