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Langage, matérialisme et religion
par Bernard Giusti

Le texte qui suit s’adressant à un large public, les concepts abordés ont été volontairement simplifiés. Il est surtout destiné à amener le plus grand nombre à s’interroger sur les idéologies aujourd’hui à l’œuvre dans nos sociétés. Si donc il suscite plus de questions que de réponses, il aura atteint son but. Il constitue la présentation d’un ouvrage qui sera prochainement publié.

L’une des questions de base de l’anthropologie porte sur la définition de « société humaine ». En effet, qu’est-ce qui différencie une société animale d’une société humaine, le primate de l’homme ? Et au-delà de cette question, qu’est-ce qu’un être humain ?

Ces définitions, comme la plupart des définitions en sciences humaines, sont moins simples qu’il n’y paraît de prime abord. Pour définir la spécificité de l’être humain on ne saurait d’un point de vue anthropologique se référer à une supposée nature humaine, toujours floue et jamais démontrée. Ceux qui ont tenté d’établir une telle définition en la basant sur le concept de nature humaine ont avancé des arguments qui ne résistent pas soit à la simple logique, soit à l’épreuve des faits, sauf à se référer aux a priori de la foi et de la croyance en des vérités éternelles. Si le monde des sciences et des sciences humaines a beaucoup évolué à ce sujet, il n’en reste pas moins que le concept de nature humaine continue à être opérationnel dans la pensée de nombre de nos contemporains, et qu’il est largement partagé et utilisé par la majorité de nos semblables. D’autant plus que beaucoup de ceux qui se réclament d’idéologies qui en principe reposent sur des concepts fondamentalement opposés à l‘idéalisme, tels le marxisme, l’athéisme, ou encore la psychanalyse freudienne, utilisent eux-mêmes souvent des concepts directement liés à celui de nature humaine — par exemple l’inconscient collectif ou l’individu.

La douleur

Quelques exemples illustreront ce propos. La douleur (et plus généralement tout ce qui concerne les manifestations physiques) a souvent été présentée sous le drapeau de la nature humaine, et c’est une opinion communément admise que de dire que « tous les hommes souffrent de la même façon ». L’histoire et l’anthropologie montrent au contraire que la perception de la douleur est éminemment culturelle, et qu’elle varie dans une même société en fonction des époques et à la même époque en fonction des sociétés. Que ce soit donc d’un point de vue synchronique ou diachronique, notre expérience de la douleur est fonction de notre époque et de notre société, et non pas innée. Il ne s’agit pas de quelque chose qui serait programmé dès la naissance, il ne s’agit pas d’un donné, mais d’un acquis. On trouvera à cet égard de nombreux exemples dans les études portant sur les enfants sauvages, ou encore les études historiques ou certaines expériences psychologiques [1].

Dans nos sociétés, nous ne percevons pas la douleur de la même façon que nos ancêtres, et des douleurs qui nous paraissent intolérables aujourd’hui étaient vécues différemment jadis. Au plus proche de nous, on peut rappeler les changements d’attitudes par rapport à la douleur concomitants aux progrès réalisés en matière d’anesthésie.
Bien sûr, il est évident que le psychisme intervient directement dans la perception de la douleur, ce qui va à l’encontre de l’idée que la douleur, communément perçue comme une réaction naturelle à une agression physique, serait une sorte de phénomène automatique congénital. Bien entendu, il y a une anatomie de la douleur, des circuits physiologiques, des nerfs, etc. Il y a par exemple le thalamus, qui régule la perception de la douleur, et d’ailleurs ce qu’on appelle le syndrome thalamique, lorsque le thalamus est atteint, provoque des dérèglements de cette perception et des douleurs indicibles. Mais le phénomène physique de la douleur passe nécessairement par une représentation psychique, c’est-à-dire par le langage. Il suffit d’ailleurs de s’interroger sur notre propre expérience pour s’apercevoir que notre perception de la douleur varie tout au long de notre vie. L’expérience de la douleur passe nécessairement par la représentation et ressort de la culture. Il ne saurait y avoir perception de la douleur sans représentation du monde, et en premier lieu sans représentation de notre propre corps.

Les sages et les mystiques qui s’emploient dans différentes sociétés à se détacher des contingences physiques, par des pratiques telles que l’ascèse, mettent d’ailleurs cela en pratique. En effet, s’il est habituel de considérer qu’ils parviennent à supporter les privations et à se détacher de la douleur grâce à leur élévation spirituelle, ce qui n’est peut-être pas faux d’une certaine façon, on peut aussi voir les choses sous un autre angle et considérer qu’en fin de compte leur démarche spirituelle leur permet de s’affranchir des limites imposées par leur culture, c’est-à-dire par leur éducation.

L’instinct

Autre exemple de ce qui paraît être de l’ordre de la nature humaine, l’instinct [2]. Certains comportements culturels sont attribués à l’instinct [3], et en premier lieu le fameux instinct maternel. Or on sait depuis longtemps que cette relation privilégiée d’une mère à son rejeton n’est pas universelle, loin de là. Il est vrai que la maternité a constitué dès la Préhistoire le fondement de mythes et de croyances multiples, le mystère de la naissance étant associé au mystère de la création du monde, et l’on trouve les avatars de ces mythes et de ces croyances dans toutes les sociétés. En passant, on notera que dans nos sociétés cette relation privilégiée a historiquement pris un sens et une ampleur nouveaux avec le développement du culte chrétien de la vierge Marie [4]. Quoi qu’il en soit, les études à l’heure actuelle tendent à mettre en évidence que l’instinct maternel n’a rien de l’instinct mais tout de la culture [5], et si les relations mère enfant sont privilégiées dans de nombreuses sociétés, elles ne le sont pas dans toutes [6]. De plus, on peut observer que dans une même société elles peuvent varier en fonction des classes sociales, des nécessités historiques (lors de périodes troublées par exemple) ou encore des nécessités économiques. Les comportements de protection des petits que l’on observe chez les vertébrés ressortent bien d’un instinct, celui de la survie de l’espèce. Protéger les petits, c’est assurer la perpétuation de l’espèce. Chez les vertébrés les plus évolués, comme les singes où le groupe social a une extrême importance, on observe évidemment des relations différentes de celles que peuvent avoir d’autres espèces. À partir du moment où un groupe social s’est structuré, une éducation, si simple soit-elle, est nécessaire. Les relations mère enfant chez les animaux sociaux sont induites par cette nécessaire éducation, ce qui n’exclut pas, bien entendu, une certaine forme de « tendresse », l’attention portée aux petits étant souvent comparée à celle d’une mère humaine. Aussi la tentation est-elle toujours grande de plaquer un mode relationnel humain au mode relationnel animal, mais l’anthropomorphisme, s’il peut rassurer certaines consciences, n’a jamais conduit à des théories fécondes. Plutôt que de recourir à un placage interprétatif, on aura une tout autre approche si l’on considère que la relation humaine mère enfant trouve ses fondements dans la nécessaire survie de l’espèce, et voit ses prolongements psychologiques dans l’éducation indispensable à l’adaptation au groupe et à l’environnement.

Comme pour la douleur, ce qui fait la différence entre humains et animaux, c’est la symbolisation par le langage humain.

L’éducation

Mis à part les fonctions vitales propres à tous les animaux, tout ce que nous ressentons, tout ce qui ne paraît aller de soi et participer d’un ordre naturel est en fait un acquis inculqué par l’éducation que nous recevons dans la société où nous vivons. Et en effet, s’il est une particularité de l’être humain, c’est bien celle de pouvoir s’adapter à des sociétés très différentes, humaines ou animales. Mais sans éducation, sans l’apprentissage inhérent à un groupe animal ou humain, l’être humain est incapable de survivre. C’est cette si grande aptitude à pouvoir s’adapter à des sociétés si différentes, en même temps que cette impossibilité pour un petit enfant humain de survivre seul, qui ont fait dire à Lucien Malson que « l’être humain est à la naissance un faisceau de possibilités » [7].

Toute éducation humaine consiste à canaliser ces possibilités multiples, à en développer certaines au détriment d’autres en fonction des nécessités historiques et structurelles de chaque culture, voire de chaque société. De ce point de vue, on peut bien sûr imaginer qu’une société puisse décider de développer des possibilités jusqu’alors étouffées par l’éducation, mais il serait vain de croire qu’une société puisse développer toutes les possibilités que possède un petit enfant humain à la naissance, car l’éducation — c’est-à-dire les contraintes nécessaires à l’adaptation à la vie en société — est indispensable à la structuration de l’être humain en tant qu’être social.

L’être humain, être social

Car ce que l’anthropologie a mis en avant c’est que l’être humain ne peut trouver à se définir qu’en tant qu’être social. Dans ses travaux [8], Claude Lévi-Strauss dégage trois critères pour que l’on puisse parler de société humaine : le langage à double articulation — c’est-à-dire structuré selon deux axes, l’axe syntagmatique et l’axe paradigmatique —, la nécessité du tabou de l’inceste, la circulation et l’échange des femmes.

La circulation et l’échange des femmes ont fait et feront, je suppose, dresser les cheveux d’un certain nombre de féministes. Cependant, outre qu’il s’agit d’une réalité sociale historique [9], la circulation des femmes a permis les échanges culturels, biologiques, techniques et matériels entre les groupes. Si on se place du point de vue de la nécessité fondamentale qui conditionne le vivant, la survie de l’espèce, la circulation et l’échange des femmes apparaissent comme les conditions indispensables à la survie du groupe, et donc de l’espèce. Comme l’écrit Claude Lévi-Strauss, il s’agit « de remplacer un système de relations consanguines, d’origine biologique, par un système sociologique d’alliance » [10] . À notre époque où le clonage est à la mode médiatique et où on se dirige vers le clonage humain (ce qui n’est peut-être qu’une question de temps), on achoppe sur un point essentiel, à savoir que la multiplication des clones conduit à l’affaiblissement du système immunitaire, laissant les individus clonés à la merci entre autres des bactéries et des virus. Par ce que l’on appelle l’échange des femmes [11] on assure l’adaptation du système immunitaire, ainsi que la diversification des individus et les mutations génétiques, garantes de la survie de l’espèce. Bien sûr, ces échanges permettent aussi les échanges culturels et techniques.

Le tabou de l’inceste est à entendre au sens freudien du terme, à savoir que le concept ne se réduit pas à la seule relation père-mère-enfant, mais à une relation X-Y- Ego [12]. Le tabou de l’inceste, cela signifie que toute société humaine s’organise autour d’au moins une relation interdite, et cet interdit est social, c’est-à-dire qu’il ne porte pas sur une relation biologique, mais varie en fonction des sociétés. Par exemple, dans les règles de mariage, l’interdit pourra porter dans certaines sociétés sur la cousine croisée parallèle, dans d’autres sur l’ensemble des membres d’un clan. L’essentiel est que des règles et des prescriptions puissent s’établir à partir de cet interdit. Le tabou de l’inceste permet de fixer les règles de mariage, d’en prescrire certaines et d’en proscrire d’autres. On voit qu’il est l’une des clés de la circulation des femmes. À partir de ces interdictions et de ces prescriptions s’établit tout un système de lois. Le tabou l’inceste est donc un point central de la structuration d’une société humaine puisqu’il est à la base des lois qui régissent la vie en groupe.

En passant, on peut préciser que la structuration sociale à partir du tabou de l’inceste concerne toutes les sociétés humaines, aussi bien étatiques que non étatiques [13]. C’est un principe fondamental et universel des sociétés humaines qui n’est pas remis en question par la différence structurelle entre les sociétés étatisées et celles qui ne le sont pas.

Le langage des abeilles

Abordons maintenant ce qui constitue le fil conducteur de ce petit article, le langage humain, et disons d’emblée ce qui apparaît aujourd’hui comme un lieu commun : le langage humain ne ressemble à aucun autre. Comme pour ce qui précède, je n’entrerai pas dans les arcanes et me limiterai à un survol de concepts de base.

Dans le langage animal, à un cri, un geste, une mimique, une attitude, etc., correspond une signification et une seule. Le message est souvent simple : le danger ou l’absence de danger, une nourriture ou l’absence de nourriture, la disponibilité sexuelle ou non, etc. Pourtant, certaines espèces ont parfois semé le doute dans nos esprits tant leur langage semblait complexe.

Dans un célèbre ouvrage, Karl von Frisch [14]a par exemple mis en évidence la complexité du langage des abeilles. Grâce à ce langage, des abeilles parties en reconnaissance peuvent communiquer à leurs congénères restées à la ruche la direction et la distance d’une source de pollen. Ce qui pouvait poser question dans ce type de communication, c’est que le message transmis concerne quelque chose qui ne se trouve pas à proximité immédiate, mais peut se trouver fort éloigné à l’échelle d’une abeille. Il ne s’agit donc pas de quelque chose de visible de perceptible par les abeilles, et a priori on pourrait être amené à penser que cette communication fait appel à une symbolisation semblable à celle que l’on trouve dans le langage humain. Cependant, en y regardant de plus près, on s’aperçoit très vite que cette similitude ne tient pas, puisque la communication de l’information se fait non pas grâce à une structure à double articulation, mais grâce à une succession de signes correspondant chacun à une seule signification. Disons, rapidement, que le langage des abeilles repose sur une sorte de danse en forme de 8. Pour informer les autres membres de la ruche de l’endroit où se trouvent les fleurs sources de pollen, l’abeille indique la distance par le nombre de 8 effectués, et la direction par l’angle que font les 8 par rapport au soleil [15]. D’autres paramètres entrent en jeu dans cette communication, comme par exemple la transmission chimique. Mais disons qu’à un nombre de 8 correspond une distance et une seule, et que l’angle par rapport au soleil, donnée physique, ne saurait désigner autre chose qu’une direction et une seule, et uniquement par rapport à une source de pollen. Ici, la relative complexité et la successivité des éléments du message ne sauraient représenter à elles seules un langage à double articulation, même si elles en sont des composantes.

Le langage chez les vertébrés

Bien sûr, les abeilles, insectes sociaux, ne sont pas des vertébrés. Alors qu’en est-il chez les vertébrés sociaux ? Certaines expériences, largement médiatisées à l’heure actuelle, visent à démontrer que certains singes sont capables d’apprentissage d’un langage complexe (ce qui n’est pas douteux et fort connu depuis longtemps), et par glissement interprétatif insidieux veulent nous convaincre que ces braves singes sont capables d’acquérir notre langage à double articulation. Mais cette interprétation ne résiste pas non plus à l’analyse.

Entre parenthèses, on peut d’ailleurs se demander jusqu’à quel point les chercheurs engagés dans cette voie sont sincères, ou à tout le moins conscients de l’idéologie qu’ils véhiculent. On assiste en effet depuis de nombreuses années à une offensive en règle de la part de psychologues, psychiatres et psychanalystes [16] tenants d’une approche organique de la pensée et du langage. Ce que j’appellerais cette « psychomenclatura » raisonne comme s’il était établi que la pensée c’est du somatique. Cela est affirmé parfois de façon très directe, et le plus souvent de façon insidieuse par l’emploi d’un certain vocabulaire et de certaines expressions, çà et là dans le fil du commentaire d’un documentaire ou d’un reportage. Ce sont des expressions comme « notre cerveau est capable d’imaginer... » ou « le circuit de la mémoire... » par exemple. Or, en l’état actuel des connaissances une question [17] reste toujours à résoudre, à savoir comment on passe du somatique, des cellules de notre cerveau, à la pensée. Il y a en effet deux versants du même problème, le versant somatique, avec par exemple l’approche neurologique, et le versant psychanalytique avec l’approche par le langage. Mais on ignore toujours comment on passe de l’un à l’autre. Pour ma part, je suis convaincu qu’aucun de ces deux systèmes explicatifs n’est à même d’apporter la réponse, et qu’il faudra sans doute inventer un nouveau système explicatif pour résoudre le problème.

Il y a d’ailleurs les théories scientifiques de l’émergence. L’émergence, c’est cette idée que des éléments qui ont certaines propriétés aboutissent, quand ils sont rassemblés, à un système qui a d’autres propriétés. On ne peut donc expliquer un phénomène par un autre qui le précède. Par exemple, des acides aminés, que l’on a surnommés les « briques du vivant », possèdent certaines propriétés chimiques. Mais l’assemblage de ces acides aminés aboutit à l’émergence de nouvelles propriétés chimiques, celles des polypeptides et des protéines, différentes des acides aminés pris un à un.

Cependant, notre psychomenclatura se conduit comme s’il allait de soi que le problème est résolu et que la pensée et le langage ne sont qu’affaire de cellules, de chimie, d’électricité, etc. Il s’agit évidemment d’une approche de l’être humain qui, bien que plus élaborée, reste sur le fond très mécaniste, c’est-à-dire directement issue des conceptions idéalistes et religieuses de la science. Dans ces conceptions, l’être humain est avant tout un individu, c’est-à-dire un être indivisé, en quelque sorte une totalité uniquement mue par ce qui est inhérent à sa finitude corporelle. Cela concerne tout autant sa pensée que son langage, bien que pour la pensée on puisse y ajouter l’âme à l’occasion.

Notre psychomenclatura propage donc cette conception mécaniste « améliorée » par le développement des techniques. Évidemment, cela n’est pas gratuit : dans un monde de plus en plus dominé par l’utilitarisme, on voit bien par exemple les avantages que peuvent tirer les sociétés industrielles d’une telle approche, notamment sur le plan pharmaceutique.

On peut remarquer aussi en passant que l’abondance des ouvrages, des films, des émissions, consacrés ces dernières années au problème des origines, origines de l’univers, origines de l’humanité, ainsi qu’aux similitudes (accompagnées le plus souvent de commentaires et d’interprétations des plus fantaisistes) avec nos amies les bêtes, que cette abondance donc est peut-être le signe de la résurgence du mythe « d’un temps où les bêtes et les hommes vivaient en harmonie », mythe largement partagé par d’autres cultures, qui correspond dans les sociétés chrétiennes à celui du « paradis avant la faute ». Il renvoie aux époques où l’hominidé n’était pas encore un être humain, notamment n’était pas encore doué de langage (ce qui se traduit notamment par une inversion dans les histoires et contes pour enfants, comme cela se produit fréquemment dans les mythes, où des animaux doués de langage sont mis en scène. On peut penser que la résurgence de ce thème mythologique, la recherche des origines (y compris par exemple les recherches généalogiques des familles), est liée à la recherche générale actuelle de nouveaux « points de repère », de nouvelles « valeurs », sur lesquels se reposer. Cependant, sur le plan philosophique et politique, cette offensive généralisée vise manifestement à imposer une idéologie idéaliste et à étouffer l’idéologie matérialiste contemporaine développée aux XIXe et XXe siècles.

Tout est fait en effet pour inculquer aux populations des concepts comme celui de nature humaine, qui rappelons-le ne repose sur aucun fondement solide, ou encore le concept d’individu en évacuant celui de sujet. Pour donner un exemple, on peut prendre le concept de l’inconscient. Freud a défini l’inconscient comme une instance, c’est-à-dire une « fonction » psychique que l’on retrouve chez tous les êtres humains, mais dont les manifestations ne peuvent être saisies que dans le particulier, c’est-à-dire chez un sujet donné. Il va de soi que ce concept d’inconscient n’a plus du tout le même sens si on l’applique à l’individu. Dans ce dernier cas, l’individu est pour ainsi dire doté d’un inconscient dès la naissance, voire pour certains avant même la naissance. Dans le premier cas, le sujet est transcendé et structuré par l’inconscient (entre autres), dans le second l’individu dispose d’un inconscient en quelque sorte « tout prêt », comme une sorte de boîte qu’il ne reste plus qu’à remplir [18]. On retrouve cette opposition fondamentale entre individu et sujet chez Marx, par exemple, où le sujet est surdéterminé par l’histoire et la société. En fait, le concept d’individu tel qu’il est véhiculé à l’heure actuelle n’est guère éloigné de celui du Moyen Âge. À l’époque, la conscience de soi passait par l’idée que « l’être humain, en tant qu’être, tant qu’il était, ne pouvait pas cesser d’être ce qu’il était » [19]. En effet, l’approche idéaliste de l’être humain réduit sa dynamique propre à une sorte de circuit interne, une dynamique refermée sur elle-même, alors que l’approche matérialiste conçoit l’être humain comme un sujet mû sans cesse par des processus qui le transcendent et le structurent.

Cependant, il faut prendre garde à ce que l’on entend par des termes comme surdétermination. Dans les conceptions idéalistes un principe extérieur, Dieu par exemple, peut être considéré comme surdéterminant l’être humain. C’est sur ce même schéma que ces conceptions idéalistes peuvent intégrer des concepts qui devraient leur être fondamentalement étrangers, comme l’inconscient ou l’histoire. Mais dans les conceptions matérialistes, ces concepts qui transcendent l’être humain sont en même temps des processus liés à l’humanité, aux sociétés et aux civilisations pour ce qui concerne l’histoire par exemple, au langage pour ce qui concerne l’inconscient. Il s’agit donc de deux perspectives radicalement différentes.
On peut se demander par ailleurs si l’on n’assiste pas actuellement à un certain retour en arrière, pour ne pas dire une régression, par rapport à la Renaissance. À la fin de la Renaissance, la pensée n’appartient plus au monde des choses, elle s’en distingue pour les penser. Le courant idéaliste actuel, s’il n’est pas ouvertement dans l’affirmation de la réification de la pensée, revient néanmoins aux anciennes conceptions (on peut reprendre ici les deux exemples d’expressions déjà évoqués, « notre cerveau est capable d’imaginer... » et « le circuit de la mémoire... »).

Le langage humain

Mais revenons à notre sujet. Comme il a été dit plus haut, on a cherché à mettre en avant des similitudes entre le langage humain et les autres langages, voire à prouver qu’un animal est capable d’acquérir le langage humain, en se basant essentiellement sur l’idée de complexité du langage. En fait, la particularité du langage humain n’est pas sa complexité, mais bien d’être « à double articulation » [20]. Qu’est-ce que cela signifie ? Pour parler de la double articulation, un retour rapide sur quelques apports de la linguistique semble nécessaire, même si tout cela est généralement connu.

Les travaux de Ferdinand de Saussure ont mis en avant trois points essentiels de méthodologie :
— la séparation de l’approche diachronique (évolution dans le temps des sons et des sens) de l’approche synchronique (étude structurale d’une langue à un moment donné) ;
— la distinction entre le signifiant (phonologie) et le signifié (sémantique) ;
— la distinction entre la langue (système synchronique) et la parole (production individuelle et consciente de la langue).
Ces trois points se renforcent chez Saussure par des concepts qu’il définit par ailleurs :
— l’opposition entre forme et substance : la linguistique n’étudie (aussi bien pour la phonologie que pour la sémantique) que le système des langues ;
— l’arbitraire du signe : le lien entre le signifiant et le signifié, et l’expression du signifié lui-même, sont arbitraires, c’est-à-dire, sur le plan synchronique, contingents aux langues ;
— la valeur linguistique : le signe linguistique étant formel et arbitraire, c’est sa valeur, dans son rapport de complémentarité avec les autres valeurs, que devra décrire la linguistique.

D’emblée se dégagent les particularités du langage humain. Sur le plan phonologique, Saussure a défini les unités minimales du langage, les phonèmes, unités de son considérées comme unités distinctives [21] (a ou i par exemple). Ces phonèmes s’ordonnent entre eux en s’insérant dans une successivité (comme dans « aléatoire »). Sur le plan sémantique, ces combinaisons qui produisent du sens ont été elles aussi ramenées à leurs unités minimales, les morphèmes [22].

On voit que le phonème ne serait pas différent du son ou du signe utilisés dans le langage animal s’il occupait toujours la même place dans la chaîne signifiante. Ainsi, avec un minimum de sons et de signes le langage humain peut produire un maximum de sens.

Signifiant, signifié

La psychanalyse s’est beaucoup servie des concepts de la linguistique, et au premier rang des psychanalystes ayant développé leurs recherches en ce sens nous trouvons bien évidemment Jacques Lacan [23].

Si nous reprenons notre problématique, en même temps que l’exemple de Saussure du mot « arbre », disons pour résumer brièvement que « arbre » est le signifiant et que le signifié va dépendre quant à lui de paramètres comme :
— le contexte : pas seulement le contexte de la phrase (arbre à came ou arbre généalogique, par exemple, ou encore « j’ai coupé cet arbre » ou « j’ai planté un arbre ») ;
— l’image de l’arbre à laquelle le mot renvoie : image qui peut être image a minima d’un arbre que chacun à intégrée, ce qui dans l’instant peut venir à l’esprit quand on essaie d’imaginer l’arbre ;
— le signifié c’est aussi le fait qu’on ne peut utiliser un signifiant sans qu’il renvoie de façon simultanée à tout ce à quoi ce signifiant a été rattaché au cours de notre existence. Ainsi le signifiant « arbre » peut non seulement envoyer à tous les arbres que l’on a, pour le dire de façon amusante, « personnellement connus », mais aussi par exemple à tel souvenir dans lequel se trouvait un arbre, ou encore à la maîtresse d’école qui nous apprenait à écrire « arbre », etc.
— le signifiant, et nous revenons là à la notion de valeur, est nécessairement lié à tout ce qu’il ne désigne pas, c’est-à-dire à sa classe complémentaire [24]. En effet, si l’on considère un signifiant quelconque s, on peut dire qu’il se définit en tant qu’élément appartenant à l’ensemble E mais, ce faisant, on le définit comme n’appartenant pas à l’ensemble non E. A travers cet exemple on peut mieux comprendre la notion « d’arbitraire du signe ». À strictement parler, du point de vue de sa définition première, peu importe que s appartienne à l’ensemble E, A ou N. Ce qui importe c’est que le signifiant soit défini en tant que partie d’un ensemble, lui-même inclus dans une structure englobant tous les ensembles structurellement possibles. Autrement dit, la langue peut se concevoir comme la structure où, en fonction de la cohérence propre à cette structure, le signifiant va trouver sa valeur. Un système, selon Saussure, est « une totalité organisée fait d’éléments solidaires ne pouvant être définis que les uns par rapport aux autres en fonction de leur place dans cette totalité ». Du point de vue du concept même de l’arbre, il est donc indifférent que le signifiant soit arbre, baum ou tree. Mais ce signifiant ne pourra renvoyer à un signifié qu’en fonction de son opposition à tous les autres signifiants, c’est-à-dire en fonction de la cohérence propre à la structure de telle ou telle langue.

Si cette cohérence structurelle n’est pas respectée, le signifiant ne renvoie à aucun signifié, ou encore à un autre signifié. C’est ce qui arrive par exemple dans certaines pathologies où un sujet aura des associations signifiant/signifié différentes de celles de sa propre langue. Il est évident que si le mot arbre renvoie à quelque chose d’autre qu’un arbre, une tête par exemple, la communication devient difficile puisque si je dis que « j’ai coupé un arbre », mon interlocuteur comprend que j’ai coupé une tête. Mais il n’en serait pas de même évidemment si pour désigner un arbre la langue avait retenu le mot tête. Ce petit exemple pour montrer l’arbitraire du signe et la nécessité induite par la cohérence de la langue.

Par ce qui est dit plus haut, on voit aussi que le signifiant est forcément « réducteur » par rapport au signifié, ce qui a amené certains auteurs à dire que « nommer l’objet, c’est le tuer », puisque désigner un objet c’est en quelque sorte l’enfermer dans un sens manifeste. Dans les religions il n’est pas rare, d’ailleurs, qu’il soit interdit de nommer certains objets sacralisés (lieux, animaux, personnes, etc.) [25] puisqu’on ne saurait dire tout ce qu’ils sont en un seul mot. En outre, si l’on peut dire parfois « qu’une image vaut mille mots », l’inverse est tout aussi vrai, puisqu’un signifiant peut renvoyer par association à mille images.

Ce que nous venons de voir a été exposé d’une façon évidemment simplifiée, c’est-à-dire partielle, mais nous avons néanmoins abordé l’essentiel des concepts propres à notre propos : signifiant, signifié, arbitraire du signe, etc., des niveaux structurels du langage qui nous ramènent tous à cette évidence que tout énoncé manifeste repose sur un entrelacement de chaînes signifiantes, renvoie à des niveaux conceptuels qui le sous-tendent et lui donnent ou non sa cohérence. En outre, parmi ces concepts on peut distinguer deux catégories générales, ceux qui reposent sur des faits avérés et ceux qui relèvent de la croyance. Par exemple, nature humaine, race et dieu sont des concepts qui peuvent être rangés dans une même catégorie puisqu’ils reposent sur des croyances [26].

Double articulation et connaissance

En se basant sur la linguistique, Jacques Lacan a mis en évidence le fait qu’un signifiant ne peut signifier que pour un autre signifiant [27], qu’il n’y a pas de signifiant tout seul. Le signifiant ne trouve sa valeur et son sens que dans sa complémentarité avec les autres signifiants. Il renvoie toujours au non-dit, à l’inconscient et aux chaînes signifiantes sous-jacentes, à la structure et aux autres signifiants.

Autrement dit, il n’est pas de discours [28] qui ne produise ses zones d’ombre. En fait, tout discours devrait être perçu comme une sorte de chemin très étroit au milieu de l’immensité du non-dit [29], ce qu’en termes religieux on pourrait traduire par « un chemin de lumière au milieu des ténèbres », et en d’autres termes par la conscience que quelle que soit l’étendue de nos connaissances, elles ne sont que la part infime d’une dynamique sans fin [30].

Tout discours, et au-delà tout système explicatif, qu’il soit scientifique ou non, en même temps qu’il affirme une vision du monde, qu’il apporte des réponses aux questions, est producteur de la négation de ses affirmations, producteur d’un nouveau questionnement, de la même manière qu’une chaîne signifiante renvoie au non-dit, aux autres chaînes non manifestes [31].

Matérialisme et idéalisme

À partir de là, on a le choix entre deux types de systèmes explicatifs :
— un système explicatif qui produit un discours sur le Vrai, et se positionne comme porteur de toutes les réponses possibles ; il implique une vision du monde qui s’inscrit dans une totalité (puisque pour que toutes les réponses soient possibles, il faut bien que toutes les questions appartiennent à un même ensemble) ; c’est ce que l’on retrouve dans l’idéalisme et la religion ;
— un système explicatif qui produit un discours sur le possible, et se positionne comme porteur de réponses qui s’inscrivent dans un moment historique, c’est-à-dire considère ces réponses comme transitoirement vraies, en attendant que le développement de ce même système explicatif ou qu’un nouveau système ne les révèle fausses ; c’est ce que l’on retrouve dans le matérialisme.

Mais le matérialiste ne saurait envisager de vérité qui ne soit historique, c’est-à-dire propre à une période donnée. Ni non plus qu’il n’y ait de vérité historique qui ne fasse office d’oeillères : une vérité joue son rôle historique tant qu’elle suffit à boucher les trous de la connaissance, trous qui sont eux-mêmes relatifs à une période historique. Elle fonctionne dans une culture et à une époque données, produit d’une dynamique de la connaissance qui est sans fin parce qu’elle est toujours en redéfinition. Dans un monde où il n’y aurait pas de doute, il n’y aurait pas de vérités possibles : elles ne seraient pas nécessaires.

Il ne faudrait pas en conclure pour autant que l’on se trouve dans un relativisme qui aboutirait à un « tout se vaut ». C’est précisément parce que rien ne se vaut que la dynamique de la connaissance peut se poursuivre. « Rien ne se vaut », cela signifie, comme on l’a vu plus haut, qu’un signifiant ne se vaut pas, qu’il n’a pas de valeur en lui-même, qu’il ne vaut pas non plus un autre signifiant, mais qu’il ne vaut que pour d’autres signifiants. C’est donc parce que rien ne se vaut que les vérités sont possibles pour un temps : il suffit qu’elles fonctionnent comme une réalité possible pour qu’elles soient réalités. Et le matérialiste qui oublie cela transforme le matérialisme en religion...

Rien ne se vaut, cela conduit aussi à s’interroger sur ce qui arrive quand on se passe de Dieu. C’est une question récurrente de la philosophie, que Dostoïevski par exemple pose en disant que « si Dieu n’existe pas, alors tout est permis » [32]. En effet, pour que de telles pratiques soient « moralement défendables », il est toujours nécessaire au préalable de déshumaniser les victimes, ce qui ne peut se faire qu’avec le concept d’individu, puisqu’un sujet, qui est sans cesse en redéfinition, en quelque sorte à l’intersection de différentes dialectiques, ne saurait être figé dans une quelconque caricature ni privé de sa qualité d’être humain. Partant, si l’on retire Dieu, d’autres morales sont possibles à condition de se baser sur le concept de sujet. D’autres morales basées sur le concept de l’individu et sans Dieu sont possibles aussi bien sûr, mais elles mènent toutes, si l’on y réfléchit, ouvertement ou potentiellement à des idéologies de type nazies ou fascistes, c’est-à-dire à des idéologies réservant la qualité d’être humain à certaines catégories de sujets.

À l’inverse du matérialisme, l’idéalisme religieux subordonne toutes les vérités à une Vérité éternelle, valable pour tous les hommes et pour toutes les époques. Il inscrit le savoir et la connaissance dans une totalité permanente. Et l’on voit bien, si l’on se réfère à ce que nous avons évoqué sur la structure du langage, que nous sommes toujours dans notre problématique. En effet, par sa structure propre, le langage produit du « mystère », c’est-à-dire comme nous l’avons vu du questionnement et de l’inconnu. À partir du moment où les hominidés ont acquis le langage et sont devenus des êtres humains, ils ont nommé les choses et ce faisant ils ont non seulement produit un savoir mais surtout, en même temps, leur ignorance. Si pour un matérialiste le savoir est toujours incertain, si dans l’idéalisme religieux le savoir trouve sa certitude au minimum dans l’existence d’un dieu, l’ignorance, elle, est toujours certaine. Ce qui pour nous n’est pas une surprise puisque nous avons vu que tout système explicatif produit du non-expliqué. Comme le rappelait récemment l’anthropologue Maurice Godelier [33] : « Toutes les sociétés portent une grande attention, entre autres, à deux moments de l’existence de chaque être humain, sa naissance et sa mort. » Or, le langage nous permet d’avoir conscience de ce qui pour beaucoup est à peu près une certitude, la certitude d’être né. L’autre certitude, c’est de mourir, mais sur la mort il ne peut y avoir de discours que vivant. C’est dire que la mort est le signifiant privilégié de notre ignorance. Alors, que faire de cette ignorance ? Par la double articulation du langage, le discours produit toujours un au-delà du savoir, l’ignorance. On peut soit accepter cette ignorance comme fondamentale, sans cesse redéfinie et constitutive de la dynamique de la connaissance, soit l’intégrer à un système explicatif.

Bien sûr, on peut objecter que le matérialiste intègre lui aussi l’ignorance dans son système, puisque c’est l’un des effets de l’historicité du savoir. Cependant, dans ce cas, l’ignorance est intégrée en tant qu’effet d’un processus, et non en tant qu’élément du savoir. Elle n’est pas dans le savoir, comme elle peut l’être dans un système religieux. En effet, le concept de Dieu est en quelque sorte la grande boîte du savoir qui contient entre autres l’ignorance. Autrement dit, tout système explicatif religieux implique la fin de l’ignorance ─ ça n’est éventuellement qu’une question de temps ─ et c’est ce qui m’a fait écrire dans un autre texte que « Dieu est la sublimation de l’ignorance » .

Évidemment, entre ces deux définitions opposées existent de nombreuses variantes. Rien n’empêche de penser par exemple qu’on est à la fois dans une dynamique du savoir sans cesse remise en question et que cette dynamique s’inscrit dans une totalité... Il y a bien sûr des scientifiques idéalistes, et des scientifiques croyants. Ici, l’opposition entre matérialisme et idéalisme peut paraître quelque peu manichéenne. En fait, ces deux positions sont pour moi les deux extrêmes de la philosophie, ce qui revient à dire que toute théorie philosophique peut se positionner par rapport à l’idéalisme et au matérialisme. Il y a évidemment d’autres théories, notamment celles des philosophies de l’existence qui ont entre autres tenté de concilier l’individu et le sujet.

On voit bien, à partir de notre problématique du langage, de l’articulation signifiant/signifié, que le discours manifeste ─ ce qui est de l’ordre de la conscience ─ sera perçu, selon le choix que l’on fera, soit comme la partie émergée de l’iceberg (dans le cas de l’idéalisme religieux), soit comme l’instantané d’une conscience sans cesse en mouvement, dépendante de la structure du langage et en interdépendance avec d’autres structures et d’autres processus, eux aussi sans cesse en mouvement.

Le texte complet, comprenant notamment un développement amenant à une hypothèse entièrement nouvelle sur l’origine du religieux dans les sociétés humaines, sera prochainement publié aux Editions de L’Homme Bleu

Notes :

[1On pourra consulter David Le Breton, Anthropologie de la douleur, Métailié, 1995

[2« Impulsion qu’un être vivant doit à sa nature » « Tendance innée et puissante commune à une espèce » (Le Petit Robert)

[3Freud va à l’encontre des approches psychologisantes de son époque qui multiplient les “instincts ” à l’envi, et les ramène au nombre de deux : l’instinct de vie, Eros (préservation de la vie de l’individu, du groupe et de l’espèce) et l’instinct de mort, Thanatos (comportements destructeurs et retour de la matière organique vers un état inorganique). Mais bien entendu, depuis, certains se sont chargés de multiplier à nouveau les instincts... Voir notamment Sigmund Freud, Au-delà du Principe du Plaisir, 1920

[4La dévotion à la Vierge se développe à la fois dans les églises d’Orient et d’Occident. Elle devient la nouvelle Ève, celle qui met fin au péché originel en enfantant le Christ. Sa pureté est réaffirmée par la croyance à l’Assomption attestée dès la seconde moitié du VIe siècle, suivant en cela le récit de la mort de Marie. […] Dans la religion catholique, la Vierge est quasiment indissociable du Christ : chaque église possède ou possédait sa statue de la Vierge à l’Enfant. De très nombreuses églises et cathédrales lui sont consacrées, sous le vocable de Notre-Dame. (Wikipédia)

[5La science actuelle tend à montrer qu’il n’y a pas d’instinct chez l’homme : la succion du nourrisson, la marche, la respiration seraient des montages de réflexes héréditaires.

[6Se reporter notamment à Maurice Godelier, Nulle part, dans aucune société, un homme et une femme ne suffisent à faire un enfant, Une analyse comparée de quelques théories culturelles de la procréation et de la conception des enfants, conférence à la Cité des Sciences et de l’Industrie, Paris, 2005.

[7Lucien Malson, Les enfants sauvages, Paris, UGE 10/18, 1964

[8Claude Lévi-Strauss, L’analyse structurale en linguistique et en anthropologie et Langage et société, in Anthropologie structurale, Plon, 1955

[9Echappant donc de ce fait, en ce qui concerne l’anthropologie, à une approche moralisante, fût-elle fondée au regard de notre époque.

[10Anthropologie structurale, op. cité, page 75

[11L’échange des femmes représente somme toute des échanges matrimoniaux entre groupes distincts et n’implique pas forcément que ce ne soit que les femmes qui passent d’un groupe à un autre, puisque dans de nombreux cas ce sont les hommes qui déménagent. Par exemple, dans la société matrilinéaire des Trobriandais, ce sont les hommes qui vont vivre auprès de leurs femmes (Bronislaw Malinowski, Les jardins de corail, réédition La Découverte, 2002).

[12Ego, pour le dire simplement, représente dans un schéma de structure de la parenté le sujet à partir duquel le schéma s’ordonne.

[13Voir notamment Pierre Clastres, La société contre l’Etat. On pourra aussi lire avec profit Jacques Lizot, Le cercle des feux.

[14Karl von Frisch, Vie et moeurs des abeilles, Albin-Michel, 1955

[15Je cite cela de mémoire. Se reporter à Karl von Frisch, opus cité, chapitre 14, « Comment les abeilles se parlent », page 152.

[16Mais cela concerne aussi toutes les sciences et toutes les sciences humaines.

[17Notamment l’une de celles déjà posées par Freud.

[18Jung a utilisé cette approche idéaliste pour avancer son « inconscient collectif » et sa théorie des archétypes.

[19Georges Poulet, Etudes sur le temps humain, Plon, tome 1, 1952

[20André Martinet a été le premier à définir la double articulation du langage humain, double articulation qui le distingue de la communication animale. André Martinet, Eléments de Linguistique générale, Colin, 1967

[21Le français comprend 36 phonèmes (16 voyelles et 20 consonnes).

[22Plus petite unité de son porteuse de sens qu’il soit possible d’isoler dans un énoncé.

[23Les références à Jacques Lacan étant nombreuses, j’invite le lecteur à lire ses œuvres. D’autant qu’il s’agit d’un auteur qu’on ne peut lire que de A à Z, en partant du premier écrit jusqu’au dernier, si l’on veut comprendre les concepts qu’il met en œuvre et/ou invente. A une ou deux exceptions près, il n’y a donc pas de références précises dans ce texte.

[24Cette notion de classe complémentaire est bien entendu utilisée depuis longtemps. On la trouve chez beaucoup d’auteurs, par exemple chez Boèce, l’un des philosophes fondateurs de l’Eglise chrétienne, dans son fameux raisonnement encore utilisé largement de nos jours par les croyants : « Si le mal existe, c’est pour qu’on puisse reconnaître le bien ». Boèce, Consolation de la Philosophie.

[25« Il fut un temps où cette interdiction d’employer le nom divin était parfaitement étrangère aux juifs (...). Ni en Égypte ni à Babylone les juifs ne connaissaient ou n’observaient de loi interdisant l’emploi du nom de Dieu, le Tétragramme, dans la conversation courante ou dans les salutations. Pourtant, entre le IIIe siècle avant notre ère et le IIIe siècle de notre ère, une telle interdiction existait et était partiellement observée. » The Old Rabbinic Doctrine of God

[26Tout comme nature humaine, le concept de race ne peut trouver de confirmation dans les faits. Si l’on considère la couleur de la peau, il ne peut s’agir que de la couleur de la peau et de rien d’autre (la couleur de la peau par exemple ne coïncide pas avec les différences biologiques). Si on prend tel ou tel critère biologique (les groupes sanguins par exemple) cela ne coïncide pas avec la couleur de la peau. Etc. Et il en va de même pour les données culturelles.

[27« Le signifiant, qui ne signifie rien, représente le sujet pour un autre signifiant qui ne signifie rien non plus » – Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre XXII (R.S.I.), Seuil

[28« Discours » doit être entendu comme tout ce qui utilise des signifiants et produit des signifiés : pensée, parole, écrit, mimiques, etc.

[29Publicité gratuite : un petit essai sur la création que j’ai écrit, à paraître en version complète, porte le titre Le fil d’Ariane notamment pour cette raison.

[30Pour vous donner un exemple de façon dont on fait passer des concepts dans un énoncé, un commentaire, etc., j’aurais pu dire que « nos connaissances ne sont qu’une part infime de ce qui nous reste à découvrir ». Pourquoi avoir choisi « la part infime d’une dynamique sans fin » ? Tout simplement parce que « la part infime de ce qui nous reste à découvrir » renvoie évidemment à l’idée que la connaissance s’inscrit dans une totalité, qu’elle a une finitude, c’est-à-dire renvoie à une conception idéaliste.

[31En psychanalyse, dans un autre registre, Jacques Lacan a mis cela en évidence avec le concept du « sujet divisé par le langage » .

[32Fédor Dostoïevski, Les frères Karamazov]]. Si l’on retire la part de « sacré » en l’être humain, quelles valeurs morales sont-elles possibles ? De nombreux philosophes et écrivains se sont penchés sur la question. Pour ma part, n’ayant pas les a priori religieux de Dostoïevski, je dirais que même avec Dieu tout est permis : l’histoire le prouve abondamment, d’une part, et d’autre part ma conception du sujet n’implique pas que l’être humain soit « bon par nature ». Ni bon ni mauvais, il est le produit de sa culture, de l’Histoire et de son histoire, et il est aussi ce qu’il choisit d’être. Le Romain qui envoyait des prisonniers dans l’arène ou qui faisait violer des femmes par des animaux avant de les mettre à mort n’était pas un mauvais Romain au regard des Romains. Simplement ses valeurs étaient autres. Alors tout est-il excusable ? Non, bien évidemment. Nous avons une conception du sujet qui n’est plus celle des Romains, ni celle des trafiquants d’esclaves, ni celle des nazis (pour la majorité d’entre nous tout au moins… je l’espère !). Précisément parce que notre conception est celle du sujet et non pas celle de l’individu. En aucun cas le sujet ne saurait être réduit à son « animalité », alors que rien n’empêche un individu d’être mis sur le même plan, le cas échéant, que celui d’un animal [[Si nécessaire, se reporter à ce qui est dit plus haut

[33cf. note 5


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