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La culture, projet d’avenir
Par Olivier Py

Nous fêtons le cinquantenaire du ministère de la culture, et certaines voix s’interrogent sur sa validité. Parallèlement, le président de la République a affirmé à deux reprises sa volonté d’une nouvelle politique culturelle. Il a laissé entendre que la culture devait être partout et non plus un champ clos de la société. Evidemment, la création de ce conseil a suscité des interrogations sur le rôle véritable du ministère.

Ebauché par le Front populaire en 1936, activé à partir de 1946 et personnifié par Jeanne Laurent, alors sous-directrice des spectacles au ministère de l’éducation nationale, le ministère de la culture est officialisé en 1959 par De Gaulle. La nécessité de reconstruction nationale était supérieure aux enjeux politiciens, et André Malraux, dans un simple télégramme, pouvait dire à Jean Vilar "peut importe que vous soyez communiste ou non, votre projet est d’intérêt général, c’est ce qui importe".

Les plus grands doutes frappaient la légitimité d’un ministère des arts. En effet, les exemples propagandistes du Reich et de l’URSS empêchaient de penser un financement de la création qui ne transformât pas la liberté artistique en esthétique d’Etat. Nul ne songe plus aujourd’hui qu’une subvention implique en contrepartie sujétion aux idéologies dominantes. Le ministère de la culture a organisé, pour ne pas dire inventé, la culture populaire hors du divertissement de masse et la liberté artistique libérée des enjeux commerciaux, se posant, dans le respect des publics, en protecteur des artistes.

Il est vrai que le monde a changé et que, sur au moins un certain nombre de points, cette institution qu’on nous envie, mériterait d’évoluer. Voici cinq axes possibles pour une réflexion réformatrice.

1 - Le mot même de culture a changé de sens. Il déborde largement du cadre de l’art et de la création, il embrasse des phénomènes sociétaux très divers, du tourisme à la communication. Comme si l’art et la pensée n’avaient plus le monopole du sens. Le changement anthropologique est grand aussi, car la hiérarchie de celui qui parle et de celui qui écoute, de celui qui montre et de celui qui voit est bouleversée. Comme disait Warhol, "A l’avenir, chacun aura son quart d’heure de célébrité mondiale", il ne précisait pas si la célébrité serait artistique ou pas, mais prédisait ce que les technologies nouvelles fondent : une nouvelle subjectivité que l’on peut s’approprier sans savoir spécifique et qui laisse à chacun la possibilité de s’improviser créateur, ou de le prétendre.
De son côté, le périmètre du ministère s’est agrandi, l’art y semble parfois presque marginal, au point que sa dénomination a depuis longtemps inclus la communication. Les médias sont désormais des vecteurs de pensée plus majoritaires que la littérature et les arts. Quant aux formes de l’art, elles déjouent toutes les étiquettes. La culture est partout. L’action du ministère est écartelée entre une réduction de ses marges artistiques et un périmètre toujours plus grand. Il faut accepter que ce ministère, comme la culture, embrasse un champ d’action qui couvre la société entière, des laboratoires de recherche aux réseaux diplomatiques en passant par la politique de la ville.

2 - Quand ce ministère a été créé, la décentralisation n’existait pas. Aujourd’hui, les collectivités territoriales financent la culture autant, voire plus que l’Etat, les projets locaux s’affirment comme des projets nationaux, voire internationaux, en région. Le local ne s’oppose en rien à la culture du monde. Mais cette articulation entre le national et le local ne semble plus organisée ; les rapports entre décentralisation et déconcentration ressemblent parfois plus à une concurrence méfiante qu’à un travail collectif pour le collectif. Les élus ne disposent pas d’outils de coordination ni de plate-forme pour faire fructifier cette énergie. On risque que l’action culturelle s’éparpille en baronnies stériles. Et dans certains cas, rares heureusement, le principe de l’égal accès des citoyens à la culture est mis à mal. Certains aussi font de cet essor des aides locales un argument à la mort du ministère, mais c’est au contraire quand il y a subventionnement croisé de tous les niveaux de la République que les projets sont les plus forts et que le sentiment national et européen devient une force dans sa diversité.

3 - Le ministère de la culture est né dans un temps où le monde libéral connaissait des limites techniques et idéologiques, où la mondialisation n’était pas une évidence. Ni le cinéma ni la littérature n’avaient besoin d’aide, un théâtre d’auteur pouvait fleurir dans le privé. Aujourd’hui, de nombreux domaines, et pas seulement de la culture, ne pourraient survivre sans la présence tutélaire de l’Etat.
Certains, pourtant, pensent que le mécénat est le remède absolu, et que la loi de la jungle libérale éliminera les oeuvres qui ne sont pas dignes de durer. Rimbaud n’a pas été subventionné, ni Van Gogh, disent-ils. Mais aujourd’hui seraient-ils édités et exposés sans un écosystème de la culture ? L’économie de marché peut produire des oeuvres de qualité, mais pas dans tous les domaines. A l’esthétique d’Etat tant redoutée, on voit se substituer une esthétique du marché. Et le marché de l’art ne fait bénéficier qu’une petite proportion d’artistes sur des critères opaques. Le ministère permet de bouleverser les critères esthétiques et d’éviter que la postérité ne soit engorgée que d’œuvres solvables.
Enfin, il est prouvé que c’est quand l’action de l’Etat est la plus forte que les aides privées s’engagent en complément et non pas en remplacement. Le premier ministre, dans un discours à Avignon, affirmait qu’on ne pouvait plus penser la culture en termes de dépense improductive ou de luxe nécessaire, mais qu’il fallait y voir un large secteur économique faisant vivre au moins 500 000 personnes.
Le ministère de la culture doit être pensé et valorisé comme un acteur de la vie économique dans une Europe où la valeur ajoutée du patrimoine et l’effervescence de la création sont des moteurs d’avenir, bien au-delà de leurs seuls champs d’intervention.

4 - L’ensemble des structures et des institutions culturelles s’est incroyablement professionnalisé. De nouveaux métiers de médiateurs se sont développés. Mais le rapport entre les institutions publiques et les artistes s’est distendu. Les intermédiaires se sont démultipliés. On pourrait par exemple s’étonner qu’aucun artiste ne fasse partie du conseil de la création. En cinquante ans, on a inversé le contenant et le contenu. Les lieux de l’institution culturelle ont été créés sous l’impulsion d’artistes engagés et à partir de leurs projets artistiques.
A l’inverse, aujourd’hui, les cadres existent et on demande aux artistes, même les plus grands, de s’y conformer quand ils ne jouent pas les prestataires de services d’une vie culturelle qu’ils ne gèrent plus. Alors, les stratégies de marketing remplacent l’aura de l’artiste et les médiateurs deviennent parfois plus médiatisés que les créateurs et les oeuvres moins appréciées pour elles-mêmes que pour l’agencement qui les médiatise. Il faut repenser la politique culturelle à partir des créateurs et non pas des études sociologiques, favoriser l’audace et ne plus se contenter des seuls acquis. Car, au fond, le désir d’une nation reste un mystère à révéler, et il est toujours bon de se souvenir de l’avenir.

5 - Enfin, le ministère de la culture a été créé à une époque strictement nationale avec des préoccupations certes universelles, mais dans un contexte d’échange hexagonal. Aujourd’hui, pas une catégorie de l’art et de la culture qui ne soit européenne ou internationale. On peut être inquiet, surtout, du rayonnement de la culture française souvent incomprise ou inconnue de nos voisins proches, comme en témoigne le déplorable article du Times qui célébrait la fin de la culture française et avouait surtout n’en rien connaître.
Le ministère des affaires étrangères n’a pas les moyens de mener une action culturelle digne de ce nom, quant au ministère de la culture il n’a pas accès autant qu’il le faudrait à des outils de travail diplomatiques. Les réunions régulières des ministres de la culture européens sont importantes, elles doivent devenir décisives. La réalité de l’internationalisation de la culture n’est pas suffisamment prise en compte à l’aire de la circulation mondialisée des savoirs.
Le ministère de la culture reste, et doit rester, l’outil de spéculation intellectuel et esthétique, le lien essentiel de tous les membres de la société. Non plus un ministère isolé et précarisé, mais un grand ministère qui assume sa part dans l’éducation nationale, la diplomatie, l’économie et les droits de l’homme. Ce grand ministère de la culture serait le garant du sens même de la démocratie, de l’égalité des chances, militant et humble, lucide et ambitieux. C’est pourquoi il ne nous est pas possible de le regarder comme un objet dépassé par les technologies vertigineuses de la médiatisation et de l’économie.
Il doit être refondé dans un projet civilisationnel beaucoup plus large puisque l’essence de l’Europe et celle de la culture ne font qu’une. Et qui sait si ces temps de crise ne formulent pas de manière encore balbutiante une nouvelle utopie ? Un questionnement du sens pour ériger les fondements d’une nouvelle organisation sociétale, la culture comme centre même de la vie politique et comme projet d’avenir.

Texte publié dans Le Monde du 12 février 2009

Olivier Py est directeur du Théâtre de l’Odéon, comédien, auteur et metteur en scène de théâtre et d’opéra. Il a récemment créé "L’Orestie", d’Eschyle (2008) dont il a réalisé la traduction (Actes Sud), et trois contes de Grimm, "L’Eau de la vie", "La Jeune Fille, le Diable et le Moulin" (2008). En mars, il reprendra "Le Soulier de satin", de Paul Claudel, qu’il avait créé en 2003 dans sa version intégrale


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