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La République de l’imagination, un livre de Patrice Nganang sur le prix du rêve occidental
Par Eric Le Lann

Quel peuple, dis, quel peuple peut se fabriquer un présent s’il a abdiqué sa capacité de s’imaginer un futur. Patrice Nganang

Dans La double pensée, Jean-Claude Michéa considère que la condition absolue pour éradiquer tous les obstacles historiques et philosophiques à l’accumulation du capital est « la mobilité intégrale des individus –mobilité dont la forme ultime est évidemment l’invitation, signifiée à tous les monades humains, à circuler sans fin sur tous les sites du marché mondial » et relève que le pape de la science économique libérale, Milton Friedman « militait activement pour l’abolition définitive de toutes les frontières que l’Etat opposait encore à la circulation mondiale de la force de travail ».

Sans doute est-ce en Afrique, où cette invitation prend la forme d’un espoir, parfois le seul, celui de venir en Occident, que les conséquences de cet appel à la mobilité intégrale des individus sont les plus dramatiques. Au point que certains pays de ce continent comptent plus de médecins expatriés qu’ils n’en comptent sur leur territoire [1].

C’est l’aspect politique de cette réalité que décrit un universitaire installé aux Etats-Unis, Patrice Nganang, dans cinq lettres adressées à son benjamin qui ne rêve plus que de l’Occident, jusqu’à proclamer « Fuck Africa ! », et lui demande instamment de le faire venir. Dans ces lettres, il met en évidence l’envers du rêve occidental : l’abandon d’un autre rêve, « le rêve d’autonomie de nos parents et grands-parents ».

Pour tenter de le convaincre, il revient sur les aspects culturels de la tentative coloniale de sortir l’Afrique de l’histoire, évoquant le roi Njoya qui créa une écriture pour sa langue, écriture qui fut vite proscrite par le colonialisme : « sa grandeur est qu’il nous arrache au paradigme qui aura défini notre continent comme étant l’Autre de l’Occident, et ainsi nous aura condamnés au silence ; qui nous aura définis comme étant noirs comme l’Occident est blanc, et nous aura cloîtrés dans la pensée racialisante. (…) Ce faisant, il nous éloigne de cette représentation de l’Afrique par l’africanisme colonial que sert si bien le stéréotype de l’orature, qui se satisfait de la conception de l’ « arbre à palabres », du « continent de la parole » ». En lisant ces lignes, chacun aura certainement en tête le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar, décrivant un homme Africain calqué sur cet « Autre de l’Occident ».

On ressent tout au long du livre la nostalgie des grands combats émancipateurs de l’époque de la lutte anticoloniale éprouvée par l’auteur, notamment pour celui de Ruben Um Nyobe, dont il évoque longuement les rêves, au sens premier. La force du propos de Patrice Nganang est aussi de clamer haut et fort la nécessité pour les Africains de reprendre ce flambeau sans jamais l’opposer à ce qu’il y a de commun entre tous les êtres humains : « Nous sommes les enfants de rêves bien anciens, légataires des rêves de l’humanité », et de citer : Shakespeare, Verlaine, Goethe, Brecht et d’autres noms, dont Hegel « un philosophe africain malgré l’hirsute racisme de ses phrases, car plus que quiconque, il aura marqué la profondeur de la conscience universelle de son caractère intimement historique ».

Comme nous, Patrice Nganang se révolte qu’aucun avenir ne puisse être imaginé en dehors de celui que nous définit le marché capitaliste mondial : « Un autre monde ? Ah, il n’est, nous disent les analystes, plus possible que pour qui comprend que (notre monde) est un gigantesque marché, un supermarché en fait, oui, où la liberté elle-même n’est plus qu’un produit ».

C’est pourquoi il répond finalement au benjamin qui veut le rejoindre « pas au prix de l’abdication de notre intelligence, ou alors de l’assassinat de l’infini de tes rêves. Pas au prix de ton forfait. »

Patrice Nganang, La république de l’imagination, Editions Vents d’ailleurs, 9,9 euros

Notes :

[1Voir sur ce sujet l’article paru dans Le Monde Diplomatique en décembre 2006, L’Afrique tente de retenir ses médecins. On y lit notamment : "20.000 professionnels de la santé émigrent chaque année du continent africain vers l’Europe ou l’Amérique du Nord. Les médecins béninois travaillent davantage en France qu’au Bénin. Au Zimbabwe, il ne reste que 360 des 1200 médecins formés dans les années 90. Entre 1993 et 2002, le Ghana en a perdu 600 sur 800 (le Ghana compte 9 docteurs pour 100.000 habitants contre 335 en France). (...) Paradoxalement, le personnel de santé africain est devenu un pilier du système des systèmes de soin des pays du Nord. (...) Le recrutement international semble une solution peu coûteuse pour faire face à cette pénurie. En allant chercher du personnel en Afrique, les pays riches économisent le coût de la formation. Autre avantage, ces professionnels se montrent davantage enclins à accepter de travailler la nuit.


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