Aujourd'hui, nous sommes le :
Page d'accueil » Arts et littérature » Littérature » Le Mystère Jérôme Bosch
Version imprimable de cet article Version imprimable
Le Mystère Jérôme Bosch
Lucien Wasselin a lu le dernier roman de Peter Dempf

Deux enquêtes composent le roman de Peter Dempf, Le Mystère Jérôme Bosch : l’une, contemporaine, où l’on assiste à l’attentat d’un fanatique, un ecclésiastique dominicain, « manifestement dérangé », ayant tenté de détruire à l’acide le célèbre tableau de Jérôme Bosch, Le Jardin des Délices ; l’autre se passe au XVI ème siècle où l’on assiste aux luttes de l’Inquisition qui fait régner un obscur et terrifiant climat sur Bois-le-Duc contre Jérôme Bosch, son apprenti Pétronius Oris et Jacob Van Almaengien, victime probable de l’inquisiteur Jean de Baerle. Le problème (si c’en est un), c’est que les deux enquêtes se téléscopent et que l’inquisiteur du XVI ème siècle porte le même nom du fanatique qui a tenté de détruire au vitriol Le Jardin des Délices

Si le roman est divisé en trois parties, les questions abordées sont nombreuses et le lecteur pourra sans doute se faire une opinion personnelle.

Qu’est-ce qui fait l’intérêt et la valeur marchande d’un tableau ancien ? L’intérêt est de rendre compte de l’état d’esprit dominant de l’époque où il a été peint et des contradictions afférentes. Mais cet intérêt est-il suffisant pour expliquer valablement la valeur marchande qu’il peut atteindre de nos jours ? Il semble bien que non ; et ce n’est pas la fameuse « loi » de l’offre et de la demande qui viendra justifier les valeurs astronomiques atteintes en salle des ventes : la spéculation n’est jamais bien loin.

Le Moyen-Âge est éloigné de cette époque bénie et idyllique auquel on le réduit habituellement. L’Inquisition et ses tortures sont là pour le rappeler et ce n’est pas l’absence de liberté économique ou politique qui viendra confirmer ou infirmer cette assertion. Et qu’on en juge par l’attitude des ecclésiastiques face à l’attitude à avoir vis à vis de la doctrine officielle de l’Eglise ! La liberté de penser est un combat perpétuel, faut-il le rappeler ? L’aspect économique des luttes idéologiques est sous-jacent : « Les Juifs nous donnent de l’argent et les négociants leurs marchandises » dit le grand Inquisiteur ; pour éviter les persécutions, pouvoir commercer en toute tranquillité et éradiquer leurs concurrents : voilà qui ressemble étonnamment au comportement de certains acteurs économiques contemporains…

La question du féminisme est présente dans ces pages, dans toute sa complexité. Zita est une belle figure de femme qui sauve Pétronius à plusieurs reprises d’une mort certaine. On est là à l’opposé de la croyance de l’Inquisition selon laquelle la femme serait une créature inférieure. Au féminisme s’oppose l’anti-féminisme du Baerle de l’enquête contemporaine qui refuse de parler aux femmes.

La vie au Moyen-Âge est bien rendue, la ville est bien vue. C’est sans doute ce qui donne à ce thriller son aspect fantastique : les mendiants, l’Inquisition avec son cortège de tortures, la description de l’architecture de la ville et de ses maisons (qui fait penser à des œuvres picturales médiévales)… On a là une leçon de réalisme qui vient s’opposer au côté fantastique. Le lecteur se trouve transporté dans une atmosphère gothique.

Le romancier maîtrise parfaitement l’art du suspens. Les coups de théâtre abondent et, pour ne prendre que cet exemple, le chapitre 22 regorge de questions qui maintiennent le lecteur en haleine.

Il faut lire Le Mystère Jérôme Bosch pour toutes ces raisons. Mais pas seulement car on reste ébahi devant l’érudition de Peter Dempf. « Dans ce cas, le triptyque ne serait qu’une simple expérience visant à transmettre le savoir d’un obscur groupuscule ? » (p 319) fait dire le romancier à l’un de ses personnages. Et page 368, Pétronius pense en ces termes : « Il avait compris que ce n’était pas l’homme, misérable ver de terre, qui choisissait l’heure de sa mort, mais une puissance supérieure ». Peu importe alors que ce soit une puissance supérieure, c’est toujours le hasard dans un enchainement inopiné de circonstances… Et puis il y a ce que nous apprenons sur la secte des adamites tout au long du roman. C’est le côté pédagogue de Dempf et il est sans importance que l’explication adamite ait été abandonnée (c’est la thèse de Wilhelm Fraenger) dans les tentatives d’interprétation du Jardin des Délices. Au lecteur de se faire son opinion à propos de ce triptyque…

Peter DEMPF, « Le Mystère Jérôme Bosch ». Le Cherche-Midi éditeur, 448 pages, 22 euros. Traduit de l’allemand par Joël Falcoz


Rechercher

Fil RSS

Pour suivre la vie de ce site, syndiquez ce flux RSS 2.0 (lisible dans n'importe quel lecteur de news au format XML/RSS).

S'inscrire à ce fil S'inscrire à ce fil