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Le Maître du Jardin, dans les pas de La Fontaine. Un livre de Valère Staraselski
La critique de Rémi Boyer

L’œuvre, si riche et si variée, de Valère Staraselki se révèle d’une grande et élégante originalité. La diversité des sujets qu’il met en vie sous sa plume talentueuse est traversée cependant de constantes créatrices dont deux nous semblent à la fois rares et hautement nécessaires à note époque, la capacité de faire dialoguer l’histoire avec elle-même, la capacité de faire dialoguer l’histoire avec notre futur immédiat. Plus qu’une technique, c’est un art, générateur d’une sagesse indispensable, cruellement absent de ce début de millénaire.

Jean de La Fontaine est pour beaucoup d’entre nous un vieil ami. Pour d’autres, ce peut être un mauvais souvenir d’école. A tous, il reste plus ou moins familier. Comme ami, il est souvent ami perdu. Ce livre est une opportunité de le retrouver et de s’étonner de tout ce que nous ignorions de l’ami passé.

Car ce n’est pas une institution qu’évoque Valère Staraselski mais un homme puissamment vivant en quatre périodes clés de sa vie agitée, quatre saisons qui disparaissent dans l’épilogue de 1695, date qui vit Jean de La Fontaine entrer dans l’éternité que nous lui connaissons. Printemps, 1652, l’homme a trente-deux ans ; été, 1668 ; automne, 1680 ; hiver, 1693. Les quatre saisons d’une vie d’homme de lettres, anticonformiste, peu considéré par son époque, dérangeant les puissants, Roi-Soleil en tête. Avant-gardiste ! Jusqu’à nos jours.

Le choix de la forme romanesque par l’auteur, plutôt que de l’essai, se révèle judicieux dès les premiers mots. Que fait-il chevauchant au côté de Turenne, à la tête de son armée, sur la route de Dammartin et courant le jupon aux arrêts ? Dès les premières pages, les images du fabuliste La Fontaine forgées par l’enfance s’éloignent, les échos des Contes, découverts un peu plus tard, se rappellent à nous. Au fil des pages, un homme nouveau vient à notre rencontre, réconciliant et dépassant les deux La Fontaine dessinés par les lectures des fables d’un côté, des contes de l’autre.

La Fontaine fut d’abord un homme de son époque et dans son époque. Le voir vivre, mal vivre souvent, au milieu des intrigues, des souffrances et des petits bonheurs de son siècle, permet de mieux saisir la puissance d’une pensée qui se fait vision quand elle extrait des circonstances des règles de vie, une philosophie réaliste, prenant compte non du contexte mais de la nature humaine.

Quand François Maucroix, l’ami de plus d’un demi-siècle découvre une fable inédite, Le Renard et l’Ecureuil, il se souvient :

« Cette fable, cette fable qui exprime par allégorie l’espoir d’un élargissement de Fouquet alors enfermé à Pignerol, une fable comme une revanche sur Colbert… Mais enfin, oui. Certainement, oui. Mais aussi, quand même, cette fable pour le genre humain mais oui, bien sûr, d’abord pour le genre humain ! Cette fable si fraternelle, si chrétienne. Cette fable pour toute l’humanité ! »

Valère Staraselski cite peu les fables dans ses pages, juste pour souligner le lien entre les écrits, une pensée ne prend corps que lorsqu’elle s’écrit, et l’intégration dans la conscience des expériences quotidiennes. Il nous décrit le monde des Lettres du siècle de Louis XIV, monde dans lequel le moraliste ne trouva jamais sa place malgré quelques soutiens. Pas de compromis avec l’éthique, pas de place dans la mondanité. Il nous parle d’un poète, qui assume pleinement une fonction philosophique et qui se révèle prophète. Le poète est un créateur et « Le monde est ainsi fait que les véritables créateurs toujours provoquent le rejet et souvent l’ostracisme. ». Il nous parle aussi d’un chrétien, libre chrétien en sa vie, qui à l’approche de la mort se comporta en pénitent.

Enfin, le lecteur ne peut que mettre la pensée de La Fontaine en perspective avec notre époque grinçante.

Hélas ! on voit que de tout temps
Les petits ont pâti des sottises des grands
Les deux taureaux et une grenouille

Ne nous privons pas de ce plaisir et de cette sagesse : retrouver, dans ce roman à la fois érudit et populaire, l’ami passé, grandi, libéré de notre enfance, des préjugés de l’école, des contorsions des esprits étriqués. Une rencontre heureuse avec nous-mêmes.

Le Maître du Jardin, dans les pas de La Fontaine de Valère Staraselski, Editions Le Cherche Midi.


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