Aujourd'hui, nous sommes le :
Page d'accueil » Faits et arguments » Politique culturelle, langue(s) » La place de la langue française au travail et dans la (...)
Version imprimable de cet article Version imprimable
La place de la langue française au travail et dans la cité
Entretien avec Philippe Loubière

L’Association pour la sauvegarde et l’expansion de la langue française (Asselaf) se donne pour objectif d’agir contre le désintérêt de la communauté francophone pour sa langue et la sous-information des Français. Loin du cliché d’une organisation élitiste et poussiéreuse, la raison d’être de l’Asselaf se justifie chaque jour. Philippe Loubière, le rédacteur en chef de Lettre(s), revue de l’association, met en évidence les dérives linguistiques qu’organise ou laisse faire une classe politique complaisante et dont l’opinion publique ne mesure pas toutes les conséquences. Parce que la défense de la langue française concerne tout le monde. Marie-Line Vitu.

Pourquoi avoir créé l’Asselaf ?
Tout a commencé avec la réforme de l’orthographe proposée par quelques technocrates de l’Éducation nationale qui voulaient à tout prix faire croire qu’une réforme administrative de l’orthographe pourrait résoudre les contradictions du lexique français. C’est en réaction que l’ Association pour la sauvegarde et l’expansion de la langue française a été fondée, à la fin de l’année 1990. Notre opposition reflétait l’état d’esprit d’un grand nombre de professionnels de l’écrit : la presse, des éditeurs, des professeurs de français, également des orthophonistes qui mesurent parfaitement le lien qui existe entre la dyslexie des enfants et les mauvaises méthodes d’enseignement de la lecture. Nous avons obtenu que cette réforme ne soit pas appliquée. Du moins jusqu’à l’année dernière. Mais la situation s’est aggravée depuis l’arrivée de monsieur Sarkozy à la tête de l’État. La défense de la langue française ne se réduit pas à parler et écrire correctement.

Quels sont aujourd’hui vos sujets de préoccupation ?
La place de la langue française dans la cité. Je parle d’une cité francophone qui ne se limite pas à la France. Notre objectif ne vise pas la normalisation systématique ! Bien que nous souhaitions que l’on utilise le français de la façon la plus correcte possible, nous ne sommes ni les gardiens du temple ni les gendarmes de la langue française. C’est le rôle de l’Académie française, dont personne, d’ailleurs, ne suit les recommandations. Si nous regrettons ce laxisme, nous luttons avant tout contre le désintérêt de la cité pour sa langue. Notre ambition vise à alerter l’opinion et lui faire prendre conscience du danger. Aujourd’hui, il y a un réel désir de substituer à la langue de tous, la langue nationale, une autre langue qui est celle d’intérêts économiques impériaux qui ne sont pas ceux du peuple français, quelles que soient ses préférences politiques. Tout est fait pour que le français prenne le chemin de n’être plus qu’une langue domestique, pendant que l’anglais devient la langue de l’information et de la décision. Nous informons donc sur l’actualité, sur les aspects publics et législatifs des trahisons de l’État et des politiques contre la langue française, que la presse se garde bien d’évoquer. Par exemple, le protocole de Londres. Pendant dix ans, avec l’ensemble des associations de la défense de la langue française, nous avons réussi à empêcher l’adoption de ce projet. Mais sous la présidence de monsieur Sarkozy, le protocole de Londres a été ratifié en octobre 2007, y compris par les députés socialistes qui, du reste, ne s’opposent pas à un certain nombre de sujets dommageables pour la langue et la culture française.

En quoi le protocole de Londres menace-t-il la langue française ?
Il est contraire à l’article 2 de la Constitution de la Ve République qui stipule : « la langue de la République est le français ». Il a donc des conséquences sur le droit public et privé ! Il s’agit d’un protocole relevant de l’Office européen des brevets signé par Lionel Jospin, alors Premier ministre, qui autorise les entreprises à déposer des brevets industriels en anglais sur le territoire de l’Union européenne. Une entreprise américaine, (japonaise, ou coréenne, voire française !) qui dépose un brevet en France est désormais dispensée de le faire en français. Elle le fait donc en anglais, reportant le coût de la traduction sur le contribuable français en cas de litige devant les tribunaux et sur les PME françaises qui ont le choix entre une traduction à leurs frais (pour savoir ce que dépose la concurrence) ou ne pas traduire et risquer de se faire dépasser. Pour qu’une langue reste à la pointe de l’excellence, elle a besoin d’une base terminologique pour nommer les nouveautés. Il est donc nécessaire, pour la France, qui a une tradition scientifique et technologique, de pouvoir nommer ces nouvelles technologies. En outre, il n’y a aucune réciprocité avec les États-Unis ou le Japon : nos entreprises doivent toujours déposer en anglais dans ces pays. Le MEDEF, de son côté, a soutenu le protocole de Londres. Car, contrairement à ce qu’il affirme, il ne défend pas les PME françaises mais reste le défenseur des intérêts des groupes mondialisés dont le siège est en France. Il va de soi qu’à la direction de ces groupes industriels, l’anglais conserve son hégémonie. Précisons que la dramatique situation des salariés d’un grand groupe comme France Télécom est accentuée par le fait que de nombreux cadres sont amenés à travailler de plus en plus sur des documents en anglais technique. Ce sont ces cadres-là qui ont craqué ! Didier Lombard, PDG de FT est connu pour son américanolâtrie : tous les produits commerciaux de FT sont en anglais jusqu’à la nausée. En outre, Didier Lombard est à l’origine d’un premier rapport, il y a une dizaine d’années, recommandant l’adoption du protocole de Londres. Tout se tient !

Avez-vous constaté d’autres dérives linguistiques qui ont une implication sur la vie de nos concitoyens ?
Vérifiez vos produits de toilette sur lesquels la composition est inscrite en anglais. C’est pourtant contraire à la loi Toubon (4 août 1994) qui stipule l’obligation du français (ou a minima une traduction) sur les produits ménagers, - tout simplement l’information du consommateur -, ou lors des colloques scientifiques réunis sur le territoire français. Rappelez-vous les centaines de malades sur-irradiés à l’hôpital d’Épinal en 2007. Les préparateurs ont été mis en cause, accusés d’avoir mal réglé l’appareil de radiothérapie. Or, on a oublié de préciser que les notices des appareils étaient intégralement rédigées en anglais, avec des unités de mesure anglaise sans qu’elles aient été converties en système métrique. En mettant un mode d’emploi technique en anglais à la disposition des préparateurs, on a créé les conditions pour qu’une erreur arrive. L’obligation de traduire en français des notices techniques, dans un hôpital public, n’a pas été tenue.
On est très éloigné, là, de la querelle de l’orthographe. Comme quoi parler de la langue française dans la cité nous amène quelquefois très loin…

Philippe Loubière est traducteur littéraire et universitaire.

Lettre(s), revue de l’Asselaf, aborde des sujets d’actualité, traite aussi de la philologie (histoire de la langue) et présente la relation d’un écrivain à la langue française. Site de l’Association pour la sauvegarde et l’expansion de la langue française : www.asselaf.fr

Entretien réalisé par Marie-Line Vitu.


Rechercher

Fil RSS

Pour suivre la vie de ce site, syndiquez ce flux RSS 2.0 (lisible dans n'importe quel lecteur de news au format XML/RSS).

S'inscrire à ce fil S'inscrire à ce fil