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La géoénergie cela sert à faire la paix
Par Didier Valette

On connait la formule du géographe Yves Lacoste « la géographie cela sert d’abord à faire la guerre », un point de vue qui vaut sans doute encore plus pour la géostratégie et donc pour la géoénergie cette discipline qui scrute la localisation des gisements, des productions et des échanges énergétiques. Tachons dans les lignes qui suivent de démontrer qu’elle peut aussi servir à faire la paix ; et que cela en serait d’autant plus bénéfique tant pour le climat et l’atmosphère de la planète que pour la coopération entre ses peuples si nécessaire pour éradiquer enfin partout le sous développement et en finir avec l’obscurité qui règne encore par trop sur des pans entiers de la terre. L’union européenne, toujours désunie et bien agressive dans le sillage du cousin nordaméricain, y gagnerait en audience et y trouverait les moyens de son raffermissement.

L’énergie n’est pas une marchandise comme les autres

La concentration de sa production et de sa distribution entre quelques mains implique déjà, tant pour en assurer l’accès à tous que pour garantir une compétition loyale entre les acteurs économiques, que la puissance publique la contrôle, en assure la sécurité et en modère les tarifs. Cela vaut pour les particuliers menacés de précarité ou de pannes ; pour les territoires risquant pénurie et désertification ; pour les entreprises dans lesquelles l’énergie joue un rôle compétitif majeur. L’histoire contemporaine de l’énergie, devenue une source vitale nécessaire à l’industrialisation généralisée et à la consommation de masse, est donc aussi celle des rapports entre puissances publiques et consortium privés.

L’ordre historique du carbone

Constatons que dans le bras de fer entre état et géants des hydrocarbures, notamment les seven sisters déjà ciblées il y a un siècle par les premières lois antitrust, ces derniers ont plutôt fait pencher la balance de leurs côtés avec la vague de privatisations néolibérales qui a déferlé depuis les années 80 et l’arrivée des Thatcher, Reagan et autres Blair. Et ce malgré les cartels énergétiques, notamment l’OPEP, que tentèrent vainement de maintenir les pays producteurs afin d’obtenir un prix plus juste pour leurs ressources naturelles. Pour autant la domination des grandes firmes du fossile ne fut permise que parce qu’elles acceptèrent le maintien d’un prix bas, acceptable par le reste de l’économie, imposé aux pays producteurs (par la force si nécessaire ; voir les conflits ininterrompus au moyen orient) mais néanmoins source de surprofit puisque les compagnies concernées furent numériquement, de moins en moins, à se partager le magot.

Ce grand équilibre dans la géoénergie mondiale repose sur une réalité géostratégique toujours de pleine actualité. Les concurrents potentiels de la puissance dominante, les USA, les anciens, l’Europe, le Japon, le nouveau, la Chine, sont extraordinairement dépendants sur le plan énergétique. Et pour les premiers dépendants aussi de l’éventuel parapluie militaire nord-américain, face à une « menace » russe passée ; mais aussi pour le contrôle des gisements et des canaux d’approvisionnements en énergie. De retour de la conférence de Yalta, le démocrate F.D.Roosevelt conclut, dans le plus grand secret, le pacte du Quincy avec les monarchies pétrolières (auxquelles on avait livré des pays créés de toute pièce) assurant la domination nord-américaine sur les gisements, ce qui avec le recul fut aussi décisif pour l’avenir du vieux continent, que la réunion en Crimée et qui plaça l’Europe, sans qu’elle le sache immédiatement d’ailleurs, sous la coupe énergétique (donc militaire) des USA pour une longue période. De l’avortement de l’expédition de suez en 1956 jusqu’aux guerres kurdes, syriennes et irakiennes actuelles où elle se laissa entrainer, elle en paya le prix fort.

Une nouvelle donne

Avec le déclin de « l’empire nord-américain », ses tentations isolationnistes qui firent la popularité d’un Trump, son autonomie énergétique acquise sous Obama grâce au gaz de schiste, bref avec une guerre commerciale planétaire relancée et des marchés énergétiques bousculées, voir une nouvelle course aux armements et à l’espace, cette donne fondamentale est en train de changer. Cette mutation stratégique qui annonce probablement l’accession de la Chine au rôle de leader mondial, à condition qu’elle arrive à gérer les considérables tensions sociales et environnementales que génère l’industrialisation de tout son immense territoire, donc le basculement de « l’économie monde » vers l’Asie, se double d’une révolution énergétique, sans doute impérative du fait des conséquences de plus en plus dramatiques des pollutions dues au fossile.

La montée des énergies alternatives (celle modeste du nucléaire, plus conséquente celle des renouvelables), les efforts d’économies dans la consommation, une certaine non croissance dans une Europe et un Japon étranglés par l’austérité budgétaire ou le poids de l’endettement, les exigences grandissantes et de plus en plus populaires de lutter contre le réchauffement climatique, tout cela se combine pour rebattre les cartes. On notera que ce passage à une énergie décarbonée réclamera une intervention publique massive avec sans doute un renforcement des pouvoirs supranationaux ; qui se heurteront au retour des nationalismes lassés d’une mondialisation injuste et malheureuse.

La transition en question

Elle repose sur des présupposés idéologiques et économiques qui peuvent cependant être remis en cause par certaines hypothétiques mutations : l’essor de l’industrie de la captation du carbone qui atténuera le réchauffement, la pollution moindre dans l’usage des fossiles, des stagnations économiques donc énergétiques, voire la démobilité ou la décroissance. Certaines régions tentent aussi de s’adapter, fugace stratégie, aux conséquences en dressant des digues contre la montée annoncée des eaux ; ou en climatisant massivement les habitats.

Enfin le passage massif aux énergies renouvelables (qui comportent aussi leur lot de pollution industrielle) et à l’électricité sous-entend que certains goulots d’étranglement soient élargis : amélioration des batteries, accès aux métaux notamment les plus rares concentrés en quelques gisements.

Il reste que la transition énergétique et écologique semble désormais une réalité grandissante et irréversible. L’hydrogène semble le nouvel eldorado, la construction des batteries devient le facteur compétitif clé (même dans l’automobile), B.Gates investit dans le nucléaire qui lui apparait indispensable durant la transition, le Maroc a déboursé neuf milliards d’euros pour la plus grande centrale voltaïque du monde et ses 500 000 miroirs.

Russie et Moyen-Orient face aux nouveaux défis

Deux voisins de l’Europe, toujours fournisseurs de la moitié de son énergie, sont désormais confrontés au redoutable défi d’une sortie du pétrole et du gaz, progressive ou accélérée suivant les catastrophes environnementales à venir dues à l’usage massif du pétrole et du gaz. La Russie déjà acculée par l’OTAN dans ses frontières historiques, avec divers révoltes populaires dans la plupart des anciennes républiques soviétiques. Le moyen orient où quatre puissances locales (la Turquie, Israël, l’Iran, l’Arabie saoudite) ont engagé une escalade tant militaire qu’idéologique pour l’hégémonie régionale. Bref des poudrières avérées. Mais aussi le terreau d’un terrorisme qui a ensanglanté l’Europe. Ou d’une décomposition des états et nations, processus menaçant qui fut pour rappel cause de l’unique conflit connu en Europe depuis 70 ans celui de l’ex Yougoslavie et de ses cent mille victimes. Décomposition à l’œuvre au machrek transformé en un dramatique puzzle d’ethnies et de religions (on aurait parlé de « balkanisation » avant la boucherie du premier conflit mondial).

Tristes réponses européennes

Comment l’Europe, toujours dépendante au demeurant sur les plans tant militaire qu’énergétique, réagit-elle face à ces enjeux ? Et ce à l’heure ou les gouvernements étasuniens poursuivent un politique de tensions tout autant commerciales que militaires et continuent à jouer un rôle déstabilisateur sur le prix des hydrocarbures qui joue un yoyo désordonné ?

Enfermée dans le passé, du fait notamment que la plupart des gouvernements y sont conservateurs quand ils ne sont pas franchement nationalistes, l’Europe a choisi l’alignement sur l’OTAN et donc une pression maximale sur la Russie en attendant de pouvoir en faire autant sur la Chine et ce dans la continuité et l’obstination d’une allégeance sans nuances aux USA qui a pourtant montré d’ores et déjà ses limites et son inefficacité. De longue date et c’est devenu une évidence avec la chute de l’URSS et la fragilisation de l’UE post brexit, l’administration US, encore représentante des principales multinationales mondiales, n’a pas vraiment intérêt à une Europe forte, indépendante, unie. Elle a, d’ailleurs, joué un rôle de boute feux, de l’Irak à la Crimée en passant par le Kossovo, attisant les conflits aux portes du vieux continent. Sa justice qui s’exerce extra territorialement, de fait mondialement et donc arbitrairement, joue un rôle clé pour circonvenir les multinationales européennes ; ses propres firmes sont des prédateurs avérés comme l’acquisition pirate d’Alsthom par General Electric l’a démontré.

Mais Bruxelles et Strasbourg n’en n’ont cure. Et l’alliance atlantique qui n’en n’est plus une, prends des allures de vecteur offensif tous azimuts.

La conquête de l’est

Pendant économique de cette attitude conflictuelle et servile de l’UE, la conquête de l’est qui se poursuit. Elle est servie par un élargissement commercial toujours plus grand de l’UE qui s’étendra bientôt jusqu’au Caucase. Conquête des marchés, des ressources, des mains-d’œuvre avec une tradition ordoliberale allemande bien établie en cette direction.

Et donc sur le plan énergétique le maintien de la Russie et du moyen orient dans un rôle de fournisseur à bas couts du pétrole et du gaz. La floraison d’oléoducs et gazoducs en sont une illustration éclairante et ce quelque soit les bisbilles avec le grand frère nord-américain à propos de Nordstream 2. Ce grand frère étasunien verrait bien l’Europe devenir le déversoir des ses trop pleins de charbon et de gaz d’où son chantage ; et tente volens nolens de freiner l’installation des pipelines venus du centre de l’hearthland. Mais au final impérialisme nord-américain et germanique se disputent sur leur influence respective, pas sur l’objectif, à savoir, maintenir les gisements et les pays producteurs « sous contrôle ».

Illusoire green deal

La démarche proclamée du « green deal » de la commission, qui dans un premier temps affaiblit surtout les moyens de production thermique et nucléaire de l’Europe et ajoute à sa dépendance aux importations, une dépendance à l’intermittence et l’imprévisibilité des sources éoliennes ou solaires, s’avère parfaitement compatible avec le maintien de ce très ancien ordre du monde. L’abandon du nucléaire en Allemagne et en Belgique, la volonté de la commission d’étendre cet abandon à toute l’Europe, se dévoilent ainsi sous un autre jour. D’autant que l’alibi de la lutte contre le réchauffement climatique dont les conséquences ne connaissent pas les frontières, ne tiendra pas longtemps quand l’Europe se révélera toujours aussi forte consommatrice de gaz russe ou quatari présenté comme une commode supplétive durant une transition à la durée indéterminée. Car le gaz s’il est rapidement rentabilisé dans sa production d’énergie, reste néanmoins très polluant. Toutefois, forts de la supercherie, pétroliers et gaziers en mal de reconversion pour rester présentables dans la société post carbone, se frottent déjà les mains.

Il n’y a pas de politique énergétique commune

En découle une autre révélation. Hormis le dogme catastrophique de la concurrence (faussée dès l’origine vu le caractère oligopolistique mais aussi réglementé du secteur) et des privatisations des entreprises énergétiques qui furent surtout un pillage en règle du patrimoine public, il n’y a pas de politique énergétique commune. L’Allemagne mise à grand frais sur les renouvelables tout en gardant grands ouverts ses robinets gaziers de l’est ; l’Europe centrale abandonne la charbon mais sans se presser tout en envisageant l’option nucléaire voir les entrées nord-américaines ; celle du sud joue à fond la concurrence mondiale et parfois se fait racheter par les chinois ; tandis que la Grande-Bretagne (qui pourrait se voir privée du pétrole écossais) garde toutes les options y compris nucléaires ; quand à la France elle hésite entre ses amitiés moyennes orientales (grandes acheteurs d’armes françaises) , la relance de son nucléaire et l’essor dans les renouvelables. Certes l’interconnexion avance, évite de justesse des grands blackouts en Europe centrale ; mais nous sommes loin d’une politique cohérente et commune.

Contradictions visibles

On notera l’hypocrisie de politique interdisant ou freinant le nucléaire alors que tout autour de l’Europe et en Europe elle-même, la construction des centrales se poursuit. Sans doute en cas d’incident sérieux nous fera-t-on le coup du nuage radioactif qui s’arrête à la frontière ?

Les insuffisances de réseaux bien peu européens, sont notoires, et perdurent ; s’aggraveront avec la généralisation des intermittentes. Combien de temps l’usager, privé soudain de l’alimentation de ses précieux instruments numériques portant la révolution du même nom, croira que de simples et défectueux disjoncteurs croates peuvent plonger d’un coup le continent dans le noir comme cela failli arrivé le 8 janvier dernier ?

Une Europe de l’énergie transitée nécessite 1 000 milliards
d’euros d’investissements ! A tire comparatif le budget communautaire annuel consacré à bien d’autres politiques ne représente que 10% de cette somme. Le plan de relance laborieusement adopté pour tenter de contrer la crise précipitée par la pandémie atteint péniblement les 750 milliards. Les chiffres parlent d’eux mêmes et indique la hauteur de l’obstacle. Les Etats-Unis déclinant, l’union des républiques soviétiques disparue, l’union européenne post Brexit fragilisée, les continents politiques par trop exclusivement conçus comme de simples grands marchés, vacillent.

Dépendances à tous les étages

Les divergences européennes quand à son énergie apparaissent bien dérisoires. Mais elles ne sont pas fortuites. Après tout elles arrangent les privatiseurs et les fond vautours, les pétroliers en embuscade, l’affaiblissement généralisé des potentiels européens incohérents et dispersés, facilitera les OPA futures. Et des tarifs souvent spéculatifs, donc profitables. Le financement de la nécessaire transition écologique, vendue à des consommateurs captifs mais désormais écologistes, servant d’utile prétexte.

Cette discordance place enfin et ainsi, l’Europe dans une dépendance énergétique donc politique et économique avérée. Le plus grand marché du monde (en attendant le réveil complet de la Chine et de l’Inde) reste un colosse aux pieds d’argile, un nain politique, un accro aux hydrocarbures malgré sa nouvelle couleur verte.

EDF et Engie asservies à cette politique

On le constate l’actuel démantèlement d’EDF et d’Engie réponds à ces choix fondamentaux rétrogrades. Désormais le découpage d’EDF, ridiculement dénommé Hercule se justifie, non plus pour accomplir des missions de service public, assurer l’indépendance de la nation, contribuer à la mobilisation planétaire contre le réchauffement climatique, mais plus prosaïquement pour qu’Electricité (qui ne sera plus vraiment de France) puisse être aussi concurrentielle que les multinationales italiennes ou espagnoles. Bref la guerre commerciale s’avère bien le ressort des restructurations envisagées. Le virage à 190 degré de la stratégie d’Engie (ex GDF) se traduit immédiatement par un conflit financier couteux entre les prédateurs de l’eau, autre bien commun indispensable aux population et collectivités ainsi livrée au privé. Et l’accélération de son désengagement atomique en Belgique qui s’en trouvera fragilisée dans son autonomie. Les suppressions d’emplois déjà importantes, les filialisations diverses, les pratiques commerciales douteuses, tout va suivre. Des milliards d’euros sont stérilisés dans les opérations boursières et financières plutôt que de moderniser centrales et réseaux. Tout est dit.
Est-ce ainsi que l’Union Européenne, à peine capable de solidarité dans l’accès aux vaccins ou la défense de ses entreprises, escompte rebondir ? Nationalisme étroit, concurrence stupide, bref l’ancien monde en pire ?

Energéticiens de tous les pays, unissez vous !

Il ne s’agit pas ici de substituer un nationalisme européen d’un autre âge et chimérique à l’actuelle hypocrisie bruxelloise, à savoir a la poursuite archaïque de démarche impérialiste et néocolonialiste condamnant l’est et le sud à rester de simples réservoirs de ressources à bon compte.
Mais plutôt se demander s’il n’est pas de la sécurité à venir des européens de favoriser chez leurs partenaires, en Russie comme en Moyen-Orient et évidemment en Afrique, des transitions énergétiques et économiques maitrisées par les intéressés, favorisant notamment les indispensables transitions énergétiques, tout particulièrement une sortie progressive des hydrocarbures.
Un bon exemple d’une telle démarche en est la co construction avec les entreprises chinoises par EDF, des EPR qui fonctionnent déjà depuis trois ans avec succès. Mais pour envisager un tel scénario nettement plus pacifique que les tensions énergétiques actuelles qui déboucheront forcement sur des tensions armées, un scenario à contrario fondé sur une mise en commun des compétences et une coopération mutuellement avantageuse, faut-il encore avoir à sa disposition une industrie et des services capables de les fournir.
Rien à voir avec le morcellement d’EDF et d’Engie envisagés et mis en œuvre pour l’instant qui va au contraire faciliter les pillages de savoirs-faires.
Et d’investir à fond dans la recherche sans craindre les transferts de technologies vers les partenaires, car, affirmons le encore, l’approvisionnement énergétique et sa consommation sont des affaires mondiales et leurs conséquences sociales (migrations) et environnementales (pollutions) se jouent des frontières. L’Union européenne peut se ressaisir et éloigner ainsi le spectre de nouveaux conflits d’ampleur si elle sait contribuer décisivement à la révolution énergétique mondiale, favoriser les pouvoirs et coopérations internationales.

En revenir au contrôle public

Il s’agit d’enjeux du même ordre que ceux de la révolution numérique domaine énergivore et ou le défi est double : être plus efficient et renouvelable mais aussi dompter le GAFAM et autres BATX qui oligopolisent ce nouveau pétrole du XXIe siècle. Avec une différence importante. Les seven sisters ne sont plus ce qu’elles étaient. Les grands du pétrole avec la fin envisageable de l’économie carbone se rapetissent, sont financièrement de plus en plus distanciés des digitaux qui portent l’étendard de la lutte contre le réchauffement et promeuvent les renouvelables, l’énergie phare de cette troisième révolution industrielle qu’est le numérique. Les états ont aussi une longue histoire de contrôles et d’appropriations publiques des producteurs d’énergie. Il y a encore quelques décennies les grandes entreprises pétrolières, gazières, électriques étaient le plus souvent nationalisées (c’était le cas en France), au service des nations et populations, porteuses de relations internationales coopératives. Le pas à franchir pour en revenir à ce contrôle public ne devrait pas être aussi important que cela. Après tout les états qui ferment les centrales, notamment thermiques mais aussi nucléaires, mettent la main à la poche, indemnisent les actionnaires pourtant déjà gavés ; et cela justifie en soi que la collectivité prenne les choses en main.

Penser les choses d’une façon coopérative permet enfin de les appréhender aussi à l’échelle continentale : or en matière d’énergie, si les petites unités de production très décentralisées ont un coté pédagogique bienvenu, permettent aux activités locales de croire à leur autonomie, les grands sites de production et les réseaux étendus (notamment électriques) ont des avantages économiques indiscutables. Le dernier réacteur européen a été conçu à l’échelle de l’Union ; ce qui le rend d’ailleurs attractif en Chine et en Inde où les besoins et demandes sont immenses.
Ils fondent aussi une forte interrelation entre acteurs, fondement indispensable de l’égalité de traitement et d’un mutualisme énergétique qui encouragent la coopération plutôt que la compétition. Ce qu’il y a de bien avec les interconnexions électriques c’est qu’elles solidarisent leurs usagers. Avec le courant passe aussi un peu de paix et de bien commun.

Fiasco finnois

Mais en sus de la sécurité militaire et énergétique, de relations plus pacifiques avec ses voisins, l’Europe doit de toute façon faire face à un autre péril immédiat.
A bien des égards le désastre industriel commercial et politique d’Olkiluoto nous met en garde. La Finlande n’est pourtant pas un pays en voie de développement, ni un régime autoritaire. Mais la construction d’un EPR par Siemens puis AREVA, sur fond de concurrence avec EDF imposée par les plus hauts sommets de l’état, a abouti à un chantier difficilement maitrisé faute des compétences requises, qui a prit dix ans de retard, multiplié son cout par trois et se solde par une facture de 1,2 milliards d’euros au titre de pénalités de retard pour l’état français. Et l’éclatement des entreprises initialement pilotes du projet, notamment franco-allemandes, quand elles ne sont pas de facto « renationalisées ». Les leçons à tirer d’un tel fiasco sont claires : la Finlande (et au delà l’Europe) souhaitait affermir son indépendance énergétique vis-à-vis du voisin slave. Louable intention qui aurait pu aussi se traduire par une coopération renouvelée avec ROSATOM en proximité. Un autre choix l’emporta. Dans le même état d’esprit conflictuel et compétiteur, le leader EDF (entreprise détenue par l’état français) ne fut pas retenu et SIEMENS, flanquée d’AREVA (entreprise aussi détenue par l’état français !), l’emporta. La concurrence toujours. Au final l’état français essuie les pertes. Siemens s’est séparée d’AREVA, devenue ORANO, dont la trésorerie est lourdement plombée par la catastrophe économique finlandaise. On notera, ironique, que désormais le gouvernement finlandais envisage la construction de nouvelles centrales en ayant recours à…ROSATOM devenue le partenaire de Siemens. Ce dernier ayant joué un rôle déstabilisateur dans la vente d’Alstom qui construit des turbines pour les centrales, vente qui s’est, au final, traduite par la cession à bas cout au nord-américain General Electric (sur fond de corruption des dirigeants et de procès illégaux de la justice US), GE qui s’est empressée d’en piller la technologie et d’en abandonner les sites français.

Affaires de sureté

L’affaire ne relève pas seulement de la gabegie économique et financière, de l’incapacité des gouvernements et groupes européens d’agir de concert. La longueur du chantier, la perte de savoirs-faires qu’elle révèle, démontrent aussi que la filière européenne dans la construction des centrales a perdu ses savoirs-faires. Elle jette la suspicion sur une industrie qui a fait sa réputation sur sa haute culture de sureté ; et qui a du faire face à l’élévation avec succés des réglementations suite à l’incident de la centrale de Fukushima consécutif à un tsunami qui a fait 18 000 victimes.
Précisément on met ainsi le doigt sur un impensé gigantesque des politiques énergétiques des pays de l’union qui fait pourtant l’objet de toute leur attention à propos de l’Iran. Le nucléaire exige une très forte culture et maitrise des politiques de sécurité industrielle et militaire. A défaut les nuages radioactifs n’auront cure des distances ; et la dissémination atomique, difficilement contenue, deviendra un lieu commun, y compris aux marches de l’Europe. Pour mémoire des dizaines de centrales nucléaire fonctionnent dans l’est de l’Europe (qui envisage de les développer comme en Pologne) et plusieurs pays du Maghreb/Machrek les inaugurent ou envisagent leur construction (Turquie, Arabie saoudite, Emirats, Maroc) avec des partenaires russes, chinois ou coréens. On se souviendra de la citation d’un éminent syndicaliste d’EDF qui considérait que Tchernobyl avait été le produit du « soviétisme » et Fukushima celui de « néolibéralisme », concluant et plaidant par là, pour une maitrise publique démocratique des industries dangereuses, seule véritable garantie publique de la sureté et sécurité des populations et environnements. Aussi de deux choses l’une : soit l’état français, ses entreprises énergétiques et ses ingénieurs à la haute qualification, joueront un rôle clé dans ce développement du nucléaire à nos portes, souvent dans des pays où la démocratie parlementaire n’est qu’un concept théorique ; soit d’autres continueront à s’en occuper pour leur plus grand profit et les plus grands dangers. Mais avec quelles conséquences pour la sureté des installations (dans la production elle même mais aussi vis-à-vis des agressions externe), l’égalité dans l’accès ?

Le raisonnement vaut pour l’Angleterre. Les apprentis géographes, quelque soient leurs attitudes vis-à-vis du nucléaire britannique, auront noté qu’Hinkley Point est à 450 kilomètres de Paris. Du coup c’est une certaine réassurance de savoir qu’EDF, entreprise publique d’état, extrêmement encadrée et contrôlée, y construit les réacteurs. Au pays du libéralisme, du Brexit et de la dame de fer contre les syndicats en particulier, on n’est jamais trop prudent. A condition évidemment qu’on cesse immédiatement la privatisation rampante et déguisée d’EDF qui masque difficilement son dépeçage et son affaiblissement technologique. Sauf à penser que la France, certes « cinquième puissance » économique planétaire, mais désormais largement distancée voire ignorée par les véritables grands, puisse à elle seule, même flanquée d’une union européenne qui n’en prends pas, pourtant, le chemin, imposer à ses voisins leur politique énergétique, il lui faudra donc envisager d’orienter et de sécuriser par la coopération et la mutualisation. Sans un mix énergétique, où renouvelables et nucléaire feront bon ménage (en France et dans l’union) et seront entretenus et développés, notre pays sera la aussi déqualifié donc distancé ; et toujours plus dépendant mais aussi insécurisé. La leçon finlandaise devrait donc urgemment servir déjà à relancer les coopérations avec les pays turc et arabes, avec les européens de l’est.

Affaire de sécurité

Ultime argument : le nucléaire civil, complément nécessaire pour plusieurs décennies de l’essor des renouvelables qui sont eux aussi insérés dans des chaines mondiales de production, porte en lui une logique d’intervention publique avec une part indispensable de contrôle publique, local, régional, national, international. L’AIEA, sous l’égide de l’ONU (dont on peut mesurer les potentialités pour la pacification des dossiers chauds en matière de nucléaire militaire) n’a pas encore réussi à imposer sa compétence dans la sureté des installations qui reste largement du domaine des états, mais la voie est ouverte. La France avec ses exceptionnels outils en ce domaine (ASN, IRSN, ANCCLI, HCTISN) pourrait être d’une utile contribution à ce qu’un pouvoir et une justice internationaux se mettent en place pour garantir dans le monde entier un usage sur et sécurisé du nucléaire. Avant que la prolifération des réacteurs n’entrainent celle des ogives ; ou que l’illibéralisme qui caractérise par trop les régimes des installateurs actuels n’entrainent des accidents majeurs. Rappelons-nous que d’ores et déjà que nombre de régimes autoritaires et les grandes compagnies commerciales n’ont eu que faire des dégâts sur l’environnement et sur les populations de leur politique énergétique ; plus d’un incendie, d’une explosion, d’un effondrement, d’un gazoduc ou oléoduc percé, d’un tanker éventré en sont les dramatiques exemples. A bien des égards une politique énergétique mutualisant les savoirs faires, coopérative et donc usant d’une façon efficiente des diverses énergies à notre disposition commune, nécessitant donc une forte intervention publique nationale et mondiale et la valorisation des compétences des salariés la mettant en œuvre ainsi qu’une valorisation démocratique de ses usagers, serait un précieux facteur de paix. Avec la lutte planétaire contre les pollutions, le réchauffement du climat, le développement et l’électrification des régions encore pauvres, cette mission salvatrice ferait aussi la grandeur de la France et tout autant de l’Union Européenne.


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