C’est un sujet qui fait rarement la une de l’actualité. Et pourtant, la sauvegarde de la langue française est un enjeu sous-jacent à de nombreux aspects de la vie publique et quotidienne. C’est ce qu’a su montrer avec pédagogie l’universitaire et traducteur littéraire Philippe Loubière, invité mercredi dernier à la Fondation Gabriel-Péri, pour une rencontre organisée en partenariat avec l’équipe du site La Faute à Diderot. Rédacteur en chef de Lettre(s), la revue de l’Association pour la sauvegarde et l’expansion de la langue française (Asselaf) [1], Philippe Loubière s’inscrit dans une démarche citoyenne. La « prétention universaliste » du français, qu’il revendique, n’a rien à voir avec une quelconque velléité de s’imposer à des individus ou des peuples. Elle consiste en une « volonté de tout dire », ainsi qu’en la mise en partage d’un rapport particulier à l’État nation et à la souveraineté populaire, mis à mal par la mondialisation actuelle. En octobre 2007, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la France a ratifié le protocole de Londres, qui autorise les entreprises à déposer leurs brevets industriels en anglais sur le territoire de l’Union européenne. « Cela place les PME françaises en situation de devoir choisir entre traduire à leurs frais ou prendre le risque de se faire doubler par la concurrence », a souligné, en substance, le conférencier. On voit ainsi comment l’abandon du français pour l’anglais renforce l’intégration à un système qui ne connaît l’innovation qu’autant qu’elle s’avère rentable à court terme, et qui appauvrit fortement, au passage, ce que d’aucuns nomment encore « la langue de Shakespeare ».
Le rapport entre langage et pensée a d’ailleurs inspiré une bonne part du débat, animé par Guy Carassus, membre du conseil scientifique de la Fondation Gabriel-Péri. Le « tout-anglais » peut aussi être incriminé dans certains drames. Philippe Loubière a notamment rappelé l’affaire des patients surirradiés, en 2007, à l’hôpital d’Épinal, où des préparateurs avaient mal réglé un nouvel appareil de radiothérapie, livré avec une notice exclusivement rédigée en anglais, sans conversion des unités de mesure… Pointant, entre autres, la situation à France Télécom, il a par ailleurs montré combien la tendance à imposer l’anglais aux salariés français, en premier lieu les cadres, participe d’une déshumanisation croissante des rapports dans les entreprises. C’est en tout cas une façon de soustraire celles-ci au débat public, en attaquant ce qui constitue le lien social le plus immédiat dans la République française : le partage d’une langue nationale. Ce riche débat a été intégralement filmé par la Fondation Gabriel-Péri, qui le mettra prochainement en ligne. Nous incitons chacune et chacun à le visionner.
Article publié dans L’Humanité du 15 décembre 2009
Nous vous rappelons également les différents articles sur ce sujet parus sur notre site (à la rubrique Société) : un entretien avec Philippe Loubière ’et les articles de Denis Griesmar (Savoir de quoi l’on parle : qu’est-ce qu’une langue) et de Georges Gastaud (Tenir sa langue pour ne pas être réduit au silence).