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La terre n’est pas un produit industriel
Entretien avec l’agronome Lydia Bourguignon

Agronomes spécialisés dans l’analyse microbiologique des sols, Claude et Lydia Bourguignon ont quitté l’INRA pour fonder leur propre laboratoire, le LAMS. Aujourd’hui, ils parcourent le monde pour conseiller les exploitants agricoles et les viticulteurs. A l’occasion de la réédition de leur ouvrage Le sol, la terre et les champs, Lydia Bourguignon explique leur philosophie et leur vision de l’agriculture actuelle.

Dans votre livre, vous souhaitez l’abandon du labour. Pourquoi ?

Le labour dégrade le sol en tuant la matière organique et en exposant la terre à l’érosion. A la place, nous proposons la culture de plantes intercalaires qui gardent l’humidité et protègent la terre du soleil. Cela permet de garder la vie dans le sol. Il suffit ensuite d’écraser ces plantes et de faire un semi direct sous couvert [technique où les semences sont plantées directement dans la terre non labourée, ndlr]. Le sol est moins détruit, et les niches de microorganismes se reforment. On limite également le passage des machines, donc on réduit l’utilisation de fioul et les coûts. De la même façon, on pourrait sélectionner des plantes qui régénèrent les sols pour faire des biocarburants, au lieu d’utiliser pour cela des cultures comestibles.

De même, vous rejeter la mise en jachère des terres…

La jachère telle qu’elle est conçue, c’est-à-dire non productive, ne convient pas à l’agriculture actuelle. C’est une grave erreur car cela revient à abandonner la terre du jour au lendemain. Quand la terre est trop labourée, puis mise en jachère, elle ne sait pas se régénérer toute seule. De plus, on n’a pas le droit de mettre des sols en jachère alors que le prix des céréales flambe. Plus les stocks sont réduits, plus on peut régler le prix à sa guise, donc la jachère a aussi un rôle politique.

C’est donc une agriculture biologique que vous recommandez ?

Le semis direct sous couvert n’est pas une technique qui supprime tout traitement chimique, mais elle permet de ne pas toucher à la terre. Son seul bémol, qui nous vaut d’ailleurs des critiques, c’est l’utilisation, dans certains pays où il est pratiqué sur de grandes surfaces, de Roundup pour détruire les plantes intercalaires. On peut cependant l’éviter en utilisant des rouleaux pour les écraser. Nous prônons au maximum l’agriculture biologique car elle limite l’utilisation de produits de synthèse. Mais il s’agit aussi de reprendre contact avec le sol, en rétablissant notamment les rotations de culture. Jadis, on avait une connaissance de la terre. Aujourd’hui, en enchainant les cultures de blé ou de maïs dans un même champ, on use la terre.

Pour épargner les sols, il faudrait donc passer rapidement au biologique…

Si on interdit les traitements du jour au lendemain, ce sera une catastrophe car la terre ne peut plus le supporter. Mais il faut prendre l’initiative d’interdire les produits phytosanitaires progressivement. Il serait déjà possible de réduire de moitié les quantités utilisées, si les multinationales acceptaient de coopérer. Sur les contenants de produits phytosanitaires, il est précisé une dose universelle, valable pour toute culture. C’est absurde, car la dose à utiliser varie selon la nature du sol, le lieu, l’eau, etc. C’est toute une éducation à changer. La réalité, c’est qu’on ne pourra pas amener tout le monde à l’agriculture biologique car elle nécessite beaucoup plus de personnel.

Peut-on abandonner aussi facilement l’agriculture intensive ?

La culture intensive est beaucoup plus facile, mais je ne pense pas qu’elle soit plus rentable. En France, les rendements se stabilisent, alors que de nouvelles variétés prétendues plus rentables apparaissent régulièrement sur le marché. De plus, les méthodes de l’agriculture biologique sont applicables à grande échelle. Nous avons, par exemple, rencontré un céréalier qui pratique la biodynamie, et qui possède environ 330 hectares de champs. Mais il faut une réelle et sincère prise de conscience, car c’est beaucoup plus compliqué. Selon nous, la vision de l’agriculture ne changera qu’avec une action politique.

Vous avez eu du mal à faire passer ces messages. Comment vous l’expliquez-vous ?

Nous avons rencontré des exploitants qui voulaient obtenir 60 tonnes de pommes toutes calibrées. C’est aberrant ! L’homme demande à la nature de s’adapter à ses désirs. La terre a été considérée comme un produit industriel, et les agriculteurs sont des “exploitants” agricoles. Ils ne réfléchissent pas aux enjeux, et choisissent leurs cultures en fonction des subventions de la PAC. La fabrication d’agrocarburants est inadmissible, et pourtant subventionnée. C’est ce que Claude appelle « l’agriculture stalinienne » : les subventions endorment les agriculteurs. Il est, en revanche, important de beaucoup plus aider les agriculteurs biologiques, au lieu de parler de “taxes”. Cela changerait les mentalités.

Comment alors remotiver les agriculteurs ?

Un bon exemple est celui des viticulteurs, qui ne sont plus subventionnés. Ceux qui s’en sortent le mieux sont ceux qui vendent leurs bouteilles et non leur raisin. Ils se retrouvent face au consommateur : si leur vin n’est pas bon, il ne se vend pas. Les vignerons acceptent mieux d’appliquer des méthodes nouvelles, car ils cherchent à faire le meilleur vin possible. L’impact de la qualité du produit fini est plus direct pour eux que pour les agriculteurs. Les produits agricoles manquent de reconnaissance, et personne ne s’y retrouve, ni l’agriculteur, ni le consommateur. Limiter les intermédiaires et réduire les marges des multinationales et des grands distributeurs permettraient de revaloriser les produits de l’agriculture.

Que répondriez-vous aux détracteurs de l’agriculture biologique ?

Nous leur demanderions d’abord s’ils savent exactement ce qu’est le bio. Ils prétendent qu’on ne pourra pas nourrir l’humanité avec le bio. Le président de la FAO (Food and Agriculture Organization des Nations Unies) a pourtant dit le contraire. Les détracteurs du bio n’ont peut-être pas rencontré assez d’agriculteurs ayant des problèmes de santé, et ils ne doivent pas avoir connaissance de la nocivité des produits utilisés dans l’agriculture. Il est urgent de parler de l’état des sols. C’est une entité vivante qui mettra du temps à se dépolluer.

Entretien réalisé par Rouba Naaman. Mis en ligne le : 02/07/2008 sur le site http://www.novethic.fr


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