Auteure reconnue et primée d’une dizaine de romans (nous nous souvenons de son bel ouvrage A la lumière de Renoir), Michèle Dassas nous offre un nouveau roman à dimension historique avec l’histoire, authentique, d’Aurélia, née esclave en Guadeloupe, à Basse-Terre précisément, devenue, grâce à son éducation, son intelligence, sa beauté, son charisme, une bourgeoise parisienne rayonnante dont la vie bascule à la suite du scandale du Dîner de l’Exposition universelle de 1855. Rejetée de la vie parisienne, elle est contrainte à un exil douloureux dont elle reviendra, riche et sous une autre identité.
Il y a du Monte-Cristo dans cette aventure, un Monte-Cristo pacifiste, mais l’essentiel est ailleurs, dans ce que chaque moment de la vie d’Aurélia nous dit des vicissitudes sociales, politiques, des époques et lieux traversés. Les mécanismes psychologiques qui règnent sur l’artifice des relations sociales et notamment des relations de classe sont mis en évidence par les échanges au quotidien entre les acteurs de cette histoire pleine de rebondissements. Nous découvrons les mécanismes financiers opératifs d’une époque de grands travaux et de paris risqués sur le futur, le rôle de la presse, souvent complice mais encline à plonger dans le gouffre ceux qu’elle a soutenus.
Pour Aurélia, le difficile chemin initiatique vers la liberté passera par la traversée de la mondanité et le douloureux apprentissage de la lucidité. La famille est une grotte apaisante dans laquelle se replier, elle est aussi d’une grande fragilité.
« Malgré les agissements répréhensibles d’Eugène, l’amour, que son épouse éprouvait pour lui, était toujours intact et occultait toutes les conséquences matérielles et sociales immédiates. Elle se réjouissait de sa fuite. Au moins, avait-il échappé à la déchéance suprême : la prison. Elle n’avait plus qu’un désir : fuir, elle aussi. Le rejoindre, là où il se trouvait, en Amérique ou ailleurs. Ses lettres, que son père lui faisait parvenir ou lui apportait, ne mentionnaient jamais son lieu de résidence. Après de longs mois, Aurélia put caresser l’espoir que la famille serait réunie pour la fin de l’année 1857. Eugène le lui avait promis. Tout était prêt. Il n’y aurait pas de deuxième Noël sans lui. C’était compter sans l’inculpation de complicité de recel et le procès d’Aurélia… »
Un autre aspect de cette histoire réside dans le sens de l’éthique au sein de la prétendue morale des milieux d’affaires. Les relations entre les personnages et les propres doutes d’Aurélia permettent d’interroger le modèle de société du XIXème siècle dont les ressorts ont perduré jusqu’à nos jours, masqués par des contextes en apparence fort différents. Mais « l’homme ressemble à l’homme », et les relations humaines, en leurs trop nombreux aspects sordides, demeurent à travers les temps.
Cette belle aventure humaine, portée par le talent de l’auteure, nous apprend à nous garder tant des apparences que des circonstances, tout aussi éphémères, elle éclaire les qualités nécessaires pour traverser les crises, intimes, familiales, professionnelles, sociales que la vie nous réserve.
Le Dîner de l’Exposition de Michèle Dassas. Editions Ramsay