Comment les communistes doivent-ils aborder le débat sur l’identité de la nation ?
Dans le cadre de l’actuel débat sur l’identité nationale, je pose trois questions : 1) Quels sont les concepts permettant de comprendre ce débat ? 2) Pour quelles raisons a-t-il été lancé ? 3) Comment y prendre part en tant que communiste ?
L’identité nationale est un fait social. Sa précision est donc réduite. Mais elle existe et on peut la définir. Laissons de côté le bla-bla marxiste consistant à dire que la nation est un fait historique, contradictoire et socialement construit. Même s’il est vrai, il contient des platitudes. Les points importants sont les suivants.
1) La nation est une forme sociopolitique. Ce n’est pas uniquement un territoire. Celui-ci peut changer et la forme demeurer. On peut envisager, par exemple et, dans ce cas, il faut se battre pour, qu’existe une nation européenne. Cette forme a pour fonction de mettre en rapport, dans une organisation sociale donnée et par l’intermédiaire d’un État, une population (donc des classes sociales) et un territoire. Au fil des ans, elle est devenue une façon civilisée de mener le combat de classes.
2) Comment définir l’identité nationale ? À mon avis, ce terme peut être précisé à l’aide des deux éléments suivants : a) une réalité matérielle, de type macro-social, désignant, notamment, un territoire, une économie, des ressources, une démographie, une organisation et des classes sociales ; b) une réalité idéelle, également macro-sociale, mais faisant référence à une culture et à des systèmes de valeurs. C’est ce que l’on peut appeler l’affectif national (Quynh Delaunay, l’Humanité du 5 décembre 2009). L’identité nationale peut alors être exprimée comme la combinaison dialectique de la matérialité nationale et de l’affectif national.
3) Cet ensemble est déterminé socialement tout en étant vécu au plan individuel, le pôle de l’affectif national étant prioritaire à ce niveau. Il permet de définir, avec des approximations inévitables, un principe d’identité (les nationaux) et un principe d’identification (l’affectif national).
La deuxième question concerne les raisons de ce débat. Autour des années 1970, la classe capitaliste a momentanément résolu la crise affectant la rentabilité en instaurant un état généralisé de rigueur salariale et de déréglementation des économies. En voici les effets.
1) La base matérielle des nations (leurs politiques économiques, leurs socles sociaux…) a été ébranlée et cassée. Au fil des ans, les capitalistes détruisent l’État social au nom de l’ouverture mondiale nécessaire. Ils sont antinationaux, sans contribuer à construire une nation européenne. Ils construisent une Europe capitaliste mondialisée.
2) Mais, au moins de façon transitoire, cette classe a besoin du relais politique national classique pour maintenir son pouvoir sur les populations et donner une base à la défense des intérêts du capital. La mise en œuvre de sa stratégie de mondialisation, désormais claire et précise, détruit les nations pauvres. Mais, cette fois, la base idéelle de la nation (l’affectif national) est touchée. 1) Les populations, déracinées par la misère, cherchent à survivre dans les nations plus riches. Quand elles y parviennent, elles véhiculent avec elles un affectif différent de l’affectif national du lieu où elles échouent. 2) Dans ces mêmes pays, les populations que la mondialisation capitaliste assassine se demandent où elles pourraient bien s’abriter. Explicitement et profondément touchées dans leur affectif national, elles tournent leur colère (à tort, c’est incontestable, mais c’est ainsi) contre des populations dont le système de valeurs diffère du leur. 3) La classe capitaliste mondialisée, qui porte la responsabilité totale de cette dégradation, utilise alors comme arme politique les effets de ses propres turpitudes. Elle concentre le feu politique sur l’immigration, la déclarant, dans des termes choisis cela va de soi, « ennemie de l’identité nationale ».
Comment intervenir dans ce débat en tant que communiste ?
1) En réaffirmant la primauté du combat national. Oui, les communistes se battent dans un cadre qu’ils ont contribué à défendre et à aménager aussi pour les classes populaires. Ce cadre est toujours opérationnel.
2) En montrant simultanément que la classe sociale antinationale est la classe capitaliste mondialisée. Cette classe ne s’attaque pas uniquement et fondamentalement à un territoire, mais à une forme. Au cœur de cette forme se trouvent l’État social et la République.
3) En étant carré sur les exigences de l’affectif national. Que de temps perdu et que de dégâts politiques par suite de nos gémissements relatifs à la multiculturalité, le plus dramatique étant que les populations supposées perturber notre affectif national sont les premières à subir l’effet boomerang de nos atermoiements.
4) Je suggère que les communistes étudient ce qu’est une nation. Cela n’a rien à voir avec les inepties énoncées ici et là sur la puissance et le repli. Les nations sont, par définition, indépendantes, mais, par définition aussi, elles existent à plusieurs. Elles ne sont donc pas isolées et peuvent se faire la guerre comme être solidaires.
5) Les communistes doivent, selon moi, critiquer clairement l’idéologie mondialiste et réaffirmer les valeurs de l’internationalisme. La lutte politique se mène chaque jour, dès aujourd’hui, et aujourd’hui encore dans un cadre national.
Article publiée dans L’Humanité du 6 janvier 2010