La Guadeloupe est vent debout et nous dit l’universel en créole : Liyannaj Kont Pwofitasyon. Dans ce combat pour la justice sociale, Elie Domota souligne le danger que fabriquent les ghettos urbains pour riches en Guadeloupe comme ailleurs, la pauvreté et la discrimination à l’embauche, ou encore la concentration de la richesse économique sur l’île, héritière directe de l’histoire coloniale. Dire la vérité, voilà qui est juste, par contre il est un procédé bien suspect que de vouloir toujours la cacher. Le faux nez du racisme est une bien vieille méthode pour bâillonner une demande légitime de justice, employée tant de fois pour étouffer la vérité de rapports sociaux iniques. Cette vieille idée de vieux surgit dans un espace débarrassé de toute pensée critique par des média décidément trop polis avec les puissants.
Les cercles de la domination sociale, passés maîtres dans l’art de la captation de la culture sont muets sur le sujet. Quels sont donc ces animateurs médiatiques qui invoquent Aimé Césaire, Edouard Glissant ou Patrick Chamoiseau comme autant de colifichets chics, sans que le moment venu ils ne tirent les leçons de leur travail ? Ces grands intellectuels du monde caribéen contribuent à faire advenir une pensée humaniste. Ils n’ont que faire de décorer les bibliothèques inutiles pour clubs mondains. Alors pourquoi éviter soigneusement l’exposé pénétrant de leurs œuvres dans ces jours où précisément ils sont si nécessaires pour dire ce que vit la Guadeloupe ?
Ce sera donc dans les rues de Pointe-à-Pitre que la créolité sera expliquée aux enfants. Que dit la parole formidable d’Elie Domota ? Demain sera plus juste ou ne sera pas. Une humanité métisse et fière de l’être parce que le temps est venu du respect, celui de la vérité historique de l’esclavage, celui de l’égalité sociale, celui de la justice et de la diversité. Nos enfants méritent d’apprendre de ces grands maîtres à penser pour construire demain un monde debout. Or, n’est-il pas actuellement projeter d’asphyxier les universités, de tarir la pensée libre et indépendante, de limiter l’histoire, la littérature, la linguistique, la sociologie ?
Le LKP nous raconte les classes sociales en Guadeloupe, une leçon élémentaire sur les rapports sociaux issus de la colonisation et maintenus par une République désinvolte lorsqu’il s’agit de faire appliquer ses propres lois en certains lieux. Imaginons un peu la force destructrice d’un langage officiel qui systématiquement discute la légitimité du statut d’une région au sein de l’ensemble national ? Faisons lire à nos enfants Pluie et vent sur Télumée Miracle de Simone Schwartz-Bart, Texaco de Patrick Chamoiseau.
Aucun peuple ne demande l’aumône car ce serait accepter pour toujours les inégalités ; la charité accordée de temps en temps par quelques riches dominants, les 200 euros pour la vie chère ne sont que l’écume nécessaire d’une revendication autrement plus ambitieuse. C’est là que la marche derrière le LKP prend une valeur universelle ; tous les peuples victimes de la pwofitasyon se retrouvent dans le rejet d’un modèle de développement qui rend la vie insupportable au plus grand nombre. Lisons le manifeste des 9 signataires Pour les produits de haute nécessité, E. Breleur, P. Chamoiseau, S. Domi, G. Delver, E. Glissant, G. Pigeard de Gurbert, O. Portecop, O. Pulvar, J.C. William. La Guadeloupe nous parle d’universel.
Sophie Devineau est sociologue (centre Maurice Halbwachs)