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La Saint-Barthélémy n’aura pas lieu de Joël Schmidt
La critique de Remi Boyer

Le récit uchronique et utopique proposant une histoire alternative est presque une tradition anglo-saxonne. La culture française, et ses crispations rationalistes, peinent à envisager d’autres hypothèses et conséquences possibles à un événement de l’histoire dite réelle. On dit parfois que seule la génération suivante peut mesurer les effets d’un événement ou d’un choix politique. Ce n’est pas vrai dans tous les cas mais cela donne cependant sens à cet exercice délicat qui consiste à imaginer une autre fin à un événement, exercice qui met en perspective l’histoire et change le regard porté sur des événements essentiels.
Exercice périlleux donc, ce qui explique aussi le peu d’adeptes se lançant dans l’aventure. Exercice réussi avec cette autre Saint-Barthélémy qui fait prendre conscience au lecteur de la place essentielle du protestantisme en France et en Europe. Ne serait-ce que pour ce point, le livre mérite qu’on s’y intéresse.

Point de départ de l’aventure : le 9 septembre 1561, Catherine de Médicis convoque le colloque de Poissy. Elle recherche un accord entre protestants et catholiques. Elle penche pour une France protestante. Quelques mots, à propos de la présence christique dans l’Eucharistie, lâchés trop hâtivement par le représentant de Calvin, détournés par le cardinal de Lorraine, engendrent la catastrophe que l’on sait, une guerre civile et religieuse de plus de trois décennies.

C’est là que Joël Schmidt intervient dans l’histoire. Il imagine que Catherine de Médicis ne laisse pas loisir au cardinal de Lorraine d’exploiter les mots trop maladroits du calviniste et fait basculer la France dans le protestantisme.

Il déroule ensuite un autre fil de l’histoire, d’une France embrassant la Réforme. Sa démonstration, qu’il appartient au lecteur d’apprécier, veut mettre en évidence les conséquences du choix protestant : paix civile plus affirmée, malgré quelques épisodes catholiques, Europe davantage unie, moins de nationalismes exacerbés, prospérité plus grande, une autre influence sur le monde. L’option catholique apparaît au contraire plus chaotique, polémique et sanglante.

L’auteur ne tombe pas dans une apologie du protestantisme, il tente de prendre la mesure des changements d’alliance qu’implique une France protestante. L’ennemi héréditaire, l’Angleterre, serait resté sans doute l’ennemi, mais les relations avec l’Allemagne auraient été toutes autres. Il précise :
« Je ne tente pas de tracer un tableau idyllique de la bonne entente entre la France et l’Allemagne : on ne peut en effet passer sous silence les mauvais penchants des peuples qui font, comme le dit Bertolt Brecht, que la bête n’est pas morte. L’antisémitisme, si profondément ancré dans certaines consciences, n’aurait pas pour autant disparu : mais on peut espérer que nous n’aurions pas connu la Shoah. Quant à la question coloniale, sans doute une France protestante n’aurait-elle pas été opposée, de par ses principes, à une émancipation des peuples colonisés et à leurs accès à l’indépendance : des nations protestantes et colonisatrices comme la Hollande et l’Angleterre n’ont-elles pas, à peu près, réussi leur décolonisation ? »

Et la question de la laïcité ? Portée par les protestants «  qui pensent qu’il n’est pas de religion possible et active si le terrain politique ne reste pas neutre à son égard », malgré l’opposition violente des catholiques, les lois de séparation de 1905 auraient renforcé véritablement la République et auraient réduit l’impact des tentatives quasi-permanentes de réintroduction de l’Eglise dans l’Etat français (aujourd’hui à travers l’école).
« A quoi bon ? » peut se demander le lecteur puisque de toute façon ce n’est pas ce qui s’est passé. Cette histoire alternative, passionnante, est un remarquable exercice pédagogique. Elle forme le sens politique en contraignant le lecteur à prendre la mesure des choix politiques, de la nécessité de peser sur « les représentants du peuple », qui ont tous tendance à oublier ce que signifie cette représentation, à penser ses décisions et ses indécisions. En une période où il est plus que jamais nécessaire pour le citoyen, indigné ou non, de reconquérir la place centrale que les outils juridiques internationaux en matière de droits de l’homme lui réservent, ce livre, inhabituel, est bienvenu.

La Saint-Barthélémy n’aura pas lieu de Joël Schmidt, Editions Albin Michel.


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