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Le Combat ordinaire : Planter des clous
de Manu Larcenet, Editions Dargaud.

La BD est l’un des vecteurs les plus intéressants de transmission intellectuelle et culturelle. Malgré les contraintes imposées aux auteurs et aux illustrateurs, la plasticité du support permet d’associer l’originalité et la pertinence. Cependant, dans le domaine de la BD sociale ou sociétale, rares sont les créateurs qui ont su à la fois enchanter leurs lecteurs et poser des questions essentielles sur notre temps ou les temps à venir.

Dans ce domaine délicat, l’œuvre de Manu Larcenet est tout à fait exceptionnelle par sa justesse, sa profondeur, son équilibre et son intimité avec le lecteur qui se retrouve comme investi malgré lui dans les aventures très ordinaires de son anti-héros.

Entre les petits événements quotidiens et presque ordinaires de la vie, les pensées intimes et les dialogues internes, une relation légèrement décalée avec son psy, le personnage central du Combat ordinaire ressemble beaucoup à chacun de nous.

L’auteur met en évidence, tout à la fois, l’intensité salvatrice des bonheurs les plus simples, notre totale impuissance face à l’injustice, la nécessité du rêve et de l’humour, même très noir. Ce n’est sans doute pas un hasard si le personnage central est photographe de métier. L’auteur transpose le regard révélateur de la photographie dans le cadre de la bande dessinée, qui en quelques mots et images, mieux qu’un essai savant, éclaire les contradictions, les bêtises, au sens philosophique du mot, les « terribles simplifications » d’une machine infernale qui, sous prétexte d’économie et de finance, nie toute humanité, se ment à elle-même pour faire accepter l’inacceptable.
Paradoxalement, la lecture du Combat ordinaire, BD sociétale au sombre constat, s’accompagne d’une légèreté et d’un optimisme inattendus. L’existence même d’une telle BD constitue un recadrage puissant face au gigantisme grotesque du moloch et démontre par l’absurde, mais aussi selon d’autres voies, que la poésie ne peut que l’emporter non pas finalement, mais ici et maintenant, au quotidien.

« Le pur désespoir pose des questions tellement essentielles qu’il ne peut s ‘accommoder d’idéologie…

L’escroquerie idéologique, c’est de convaincre qu’il existe une vérité. Le réel n’importe plus alors que dans la mesure où il peut se plier pour s’y conformer.

Pourtant, la tortue ou les métastases, par exemple, sont abyssalement indifférentes au CAC 40 ou à la ligne du parti…

On m’objectera sans doute qu’elles le sont tout autant à la poésie, et on aura tort.

Délestée de toute logique, la poésie est la seule manière libre de remarquer ce qui est précieux.

Depardon, Brassens, Miyazaki, Bonnard, Jarmush, Sempé, Tom Waits, Cézanne, Monty Python, Monet…

… Brel, Desproges, Klee, Cartier-Bresson, Springsteen, Céline, Harvey Ketel, Baudelaire, Van Gogh…

… La poésie rachète tout. »

Nous ne pouvons que conseiller la lecture de cette série qui propose déjà quatre volumes sans le moindre essoufflement, bien au contraire : Le Combat ordinaire I - Le Combat ordinaire II : Les Quantités négligeables - Le Combat ordinaire III : Ce qui est précieux - Le Combat ordinaire IV : Planter des clous.


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